Petits calculs budgétaires entre amis socialistes européens... Les habiletés toxiques de François Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
François Hollande
François Hollande
©Reuters

Toc politique

Comme de coutume, les chefs de gouvernement européens se réunissent aujourd'hui pour définir leur alliance. Malheureusement, ils ne pourront pas compter sur François Hollande pour impulser une dynamique forte, ou simplement cohérente.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

Voir la bio »
Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Le gouvernement français souhaite un assouplissement des objectifs et critères européens de lutte contre les déficits. C'est entre autres l'objet des discussions de ce samedi entre les sept chefs de gouvernement socio-démocrates invités à l'Elysée par François Hollande. Grappiller quelques points de pourcentage sur les 3% de déficit des critères de Maastricht, est-ce à la hauteur des enjeux économiques actuels ? Quelle efficacité concrète la France peut-elle attendre d'un tel assouplissement ?

Christophe Bouillaud : Il me semble très peu probable qu'on essaye de réviser le Pacte de stabilité et de croissance que l'on a déjà révisé en 2012. Ce qui est possible en revanche, ce serait de demander un changement d'interprétation de ce traité en notre faveur, c'est à dire souple envers les déficits importants. Dans les textes, la définition du déficit structurel est très abstraite, et nous pourrions tout à fait jouer dessus.

André Bercoff : Il est tout à fait navrant de voir qu’à chaque fois le gouvernement joue comme dans une tragicomédie. Michel Sapin a dit récemment que l’objectif des 3 % était toujours d’actualité, et le même gouvernement, par la voix de François Hollande, trouve aujourd’hui à redire là-dessus. Ou l’objectif de 3% a un sens, et à ce moment-là on décide de suivre la discipline européenne, ou alors elle n’en a aucun, et à ce moment-là, qu’il communique réellement là-dessus, qu’il nous l’explique et l’affirme ! Non, là nous subissons une espèce de position non-assumée depuis deux ans, et de manque de pédagogie sur la politique du gouvernement.

Au-delà de ces déclarations, il y a une profonde incohérence : à la fois on se range du côté des socio-démocrates, et en même temps on réintroduit l’Etat dans tous les processus mis en place dans les réformes ! Il suffit de voir l’intransigeance de Montebourg, qui souhaite prendre part à tout ce qui se passe, pour le constater.

Nicolas Goetzmann : L’objectif des socio-démocrates est d’obtenir une légère révision de la doctrine européenne actuelle. Il s’agit d’obtenir une déclassification de certaines dépenses d’investissement, afin de pouvoir les retirer du comptage du déficit. Etant donné que la France ne tiendra pas ses promesses de déficits cette année, et probablement pas non plus l’année prochaine, il s’agit simplement de se remettre "dans les clous" dans une logique comptable. Les dépenses relatives aux interventions au Mali et en Centrafrique sont également dans le viseur, dans la même logique.

Les montants d’investissement concernés ici sont de l’ordre de 70 milliards au niveau de la zone euro, soit 0.7% du PIB total. Il s’agit donc plus de cosmétique que d’une quelconque révolution.

Les montants en jeu ne permettront évidemment pas de "réorienter l’Europe", mais ils permettent de sauver la face, s’ils sont accordés. Mais le péché originel a été de signer le pacte de stabilité de 2012, contre rien. François Hollande avait déjà perdu ce combat quelques mois après sa prise de fonction. Combat qui n’a en fait pas été mené.

Qu'espère-t-il concrètement obtenir, est-il envisageable qu'il obtienne une révision du critère de déficit ? Ou bien uniquement l'annulation des dépenses pour la relance assimilées aujourd'hui en dettes structurelles ?

Christophe Bouillaud : Les sept chefs de gouvernement représentent des pays importants parmi lesquels la France et l'Italie, mais je ne vois pas comment revenir sur les 3%. Ils arriveront sans doute à un compromis entre ceux qui souhaitent conserver la politique d'austérité comme Angela Merkel, et ceux qui souhaitent une relance de l'économie européenne. On peut imaginer qu'ils obtiendront des aménagements techniques. Mais il ne faut pas oublier qu'il sera du ressort de la Commission de planifier la mise en oeuvre du Pacte de stabilité. Selon la manière de calculer le déficit structurel de la France parfois il est important, et parfois il n'existe tout simplement pas.

Le problème serait qu'on aille vers un processus de condamnation de la France, et qu'elle soit déstabilisée sur les marchés, ce qui provoquerait un éclatement de tout le système. Bien sûr ce n'est pas envisageable. Donc les pays comme la France ou l'Italie peuvent faire un peut ce qu'ils veulent. Mario Draghi l'a dit lui même "vous ne pouvez pas faire défaut", la France fait partie des pays "too big to fail". Le combat se situe donc au niveau des idées et de la politique à mener en Europe. François Hollande sait très bien qu'il peut jouir des avantages qu'il demande d'autorité, sans rien demander à personne. L'enjeu est aussi de s'inspirer des Etats-Unis, c'est-à-dire à la fois faire en sorte que les budgets soient à l'équilibre, mais également qu'il y ait une forte demande, une croissance. Ce qui s'apparenterait à faire du keynésianisme sans le dire.

Nicolas Goetzmann : Le ministre de l’économie allemand, Sigmar Gabriel, a déclaré cette semaine que de tels ajustements étaient nécessaires. Il a été immédiatement désavoué par l’homme fort du gouvernement d’Angela Merkel, Wolfgang Schäuble, qui a pu indiquer que chacun devait se conformer aux règles. Il visait ici directement Matteo Renzi, François Hollande, mais aussi Sigmar Gabriel. C’est un rappel à l’ordre assez violent pour deux membres du même gouvernement. Mais cela s’inscrit dans le fonctionnement de la grande coalition qu’ont souhaité la CDU/CSU et le SPD à l’automne dernier.

Le plus frappant est que François Hollande ne remet rien en cause sur les principes des règles budgétaires, il essaye simplement de trouver le moyen de "tenir" jusqu’en 2017. S’il considère vraiment que les règles sont inadaptées, il lui appartient de les remettre en cause. Mais non. Il préfère s’inscrire dans une logique de politique des petits pas, qui n’a rien donné pour le moment. Il faut bien le constater.

François Hollande et son gouvernement ont à plusieurs reprises souligné la nécessité de changer la ligne politique européenne. En quoi en sont-ils loin aujourd'hui ? Cette demande d'assouplissement ne vise pas à renverser la politique d'austérité menée jusqu'alors. Quelles mesures radicales pourraient-ils soutenir pour parvenir aux fins qu'ils affichent ?

Christophe Bouillaud : Il leur est difficile de demander mieux, la situation économique est considérée comme molle par les partisans de l'austérité, mais pas désespérée. Ils préfèrent donc se dire que la purge de l'austérité peut continuer. Les autres, eux, disent qu'on ne peut pas attendre la relance, à cause du chômage des jeunes, entre autre. Nous sommes entre deux eaux, la situation économique n'est pas suffisamment nulle pour convertir les partisans de l'austérité vers d'autres formes de politiques.

Le choix de Juncker à la commission est l'illustration même de ce compromis, puisqu'il incarne à la fois l'homme qui a géré l'eurogroup pendant la crise, mais c'est aussi lui qui a accepté qu'on ne respecte pas le premier Pacte de stabilité en 2003, donc il n'est pas partisan. Il l'a dit lui-même d'ailleurs, "nous allons opter pour une austérité raisonnable".

André Bercoff : Dans ce que dit le gouvernement, on ne parle plus de ce qui est pourtant fondamental, qui est la réduction massive des dépenses publiques. D’un côté le gouvernement se dit du côté du socialisme de l’offre, et de l'autre ce même gouvernement se plaint d’un joug terrible au niveau européen.

Nicolas Goetzmann : Encore une fois, il faut revenir à 2012. François Hollande se fait élire notamment sur la promesse de renégocier le pacte budgétaire. Son élection a lieu le 6 mai, et le 7 mai, Angela Merkel lui dit "non" tout en l’invitant les "bras ouverts" à se rendre en Allemagne. Il n'est pas possible de renégocier le pacte budgétaire". Après quelques mois, François Hollande valide le pacte tout en indiquant qu’il a obtenu des mesures de croissance qui justifient cette validation. Des mesures de croissance qui ont tout à voir avec un plat de lentilles. Il ne s’agit même pas d’une négociation.

La mesure la plus radicale que pourrait exiger François Hollande serait le respect de tous les critères. Parce que l’idée des 3% de déficits et des 60% d’endettement n’est "valable" que si la croissance nominale (en tenant compte de l’inflation) est de 5%. C’est d’ailleurs de cette façon que les règles ont été mises en place au départ. 3% de déficits, cela correspond bien à 60% d’une croissance de 5%. Aujourd’hui, les Etats doivent respecter les critères contraignants mais sans la croissance, ce qui implique une politique d’austérité. Le moyen de pression est là. Aussi longtemps que la BCE ne fait pas son travail en soutenant l’activité avec un objectif de croissance clair, les règles budgétaires ne devraient avoir aucune valeur.

Parmi les sept chefs de gouvernement favorables à une orientation plus souple du traitement des déficits et de la dette, une voix porte plus loin que les autres : celle de Matteo Renzi. Comment expliquer la mollesse française ?

Nicolas Goetzmann : Les élections européennes. Matteo Renzi bénéficie d’une forte légitimité en Italie, ce qui lui donne un rôle de leader pour les socio-démocrates européens. Ce rôle devrait être assumé par François Hollande, dans une logique de tandem franco-allemand, mais il n’a tout simplement plus assez de crédit politique pour assurer ce rôle. C’est donc Matteo Renzi qui a repris les clés et qui fait le porte-voix. François Hollande ne fait que le soutenir par son silence.

La "mollesse" s’explique par une incapacité de penser hors cadre. La cadre économique européen est néfaste, les politiques d’austérité sont en place depuis l’année 2010, et 4 ans après, le chômage est encore au sommet. Mais on peut encore trouver des fans d’une telle politique qui pensent qu’il n’y a pas d’alternative. Si on n’accepte pas de sortir du cadre et qu’on essaye simplement de le refaçonner de l’intérieur, par petits bouts, en essayant de ne rien casser autour, on se retrouve avec 15% de popularité et des résultats économiques désastreux. Mais apparemment, François Hollande veut poursuivre dans cette voie.

André Bercoff : Il est intéressant de voir qu’il n’y a plus aujourd’hui de coalition des pays du sud contre les pays du nord. François Hollande est allié à Matteo Renzi, devenu le chevalier des socio-démocrates face à la "Cruella" Angela Merkel qui détient depuis longtemps le chéquier et la carte bleue.

Quel rôle la pratique que François Hollande a du pouvoir, par petits arrangements plus que par grandes réformes, joue-t-elle dans l'actuelle position de la France ? Quels en sont à l'échelle européenne les autres manifestations ?

Nicolas Goetzmann : Un grand vide. Pour le moment François Hollande n’a rien obtenu en Europe. Quand Nicolas Sarkozy a obtenu des résultats sur le plan européen, c’est justement dans les moments où il n’a pas accepté de rester dans le cadre. Crise géorgienne, le cœur de la crise de 2008, les plans de relance etc. Le modèle de fonctionnement de l’Union européenne est basé sur une idée de consensus qui disqualifie immédiatement de telles actions. Pour qu’elles soient réalisables, il faut être capable de s’imposer. Ce n’est même pas une critique à l’endroit de François Hollande, ce n’est pas sa conception du pouvoir, et c’est son choix. Mais avec un tel mode de fonctionnement, il se trouve réduit à un rôle de gouverneur.

L’exemple qui vient à l’esprit est sa tribune dans le journal Le Monde juste avant les élections européennes. Il y indique clairement qu’il va renoncer à son pouvoir, en qualité de membre du Conseil, de choisir le prochain Président de la Commission. Il décide alors de soumettre ce choix au résultat des élections. Cela donne une impression de démocratie, mais la réalité c’est qu’il renonce à un pouvoir qui lui a été donné, et par les traités, et par le peuple français. Et quand on renonce au pouvoir à priori et que vient ensuite le temps des négociations, c’est plus compliqué. Il est le seul chef d’Etat à l’avoir fait.

André Bercoff : A partir du moment où François Hollande est devenu président de la république, et en passant par toutes les affaires que l’on connaît, de Leonarda à Florange, on l’a vu adopter cette position qui consiste à faire deux pas en avant pour revenir en arrière, et finalement faire un pas de côté. Evidemment la position de la France apparaît sans ligne dure. Cela conforte et nourrit sa faiblesse.

Mais au-delà de ça, le problème en profondeur est la manière d’exercer le pouvoir en France. On manque de contre-pouvoirs, comme il peut en exister aux Etats-Unis avec la Chambre des représentants et le Sénat. Hollande a ses qualités et ses défauts, et ses limites (on ne les connaît que trop), mais sans contre-pouvoir véritable, il restera Gulliver chez liliput, il est enchaîné à son bon plaisir.

Comment Angela Merkel profite-t-elle de la situation ?

André Bercoff : Angela Merkel profite du jeu, et assume pleinement son rôle de capitaine de l’Union européenne. Malgré le fait que Cameron ne veuille pas de Junckerà la présidence de la Commission européenne, si Merkel le désire, il le deviendra. Elle accordera sans doute quelques concessions à Hollande, mais elle l’aura quand même.

Nicolas Goetzmann : Pour Angela Merkel, la situation de François Hollande est secondaire. C’est David Cameron qui est le sujet de préoccupation. Ce dernier a indiqué que la nomination de Jean Claude Junker à la Présidence de la Commission serait une cause de rupture. La question va au-delà de la personnalité de Juncker. Ce que ne veut surtout pas Cameron, c’est que le candidat du Parlement soit nommé, et ce candidat c’est Juncker. Si c’est le Parlement qui prend le pouvoir, par rapport au Conseil européen, c’est un pas vers le fédéralisme. Ce qui, au regard des dernières élections au Royaume-Uni, serait perçu comme une humiliation pour Cameron.

Si les socio-démocrates, dont François Hollande, donnent leur aval pour Jean Claude Juncker, contre un autre plat de lentilles, le retrait anglais deviendrait alors vraisemblable. Parce que la menace de Cameron est claire. Du côté allemand, ce point est traité comme étant un "éventuel" dommage collatéral.  Reste la question de François Hollande. Est-il prêt à soutenir Jean Claude Juncker au risque de voir David Cameron lancer un référendum sur la question européenne, tout ça pour quelques ajustements budgétaires (..et une place pour Jean Marc Ayrault) qui n’auront que peu d’effets ? Où va-t-il essayer de prendre un peu la main pour proposer une autre solution ?

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !