Esclaves de leurs hormones (féminines) : comment devenir père change aussi la biologie des hommes<!-- --> | Atlantico.fr
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Les hommes sont aussi victimes de bouleversements biologiques à la venue de l'enfant.
Les hommes sont aussi victimes de bouleversements biologiques à la venue de l'enfant.
©Reuters

Dis bonjour à papa !

Contrairement aux idées reçues, l'esprit paternel existe bel et bien. Les hommes sont également victimes de bouleversements biologiques à la venue de l'enfant.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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L’ignoriez-vous ? Les enfants font les pères. Ou plus exactement, leur venue au monde apporte des changements biologiques chez l’homme. Le cerveau et les hormones masculines se modifient lorsque les papas s’occupent d’enfant. Presque comme la maman. Le paternage pourrait-il finalement se substituer au maternage ?

La question du maternage suscite toujours de vives controverses. Question « d’instinct » ou de conditionnement culturel ? De nombreuses recherches scientifiques ont tenté d’éclairer le débat en explorant les assises biologiques de la relation tendre qui unit la mère à son nourrisson. Ces recherches ont révélé l’importance d’une hormone, l’ocytocine, dans la régulation des interactions de la mère à son enfant – une hormone considérée comme la clef de cet attachement singulier qui, dans les premiers mois, rend maman attentive aux moindres comportements de son bébé en se mettant à son écoute pour prodiguer les soins indispensables.Le bonheur éprouvé dans cette expérience est unique et ne peut se décrire avec des mots, disent certaines femmes : l’ocytocine en serait grandement responsable. Mais le système nerveux intervient aussi : la neuroimagerie révèle que le dialogue non verbal de ce couple à part implique des zones spécialisées dans la compréhension des expressions faciales et du ressenti, de même que des réseaux émotionnels et motivationnels. L’ocytocine pourrait contribuer à activer certains de ces réseaux. Le grand amour maternel aurait ainsi des fondements neurobiologiques. Est-ce à dire que le maternage serait réservé aux mères ?

Dans ces dernières années, la neurobiologie s’est tournée vers le père. Après tout, les hommes sont de plus en plus impliqués dans les soins aux enfants. Même s’ils sont encore loin de consacrer autant de temps à leur progéniture que leur femme, une enquête récente montre que les hommes d’aujourd’hui s’occupent cinq fois plus de leur enfant que les pères de 1965. Mais être père s’accompagne-t-il de modifications aussiprofondes qu’être mère ? Il semblerait bien que oui. Lorsqu’un père prend soin de son enfant, des modifications hormonales apparaissent. En particulier, chez lui aussi, l’ocytocine s’élève. Des hormones féminines comme la prolactine et l’œstrogène augmenteraient également. La testostérone, en revanche, baisserait – pour atténuer, dit-on,l’impulsivité et l’agressivité. En neuroimagerie, le contact avec l’enfant produit par ailleurs chez le père des activations de circuits neuronaux tout à fait comparables à ceux des mères.

De plus, un dernier rempart de la spécificité maternelle vient de s’écrouler. On a longtemps pensé que les mères avaient un sens particulièrement aiguisé pour reconnaître les pleurs de leurs enfants. Eh bien, non. Une recherche comparant des hommes et des femmes de deux cultures (française et africaine) dans une tâche consistant à repérer les pleurs de leur propre enfant parmi cinq autres révèle que les hommes réussissent aussi bien que les femmes.

Ces recherches passionnantes montrent jusqu’à quel point hommes et femmes peuvent être interchangeables dans la relation de soin à l’enfant. Elles appellent néanmoins deux remarques.

Après des siècles consacrés à célébrer son autorité en s’appuyant sur des dispositions naturelles, tout pousse à croire aujourd’hui que le père pourrait faire une mère comme les autres. Ne serait-on pas cependant, avec la complicité des neurosciences, en train de passer d’une caricature à une autre ? La complexité des liens ne se ramène pas à de simples questions d’hormones et de cartographie neuronale. La relation qu’on noue avec l’enfant qui sort de son ventre peut-elle être vraiment identique à celle qu’entretient celui qui n’a pas porté l’enfant ? Une recherche originaleindique le contraire. Elle compare en neuroimagerie des pères et des mères dans un contexte inédit : parmi les pères, certains sont homosexuels et veillent sur leur enfant comme une mère tandis que d’autres, hétérosexuels, partagent les soins avec la mère. Dans tous les cas – hommes comme femmes -, le comportement parental s’appuie sur deux réseaux neuronaux : l’un est un réseau sous-cortical, émotionnel ; l’autre, un réseau cortical impliqué dans la mentalisation et la planification. Maisle réseau émotionnel est toujours plus activé chez les mères, alors que le réseau planificateur est plus activé chez les pères. Seuls les pères homosexuels ont une activation comparable de ces deux zones qui les rendent semblables aux pères hétérosexuels du point de vue cortical et aux mères hétérosexuelles du point de vue sous-cortical. Ainsi tout se passe comme si l’homme – dans certaines conditions qui font de lui une mère à part entière – parvenait à rejoindre la femme, mais par le détour d’une mentalisation. On pourrait dire que le père homosexuel parvient à réunir les deux aspects de la parentalité en une seule personne. Est-ce souhaitable ?

Ceci nous amène à la deuxième remarque. Les études contemporaines se préoccupent avant tout du maternage et de la place que doit y tenir le père, en tentant de montrer qu’il peut s’y montrer presque équivalent à la mère. Or ce qui me frappe dans ma pratique de psychiatre, c’est l’apparition de troubles contemporains qui paraissent relever non pas de défauts,mais plutôt d’excès du maternage. Lorsqu’un enfant est élevé par une mère célibataire, et surtout s’il est seul, on a parfois l’occasion de constater les ravages que provoque la propension maternelle à materner s’il ne lui est pas opposé de freins. Certes, il est utile que les rôles soient moins contrastés qu’autrefois et que les pères d’aujourd’hui s’impliquent davantage dans les soins précoces de l’enfant. De nombreuses recherches en démontrent les avantages. Et il n’y a pas lieu d’être surpris qu’un père ait les moyens biologiques de faire face à la tâche : si l’on est darwinien, on jugera que la nature a bien prévu les choses en permettant au père de se substituer à la mère si nécessaire. Mais puisque l’on parle de nature, notons que dans le règne naturel, l’attachement du mammifère à son parent est suivi d’un détachement permettant l’autonomisation. Chez le petit singe, par exemple, ce détachement est provoqué par la curiosité qui le pousse à quitter le giron de sa mère; il est favorisé par quelques tapes de cette dernière qui ne l’encouragent pas à rester agrippé à sa fourrure. Nous ne sommes pas des macaques et le détachement de l’enfant humain repose sur des données affectives et cognitives bien plus complexes. La place du père, ou du moins d’un tiers, y joue un rôle particulièrement important. Celle (ou celui) qui me ravit par ses soins ne m’appartient pas totalement, elle appartient également à un(e) autre : voilà qui est fondamental pour éviter une dépendance totale, voilà qui pose les bases du détachement et de l’autonomisation. Pour cela, des rôles différenciés entre un parent soignant et un parent séparateur ne sont-ils pas indispensables, même si, biologiquement, ils se montrent très proches?

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