La lourde erreur de diagnostic économique qui plombe la zone euro<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement fait une erreur de diagnostic économique.
Le gouvernement fait une erreur de diagnostic économique.
©Reuters

C'est grave docteur ?

La Banque centrale européenne et le gouvernement s’accordent sur un point : les entreprises n’ont pas accès au crédit et il faut remédier à cette situation. Pourtant, une telle vision est réductrice de la crise actuelle que traverse l’Europe. La confusion règne autour de la politique monétaire européenne au moment même où le FMI réclame une intervention plus forte de la BCE, sur le modèle américain de l’assouplissement quantitatif.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le diagnostic du Gouvernement : les banques ne prêtent pas

Le mardi 10 juin 2014, Arnaud Montebourg  déclarait : "Il est nécessaire que la France décide de se passer de son système bancaire". La vision ici défendue par le ministre de l’Economie est que le secteur financier français serait coupable de ne pas prêter suffisamment aux entreprises, et notamment aux plus petites d’entre elles. Cette carence de financement serait la cause du marasme économique actuel. La question posée est essentielle, si ce n’est véritablement déterminante.

La semaine passée, la Banque centrale européenne annonçait (notamment) la mise en place d’un nouveau plan de soutien à l’économie, baptisé TLTRO (Targeted Long Term Refinancing Operations). Ce plan vise à offrir des conditions attractives au secteur financier si celui-ci veut bien se résoudre à prêter aux entreprises non financières. Autrement dit, à " l’économie réelle ". Cette action de la BCE a été saluée aussi bien par Arnaud Montebourg, Michel Sapin, Manuel Valls que par François Hollande. Une mesure qui rejoint la phrase précitée d’Arnaud Montebourg du mardi 10 juin, car elle vise à augmenter l’offre de crédit disponible aux entreprises. Ce qui est donc ici pointé par tous est un problème d’accès au crédit, c’est-à-dire d’offre de crédit.

Une telle vision est pourtant à prendre avec des pincettes. Car il s’agit peut-être d’une cause fondamentale de l’incapacité de l’Europe à sortir de la crise. Une confusion entre deux notions : monnaie et crédit.

>>> A lire également en deuxième partie de cet article: LTRO 0 - QE 1 : pourquoi c’est d’un quantitative easing de la BCE dont nous avons vraiment besoin

Des agents économiques qui cherchent à réduire leurs dépenses

La situation économique européenne traduit une volonté collective de "faire attention", de réduire ses dépenses, de baisser les coûts et les salaires etc. c’est-à-dire une volonté "d’économiser". Que ce soit pour les Etats, pour les banques, pour les entreprises, ou pour les ménages, chacun y va de son plan d’austérité.

Monsieur X avait l’habitude d’aller au restaurant du coin pour son déjeuner. Mais le contexte économique est morose. Il craint pour l’avenir et décide de ne plus dépenser cet argent. Par cette action, Monsieur X réduit ses dépenses. Son incertitude face à l’avenir le pousse à un faire un choix. Ce qu’il ne veut pas, c’est dépenser. Mais il s’agit ici d’une définition négative qui ne renseigne que sur ce qu’il ne veut pas. Et que veut Monsieur X ? Garder son argent. Et "garder son argent", cela se traduit en termes économiques en une "hausse de la demande de monnaie". Une baisse de dépenses est donc la conséquence d’une hausse de la demande de monnaie. Une situation  qui se reflète sur l’ensemble de la zone euro.

Ce phénomène permet de citer l’économiste américain Leland Yeager qui indiquait dès les années 50 : "Une dépression est un excès de demande de monnaie, dans le sens que le public souhaite détenir plus de monnaie qu’il n’en existe." (A cash balance interpretation of depression. Leland Yeager ).

En partant d’un tel constat, quel sera le comportement d’agents économiques qui souhaitent "détenir plus de monnaie qu’il n’en existe" ? Comme cela est dit précédemment, la première conséquence sera de réaliser le maximum d’économies, de couper dans les dépenses. Une deuxième solution serait de contracter un crédit. Mais dans la réalité, il est assez rare de croiser le cas d’une personne qui emprunte dans le seul but de " détenir de la monnaie ", c’est-à-dire dans le but de ne pas dépenser le montant emprunté.

Voilà pourquoi une augmentation de l’offre de crédit comme elle est demandée par Arnaud Montebourg,  et exaucée la semaine passée par la BCE, ne permet pas de résoudre les problèmes actuels de l’économie européenne. En effet, augmenter l’offre de crédit pourrait être logique si les acteurs économiques manifestaient une réelle volonté d’emprunter plus. Or, les agents économiques ont pour habitude d’emprunter pour consommer ou investir, et non, encore une fois,  pour répondre à un besoin de " détenir plus de monnaie ". Une hausse de la demande de crédit ne découle tout simplement pas du même phénomène économique qu’une hausse de la demande de monnaie.

Plus de crédits : une réponse inadaptée au contexte

Ainsi, l’augmentation de l’offre de crédit pourrait bien être une réponse dans une économie dominée par la volonté de consommer plus et d’investir plus, mais le contexte actuel ne ressemble manifestement pas à cette hypothèse. Il reste à rappeler qu’entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2014 ; la croissance totale de la zone euro est toujours négative de -2.6%. Aux Etats-Unis, le "trou" de la crise a été comblé depuis le 2e trimestre 2011. Pour le contexte actuel, et comme le rappelait le Sentix Group Research en début de semaine passée : "Il s’agit de la seconde baisse consécutive pour la zone euro. Les investisseurs jugent la situation actuelle comme étant bien pire que lors des mois précédents. Leurs prévisions à 6 mois sont également à la baisse." Le 5 juin dernier, la dégradation par la BCE des anticipations de croissance en zone euro  à 1% pour 2014 enfonce le clou. Le sentiment dominant ressemble bien plus à une volonté de réduire les dépenses qu’à l’euphorie. Il s’agit là de la différence cruciale entre un contexte de hausse de la demande de monnaie et un contexte de hausse de la demande de crédit.

En augmentant l’offre de crédit, l’Europe donne à boire à un âne qui n’a pas soif. Bien entendu, il peut exister des cas ou les petites et les moyennes entreprises sont bloquées dans leurs projets, dans leur volonté d’embaucher, pour se développer, mais il n’est pas soutenable de prétendre qu’il s’agit d’un phénomène global et dominant dans l’Europe actuelle. Une meilleure offre de crédit permet de soulager les entreprises confrontées à une telle situation, mais ne traite en rien le problème majeur de la demande de monnaie. Si l’Europe offre à la crise une réponse par le "crédit", les Etats Unis, entre autres, ont opté pour une réponse par la "monnaie". Le pays a en effet procédé à une augmentation de la quantité de monnaie disponible à travers différentes actions menées par sa banque centrale.  Et ce, de façon prioritaire.

Les résultats sur l’économie réelle

En agissant de la sorte, le sentiment des acteurs économiques a basculé aux Etats Unis. Au cours de la crise, la volonté dominante était de tout "économiser", de licencier, de tailler dans les dépenses,  et traduisait ainsi une même "préférence pour la monnaie" que celle que nous connaissons dans l’Europe actuelle. Mais la FED est venue répondre à cette demande en donnant à l’économie ce dont elle avait besoin : une augmentation de la quantité de monnaie. Parce que les marchés financiers sont une machine à anticiper, une telle action de colmatage a été immédiatement prise en compte : puisque la cause du marasme se dissipe, les agents économiques n’ont plus de raison de réduire leurs dépenses. Les révisions à la hausse des anticipations de croissance se succèdent, et l’économie repart.

La comparaison entre la technique mise en place aux Etats Unis et celle mise en place en Europe peut se résumer à l’observation de la croissance du PIB à prix courants (en tenant compte de l’inflation) depuis 2008, aujourd’hui plus de 10 points séparent les deux zones.

Croissance nominale. Europe / Etats-Unis. Indice base 100 au 1er trimestre 2008.

La recette a été "plus de monnaie" et non pas "plus de crédit" comme a pu le faire la BCE. En octobre 2009, le taux de chômage en zone euro et aux Etats-Unis campait au même niveau : 10% de la population active. Les différences de politique macroéconomique ont décidé de la suite :

Taux de chômage. Europe (rouge) / Etats-Unis (bleu)

Le résultat de l’opération est que la croissance est bien revenue aux Etats-Unis, le chômage baisse, et la dépression s’est dissipée.

En Europe toujours rien, et ce alors même que l’option "crédit" avait déjà été tentée, notamment en 2012 lors de la mise à disposition de 1 000 milliards d’euros de crédit par la BCE, dans un plan nommé LTRO (Long Term Refinancing Operations).

Monnaie et crédit sont liés, mais ils ne sont pas la même chose.

>>> A lire également en deuxième partie de cet article : LTRO 0 - QE 1 : pourquoi c’est d’un quantitative easing de la BCE dont nous avons vraiment besoin

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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