Grève SNCF : prendre systématiquement les usagers en otage a-t-il permis aux agents français d’être mieux protégés que leurs collègues européens moins vindicatifs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les agents de la SNCF font grève régulièrement mais n'en sont pas pour autant mieux payés que leur collègues européens.
Les agents de la SNCF font grève régulièrement mais n'en sont pas pour autant mieux payés que leur collègues européens.
©Reuters

Le match des statuts européens

Peu adeptes de la grève, les cheminots britanniques et allemands sont pourtant mieux rémunérés que leurs homologues français de la SNCF.

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : 14% des agents de la SNCF sont actuellement en grève car ils considèrent que la réforme ferroviaire va nuire à leur statut. Quel est actuellement le statut des cheminots français et en quoi leurs acquis sociaux sont-ils menacés ?

Alain Bonnafous : Le statut des cheminots leur donne des avantages qui sont censés compenser des sujétions importantes qui peuvent concerner par exemple des obligations de travail de nuit ou les jours fériés. Il apporte des avantages non négligeables en matière de garantie de l’emploi ou d’augmentations salariales mécaniques. Il s’agit de dispositifs très proches de ceux de la fonction publique et parfois même avec des règles plus avantageuses, s’agissant par exemple de droits à la retraite.

Ce statut est consigné dans le "RH0001", un référentiel interne à la SNCF qui fixe les éléments essentiels du contrat de travail des cheminots : rémunération, avancement des carrières, règles de mobilité, congés, etc. Il est clair pour tout le monde, y compris pour les cheminots, que ce statut n’est pas menacé par le projet de loi. Il y a même eu sur ce point un engagement écrit du ministère obtenu par la CFDT.

Le vrai motif de la grève est un enjeu à venir. La loi prévoit l’établissement concerté d’un cadre social commun à tous les salariés des entreprises ferroviaires, EPIC ou sociétés privées. Or il existe un décret de 1999, appelé "RH0077", élément fondamental de la réglementation de la SNCF qui définit les amplitudes journalières maximales de travail, les temps de coupures et repos, etc. C’est là qu’ont été logées des "conquêtes sociales" successives accumulées au gré des conflits et qui sont considérées par les syndicats comme autant d’acquis sociaux.

S’il s’agit de préparer la SNCF à l’ouverture à la concurrence, on ne peut imaginer que soient conservées toutes les dispositions de ce texte, par exemple, celles qui ont pour conséquence qu’un agent roulant de Fret SNCF travaille au mieux 160 jours par an alors que c’est plus de 200 jours chez un concurrent, qu’il opère en France ou ailleurs en Europe.

Dans les pays qui n’ont pas cette culture de la grève la situation des agents ferroviaires est-elle moins avantageuse ?

J’ai souvenir d’une conversation de couloir, au sein du Conseil National des Transports, avec deux cheminots représentants d’un syndicat non gréviste aujourd’hui. Revenant d’une mission au Royaume-Uni, plusieurs années après la libéralisation de 1993, ils s’étonnaient d’avoir rencontré des collègues mieux payés qu’eux pour des métiers équivalents, alors qu’auparavant, les agents des BR étaient généralement moins bien payés que ceux de la SNCF. C’était en fait une comparaison devenue banale.

Les agents de la SNCF sont moins bien payés que leurs collègues anglais ou allemands par exemple, mais ces derniers travaillent évidemment plus et avec moins de rigidités. Pour reprendre le nombre de jours ouvrés du personnel roulant, il est de 25 à 30 % supérieur chez nos voisins.

Concernant les effets de la culture de la grève sur la réalité des conditions sociales, on peut noter que selon l’Institut Hans Böckler, entre 1995 et 2006, on a recensé 71 jours de grève par an pour 1000 salariés à la SNCF contre 24 au Royaume-Uni  et 2,4 en RFA. Cherchez l’erreur.

Vu d'ailleurs : comment les statuts des agents du ferroviaires de nos voisins européens ont-ils évolué ? 

Au Royaume-Uni, le statut des agents est relativement simple. Toutes les entreprises ayant été privatisées, les salariés relèvent donc du droit privé. Et ce, depuis le Big bang de la  loi de 1993. Rail Track, le réseau, a dans une certaine mesure été repris en main par les pouvoirs publics pour des raisons financières et politiques au début des années 2000. Toutes les autres entreprises ont un statut de droit privé.

Dès lors comme dans toutes les activités, un salarié roulant susceptible de fonctionner la nuit et les jours fériés bénéficiera de compensations. D'une manière générale, les salariés britanniques du ferroviaire perçoivent de meilleures rémunérations mais sont moins bien lotis en termes de temps de repos et de durée du travail.  Il est extrêmement difficile de généraliser car plusieurs dizaines d'entreprises de transport ferroviaire existent outre-Manche et chacune fonctionne selon son propre mode.

En Allemagne, les agents de la Deutsche Bahn (DB) ont accepté des réorganisations du travail après la réforme du milieu des années 1990 qui consacrait l'ouverture à la concurrence.

Les agents qui ont fait le choix de rester salarié de la DB ont pu conserver un certain nombre d'avantages, notamment liés à l'évolution de carrière ou leur retraite, mais pas tous. Cet accord avait été conclu suite à de longues négociations entre les syndicats, la DB et l'Etat fédéral. Ainsi, un salarié de la DB reste un peu plus couteux que salarié d'opérateurs privés. Ce surcoût est en partie compensé par l'Etat fédéral qui avait également repris la dette de la DB au moment de la privatisation. 

Au final, si l'on prend en compte des critères comme la progression de carrière, le régime des retraites, l'organistaion du travail et les congés, les cheminots français demeurent de loin les mieux lotis, relativement à leurs collègues allemands et britanniques. 

Avec atlantico.fr

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