Petits salaires : salariés du public ou du privé, qui sont vraiment les plus à plaindre<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration // Une employée dans une chocolaterie gérant des euros en chocolat.
Photo d'illustration // Une employée dans une chocolaterie gérant des euros en chocolat.
©Reuters

Le match

Alors que le statut des agents SNCF fait beaucoup parler de lui, bien que le gouvernement ait assuré qu'il n'y toucherait pas, la situation des fonctionnaires, elle, évolue en toute discrétion.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite.

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Atlantico : La ministre de la Décentralisation, de la Réforme de l'Etat et de la Fonction publique Marylise Lebranchu a proposé un allègement dégressif des cotisations retraites des fonctionnaires "les moins bien payés", c’est-à-dire rémunérés jusqu'à un smic et demi (558 euros par an pour un smic). Sachant que ceux-ci ont déjà reçu une augmentation de 552 euros sur deux ans à compter de janvier 2014, à combien cela porterait-il le niveau de rémunération des bas salaires de la fonction publique ?

Henri Sterdyniak : En 2014, le niveau du SMIC brut est de 1445 euros par mois. Les salariés au SMIC ont bénéficié d’une hausse de 1,1% le 1er janvier 2014. Dans la fonction publique, les fonctionnaires de catégorie C, recrutés en principe par concours, commencent à 1463 euros, soit 1,25% au-dessus du SMIC. Piètre privilège ! Cependant, le point de la fonction publique est gelé depuis 2010 et devrait le rester jusqu’en 2017. Le bas de la grille de la fonction publique court ainsi en permanence le risque d’être rattrapé par le SMIC. Comme l’Etat ne veut pas revaloriser le salaire de l’ensemble de ses agents, ne veut même pas les indexer sur l’inflation, les gouvernements successifs sont obligé de faire des gestes en fonction des fonctionnaires du bas de la grille. 552 euros sur 2 ans, cela devrait faire 0,6% de hausse de pouvoir d’achat par an. Mais, tous les fonctionnaires subissent une hausse spécifique de leur cotisation retraite de 0,27% par an. Au bout de la course, il restera 0,3% de hausse de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires du bas de l’échelle.

Le gouvernement a, par ailleurs, décidé une mesure saugrenue : un allègement dégressif des cotisations retraites salariés. Saugrenue car cela complique encore la fiche de paie. Saugrenue car les cotisations retraites sont contributives ; elles ouvrent des droit à une retraite dépendant en principe des cotisations versées. Faut-il rompre ce lien ? Saugrenue car cela dégrade encore la situation financière des régimes de retraite. Pour rajouter à la complication, la réduction pour les fonctionnaires devrait être différente et légèrement plus généreuse que celle des salariés du privé. Comprenne qui peut !

Les bas salaires du privé n'étant pas concernés par cette augmentation sur deux ans, à quels écarts de rémunérations cela donne-t-il lieu entre les fonctionnaires, les salariés des grandes entreprises privées et ceux des PME ?

Henri Sterdyniak : Au bas de l’échelle, il y a finalement très peu d’écart entre les salaires du public et du privé. En 2011, dans la catégorie "employés et ouvriers", le salaire moyen net était de 1596 euros dans le privé ; de 1609 euros dans la fonction publique territoriale ; de 1645 euros dans la fonction publique hospitalière. Les salariés du privé bénéficient des relèvements automatiques du SMIC et d’un effet de répercussion. Au contraire, les salariés du public souffrent du gel du point de l’indice.

Pour une grande part, les bas-salaires du privé sont des travailleurs en situation précaire, souvent des femmes, soumises à des horaires atypiques et flexibles, généralement en situation de sous-traitance. Mais, il ne faut pas oublier que les contractuels représentent maintenant 17 % de la fonction publique, avec des situations très différenciées certes, mais la  précarité s’y développe aussi.

Gilles Saint-Paul : Il est important de distinguer les salariés du privé qui bénéficient de conventions collectives généreuses des autres. Les employés d'entreprises para-publiques sont en général mieux lotis que les fonctionnaires (comités d'entreprise, régimes spéciaux de retraite, salaires plus élevés, etc). Les employés de PME ont au contraire moins d'avantages. Ils gagnent en moyenne 10 à 15 % de moins que ceux des grandes entreprises. En moyenne, les fonctionnaires sont mieux payés que les travailleurs du privé. En 2011, le revenu salarial moyen des fonctionnaires était supérieur d'environ 10 % à celui des employés du privé. Cependant, cet écart tend à se resserrer depuis vingt ans. Pour la plupart des niveaux de qualification, les fonctionnaires profitent d'une rente qui est allouée grâce aux concours d'entrée dans la fonction publique. Il est donc possible pour l'Etat d'isoler le salaire des fonctionnaires de forces du marché, et même de geler le point d'indice pendant quelques années sans pour autant inciter les fonctionnaires à partir vers le privé.

Malgré le gel de l'indice des salaires dans la fonction publique, les "petits fonctionnaires" bénéficient-t-ils tout de même d'avantages sur leurs équivalents du privé ? Lesquels ?

Gilles Saint-Paul : Les "petits fonctionnaires" sont ceux pour lesquels l'écart de rémunération est le plus grand; leurs homologues du privé étant généralement coincés au SMIC. De même, ils sont ceux qui bénéficient le plus de la sécurité de l'emploi, les travailleurs les moins qualifiés du privé étant les plus exposés au risque de chômage. Ces différences s'amenuisent lorsqu'on monte l'échelle des qualifications, les hauts fonctionnaires étant moins bien rémunérés que les cadres supérieurs du secteur privé.  Les diverses "primes" entrent elles dans la jungle des "mesures catégorielles" et tendent à échapper aux politiques publiques. Ainsi, la RGPP prévoyait de transférer 50 % des économies réalisées aux fonctionnaires sous formes de primes (ce qui est en soi discutable mais a sans doute servi à acheter l'accord des syndicats), mais on a en fait observé une dérive dans les versements de primes qui ont excédé cet objectif sans que Matignon ou Bercy semblent en mesure de s'y opposer. On peut craindre que de telles mesures catégorielles ne viennent à nouveau compenser insidieusement le gel du point d'indice, ce qui annulerait les économies prévues. D'où l'importance de réduire le nombre de fonctionnaires plutôt que de tabler sur des mesures salariales dont la mise en œuvre est incontrôlable.

Henri Sterdyniak : Jusqu’à présent, le grand avantage de la fonction publique est la possibilité pour des personnes entrées en bas de l’échelle de progresser, de suivre des formations, de passer des concours ou de bénéficier de promotions internes. C’était aussi le cas dans certaines grandes entreprises du privé. Le risque aujourd’hui est que cette possibilité de promotion interne se tarisse, que les entreprises réussissent à isoler une partie importante de leurs postes de travail pour les  confier à des entreprises de sous-traitance dont les salariés n’auront aucune possibilité d’évolution et de promotion. Ce serait tragique pour l’unité des salariés dans chaque entreprise et donc pour la cohésion sociale de notre société.  La ligne de rupture aujourd’hui n’est pas entre les salariés du public et les salariés du privé ; elle oppose ceux qui pensent que la société française doit chercher à promouvoir l’ensemble de ses travailleurs et ceux qui pensent que la seule issue est d’accepter le gonflement des inégalités et que la France doit bâtir sa compétitivité sur la paupérisation d’une partie importante de sa population. Dans la première optique, le secteur public montre l’exemple : chaque entreprise doit se donner comme objectif d’offrir des perspectives de carrières à chacun de ses salariés.

Par ailleurs, pour bien marquer l’unité des salariés, certaines mesures seraient utiles : faire payer des cotisations chômage à tous les salariés d’un côté ; soumettre à l’impôt les rémunérations extra-salariales (intéressement, participation, PERP, etc.), interdire les retraites chapeau, refonder les complémentaires santé dans l’assurance maladie universelle.

La pension de retraite des fonctionnaires est calculée sur les six derniers mois de traitement, contre  les 25 dernières années dans le privé. Là aussi, les "petits retraités" de la fonction publique sont-ils largement avantagés sur ceux du privé ? Dans quelles proportions ?

Henri Sterdyniak : Comme l’ont montré de nombreuses études du COR ou de la DREES, le taux de remplacement net des retraites (le rapport entre la première retraite et les derniers salaires) est pratiquement le même dans le secteur public et dans le secteur privé. Par exemple, pour la génération 1942, il était de 78,8% dans le privé ; de 78,2% dans le public. Certes, la retraite du secteur public est calculée sur leur traitement indiciaire des six derniers mois, mais les primes ne sont pas prises en compte (or, leur poids dans le traitement augmente) ; la retraite des salariés du public dépend de la valeur du point d’indice dont le pouvoir d’achat a baissé de 12% en 12 ans. Les salariés du public n’ont pas de retraite chapeau et leur employeur ne cotise pas pour eux à un régime de retraite complémentaire (ni d’ailleurs à un régime complémentaire santé). Pour le privé, il faut bien sur ajouter les régimes complémentaires Arcro et Agirc au régime général. Prétendre que les salariés du public ont des avantages exorbitants relève donc de la désinformation.

Gilles Saint-Paul : L'avantage de la fonction publique en termes de retraite est considérable; non seulement leur retraite est indexée sur les six mois de salaire, mais elle représente 75 % de celui-ci, contre 50 % pour le secteur privé. A salaire égal, un fonctionnaire qui se trouverait brusquement reversé dans le régime général des retraites perdrait 40 % de sa retraite.

Ces avantages ne sont que partiellement financés par les cotisations sociales, ils viennent grossir le poids de la dette publique. Ce qui signifie tout simplement qu'à terme les salariés du privé devront non seulement cotiser à leur propre régime de retraite, mais aussi payer celles des fonctionnaires au moyen d'impôts supplémentaires. Comme on a vu par ailleurs que les fonctionnaires sont en moyenne mieux rémunérés, ces transferts sont complètement régressifs.

En principe, les fonctionnaires pourraient "payer" pour leurs avantages aux moyens de salaires plus faibles; c'est ce qui se passerait si le marché du travail était concurrentiel. Il annulerait alors tout avantage salarial, et compenserait tout avantage non salarial par des salaires plus faibles. En fait, la sécurité de l'emploi permet aux syndicats de négocier des avantages conséquents. Ainsi les rentes ne sont pas annulées par des salaires plus faibles, mais se traduisent par des restrictions d'accès à la fonction publique. En 2008, le taux de réussite aux concours de la catégorie C n'était que de 6,6 %. On notera qu'il était deux fois plus élevé pour la catégorie A, dont les fonctionnaires sont moins avantagés relativement à leur équivalent dans le secteur privé.

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