Grand Stade de Lille : Martine Aubry et Michelle Demessine prochainement convoquées par la justice ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Grand Stade de Lille.
Le Grand Stade de Lille.
©Reuters

Du pain, des jeux... et des gros sous ?

Selon un rapport de la PJ du 10 décembre 2013, la maire (PS) de Lille, ex-présidente de la Communauté urbaine et la sénatrice (PC) du Nord, ancienne présidente de la commission Grand Stade sont susceptibles d’être mises en cause pour usage de faux. Vont-elles être entendues par la juge d’instruction ? Après 18 mois d’enquête, l’hypothèse n’a rien d’absurde

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Après la mise en examen de deux fonctionnaires de la Communauté urbaine, l’audition des politiques n’est plus à exclure
  • Un mystère toujours pas dévoilé : pourquoi la Communauté urbaine a-t-elle choisi Eiffage pour la construction du Grand Stade  de préférence à Norpac, pourtant beaucoup moins cher ? 
  • La maire de Lille Martine Aubry et la sénatrice Michelle Demessine, sollicitées pour répondre aux questions d’Atlantico.fr n’ont pas donné suite
  • Sans la pugnacité d’Eric Darques, qui traque les dérives des élus depuis des années dans la région Nord-Pas-de-Calais, jamais une information judiciaire n’aurait été ouverte sur le Grand Stade
  • Me Joseph Breham  qui n’hésite pas à s’opposer au procureur de Lille,  souhaite que l’information judiciaire soit étendue à des faits de favoritisme. Et réclame l’audition de plusieurs élus. De toutes tendances confondues.

Le parquet de Lille va –t-il ouvrir une information judiciaire pour favoritisme dans l’affaire du Grand Stade  qui vient de connaître une accélération avec la mise en examen -pour faux- de deux fonctionnaires de la Communauté urbaine ? Le temps pour les politiques de fournir des explications à la doyenne des  juges  du Tribunal  de Lille, Fabienne Atzori, qui instruit depuis le 1er octobre 2012, ce dossier ultra- sensible, est-il venu ? L’hypothèse n’a rien d’absurde si l’on en croit  le rapport de la Direction interrégionale de la Police judiciaire daté du 10 décembre 2013. 

Ce dernier écrit en effet, que, outre Vincent Thomas, ex-chef du projet du Grand Stade et Stéphane Coudert, ancien  directeur du projet du Grand Stade, les deux fonctionnaires épinglés, Michelle Demessine, sénatrice (PC), ex- présidente de la commission Grand Stade et Martine Aubry,  présidente de la Communauté urbaine (PS)  - du  18 avril 2008 au 18 avril 2014- pourraient  éventuellement "se voir reprocher  des faits d’usage de faux". Prudent toutefois, l’auteur du document conclut : "Il restera à apprécier de l’opportunité de la délivrance d’un réquisitoire supplétif dans le cadre des faits  pouvant relever de la qualification d’octroi d’avantage injustifié (favoritisme) , faits pouvant être envisagés dans le cadre des recueils d’informations et pièces, effectués lors de nos investigations."  A la clé, des questions capitales : pourquoi  les élus de la Communauté urbaine ont-ils confié, in fine, la construction du Grand Stade à Eiffage de préférence à Norpac ( Bouygues),  pourtant moins cher de 108 millions d’euros. (440 millions d’euros pour Eiffage, 332 pour Bouygues) ? Pourquoi le rapport  favorable à Norpac, daté du 23 janvier 2008, ne l’était plus le 1er février ?  Pourquoi n’a- t-il pas été transmis  aux élus ? 

Pour comprendre une affaire  qui inquiète  en raison des  scandales qui  ont plombé le PS régional, un retour en arrière s’impose. Nous sommes le 17  mars 2006. Une commission d’élus de la Communauté urbaine  présidée par Pierre Mauroy choisit  le site qui doit abriter le Grand Stade de Lille : ce sera  "La Grand’ Borne" qui se trouve sur les communes  de Villeneuve d’Ascq et Lezennes. Le 17 mars,  c’est un stade d’une capacité de 50 000 places qui est retenu.  Début 2007,  trois groupements se déclarent candidats : 1- Eiffage 2-  Norpac ( Bouygues) 3- Vinci. Dès lors, tout s’accélère. Le 15 juin, les entreprises montrent maquettes et vidéos à la Communauté urbaine. Le 21 décembre 2007, les candidats remettent leurs offres finales. A l’issue d’une analyse qui se déroule les 14, 15, et 16 janvier 2008,   Norpac arrive en tête suivi d’Eiffage et de Vinci. Une synthèse de 9  pages  atterrit  bureau de la communauté urbaine le lundi 21 janvier 2008. Le 23 janvier, Norpac est choisi.  Tout semble réglé. Survient alors un coup de théâtre lors  d’une  nouvelle délibération qui se déroule le 1er février 2008. C’est Eiffage qui est retenu.  Exit Norpac !  Troublant...

C’est alors qu’ Eric Darques entre en scène. Depuis quinze ans, il traque tout ce que la région compte de dérives d'élus. Il fait peur. Souvent, on l’alerte sur telle ou telle malversation. Aussi, est-ce sans surprise qu’il reçoit, courant février 2008,  un courrier anonyme relatant qu’il est parfaitement anormal que Norpac ait été éjecté  du marché au profit  d’Eiffage. Du coup,  Darques part en chasse. La suite, il la raconte sur PV à la juge Atzori, le 21 mars 2013.

Le 18 septembre 2008, confie-t-il,  il  se rend à la mairie de Lambersart. L’édile, Marc-Philippe  Daubresse, ancien ministre UMP du Logement veut le voir. D’emblée, il lui lance : "M. Darques, intéressez-vous au grand Stade, car c’est Eiffage qui a été choisi alors que c’était beaucoup  plus cher". "Vous avez des éléments ?", questionne Darques. "Oui, oui", répond Daubresse.  Quelque temps après, les deux hommes se revoient. L’ancien ministre lui remet un rapport d’analyse des offres du 23 janvier 2008 ainsi qu’une revue de presse qui reprend l’historique du Grand Stade. Au fil des jours, Darques qui accumule des documents, s’interroge : comment  expliquer que  Norpac, classé  premier le 23 janvier, se trouve rétrogradé huit jours plus tard,  au profit d’Eiffage ?  Comment est-il possible  que ce groupe, qui propose un prix 34% plus cher que Norpac, décroche la construction du Grand Stade ? Notre Sherlok Holmes de la délinquance économique poursuit ses investigations. Et apprend que ce marché a fait l’objet d’une intense campagne de lobbying de la part d’un ou deux élus importants. Que bon nombre d’entre eux  qui avaient affirmé publiquement voter pour Norpac se sont finalement ralliés à Eiffage.

Galopent les semaines. Et grandissent les doutes de Darques sur la régularité du marché.  Après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à se constituer partie civile. Jusqu’à ce que le 1er octobre 2012, - deux mois et demi  après l’inauguration du Stade- le parquet ouvre une information judiciaire pour faux et usage de faux. La juge Fabienne Atzori commence ses investigations. L’avocat de Darques, Me Joseph Breham,  un combatif, ne reste pas inactif. Et adresse, le 1er mai 2013, une lettre à la magistrate dans laquelle il lui demande d’entendre un certain nombre d’élus. Ils ont nom : Pierre Mauroy,(PS) ancien président de la Communauté urbaine ( décédé le 7 juin 2013), Marc-Philippe Daubresse (UMP), qui selon Me Breham, semblait opter pour Norpac avant de choisir Eiffage au dernier moment,  Henri Segard (Sans étiquette)) qui se serait livré à un intense lobbying en faveur d’Eiffage, Christian Decocq (UMP) qui semble, toujours selon Me Breham, avoir su que le fameux rapport du 1er février 2008-qui retenait Eiffage- avait été rédigé postérieurement à la date du 1er février…

Qui d’autre encore ? Michelle Demessine ( PC) et Martine Aubry ( PS). Ont- elles eu entre les mains le  rapport du 1er février 2008, interroge Me Joseph Breham ?  Et  de souhaiter que  les deux élues s’expliquent sur la motivation qui les a poussées à choisir Eiffage.  Enfin,  l’avocat demande à la juge d’entendre deux fonctionnaires de la Communauté urbaine.  A n’en pas douter, ces requêtes sont la conséquence des conclusions de la PJ lilloise du 10 décembre 2013. Dans un premier temps, la juge Fabienne Atzori a donc décidé d’entendre et de mettre en examen pour faux les deux fonctionnaires, qui semblent bien avoir joué un rôle dans ce vrai-faux rapport du 1er février 2008. La juge va-t-elle monter d’un cran et s’intéresser aux élus ? Nous avons sollicité Michelle Demessine et Martine Aubry afin qu’elles nous disent si elles avaient constaté  une forte campagne de lobbying en faveur d’Eiffage.  Si elles avaient su que la rédaction du fameux rapport du 1er février 2008 n’avait eu lieu que postérieurement à sa date officielle. Enfin, nous leur demandions ce qu’elles pensaient de leur éventuelle mise en cause par la PJ. Nous n’avons obtenu aucune réponse. Après quinze mois d’instruction, des zones opaques persistent autour des conditions du  ce Grand Stade. Et Me Breham est bien décidé à connaître les dessous de cette histoire.  Après la mise en examen des deux fonctionnaires,  il nous déclarait : "J’espère que ces derniers, des lampistes en réalité, ne seront pas les seuls à porter un chapeau bien trop grand pour eux."

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