Complètement alstomisés… Mais quel est le vrai bilan des interventions étatiques dans les (rares) domaines où son action se justifie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le logo de l'entreprise d'Alstom sur le mur d'une de ses succursales.
Le logo de l'entreprise d'Alstom sur le mur d'une de ses succursales.
©Reuters

Boulimie

François Hollande, Manuel Valls et Arnaud Montebourg se sont réunis jeudi 12 juin pour étudier les différentes offres de reprises d'Alstom, notamment celle proposée récemment par Siemens et Mitsubishi. Une solution que désapprouve le ministre de Bercy. Un fait qui relance le débat sur le protectionnisme, un principe économique trop souvent mal compris...

Bernard Carayon

Bernard Carayon

Bernard Carayon est ancien député du Tarn, maire (LR) de Lavaur, Avocat au barreau de Paris. 

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François Hollande, Manuel Valls et Arnaud Montebourg se sont réunis jeudi 12 juin pour étudier les différentes offres de reprises d'Alstom, notamment celle de Siemens/Mitsubishi. Le ministre de l'économie aimerait cependant trouver  un "plan C made in France". Que penser de cette option dans le cas précis d'Alstom ?

Bernard Carayon : Si l'expression "plan C Made in France" signifie de trouver un repreneur public, para public ou encore une entreprise nationale privée, je crains fort malheureusement que trop peu d'options sont disponibles à l'heure actuelle. On a un temps évoqué le nom d'Areva, mais à mon sens il est clair que l'entreprise n'en a pas les moyens pour l'instant, tandis qu'une éventuelle reprise d'EDF serait finalement assez dissonante au regard des activités professionnelles de l'entreprise.

L'Affaire Alstom traduit plus largement quatre problèmes-clés de l'industrie française.

  • Tout d'abord l'attirance probablement justifiée mais trop focalisée de nos industriels sur les secteurs à très haute rentabilité comme les métiers de la communication et le luxe, ces domaines connaissant de forts leviers de développement à l'international.
  • Deuxièmement notre incapacité à développer des fonds de pensions stratégiques qui ne sont pas ou trop peu sollicités en comparaison de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons.
  • Troisièmement une mauvaise conception dans la création de la Banque Publique d'Investissement  (BPI) issue de la fusion entre Oseo et le FSI (Fond Stratégique d'Investissement). Cette dernière structure, dont j'ai été membre dans le conseil d'orientation pendant trois ans, disposait en son temps d'une enveloppe de 20 Milliards (dont 14 Mds de participation publique) et avait un champ d'intervention bien défini, à savoir les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME. La BPI qui l'a remplacé rempli un rôle élargi tout en conservant des moyens qui sont devenus en conséquence inadapté. On sait aujourd'hui que 50% du CAC 40 est détenu par des actionnaires étrangers, cela s'expliquant par une forte progression sur les dernières années.
  • Enfin un problème de compétitivité pour un pays qui a perdu près de dix points par rapport à l'Allemagne dans ce domaine (rapport Coe-Rexecode de novembre 2012). N'ayant pas su se positionner suffisamment sur les secteurs industriels porteurs, la France souffre d'un déficit sur les biens exportables depuis une trentaine d'années maintenant.

Entre partisans d'un colbertisme absolu et ceux d'un libéralisme réduisant l'Etat à ses seules missions régaliennes, est-il possible de trouver un juste équilibre ? Quels domaines devraient concrètement être réservés à la politique économique ?

Le colbertisme en tant que tel, bien que parfois mal compris, n'est pas selon moi un mot péjoratif. Il n'est pas à confondre par exemple avec la planification qui résulte d'avantage de la chimère qu'autre chose, surtout quand on sait que même les Lois de programmation militaires réservées au seul secteur de la défense ne sont pratiquement jamais respectées. Il s'agit là de modèles qui peuvent fonctionner dans d'autres pays (la Chine) ou d'autres époques (la reconstruction gaulliste de l'après-guerre) mais qui ne peuvent pas être considérés comme opérants dans notre cas.

Il me semble à l'inverse plus porteur de plaider pour une vision renouvelée des secteurs stratégiques français et européens, mesure pour laquelle je plaide depuis plusieurs années. Il s'agirait concrètement de définir dans quel type d'activités les critères du marché sont insuffisants et nécessitent une action bien délimité de la main de l'Etat : l'énergie, les technologies de l'information, de l'espace, de la robotique, ou encore l'industrie agro-alimentaire. C'est là un "périmètre stratégique" que la plupart de nos compétiteurs, y compris anglo-saxons, ont mis en place.

Ne serait-il pas plus efficace de se concentrer sur des objectifs de protection de l'indépendance nationale et de maintien des centres de décision plutôt que de s'engager dans une préservation inopérante et mal définie de l'emploi ?

Effectivement, mais à condition qu'il existe en parallèle une politique pérenne de soutien à l'innovation et à la recherche pour augmenter notre productivité et découvrir de nouveaux marchés. A l'inverse, on voit bien que la politique anti-chômage menée par le gouvernement a pour principale conséquence d'alourdir considérablement la fiscalité des entreprises et de plomber notre puissance économique.

Le rôle réel de l'Etat, tel qu'appliqué partout ailleurs, est effectivement de garantir la souveraineté à travers la préservation des secteurs que j'ai déjà évoqués. C'est là une stratégie bénéfique pour tout le monde, entreprise comme particulier, et dont l'absence ne peut être que regrettée. Il s'agit là d'une "exception nationale" dans le plus mauvais sens du terme.

L'intervention de l'Etat à travers quelque cas récents.

Le premier sauvetage d'Alstom en 2004

  • Alors que l'entreprise expérimente de grave difficultés, l'Etat décide d'entrer au capital d'Alstom à hauteur de 21% pour un coût de 720 millions d'euros. La revente de ces parts à Bouygues deux ans plus tard se fera pour près de 2 Milliards.

Bien que cela ait provoqué un bras de fer avec la Commission européenne, il s'agit ici d'un choix justifié face à l'absence de repreneurs potentiels sérieux et qu'il a permis a fait gagner au contribuable 1.3 milliards d'euros. L'un des problèmes actuels d'Alstom est de voir que des actionnaires comme Bouygues ont un tropisme pour les activités dématérialisées très rentable et bien moins d'appétence pour les filières directement industrielles de l'entreprise.

Le cas de PSA Peugeot-Citroën

  • PSA Peugeot-Citroën annonce en novembre 2011 la suppression de 5000 postes pour améliorer les performances de l'entreprise. En pleine campagne présidentielle, l'affaire suscite l'émoi des politiques et l'intervention de Nicolas Sarkozy. L'affaire sera reprise par la majorité Hollande qui signera finalement en mars un accord avec l'entreprise et le chinois Dongfeng, générant un apport public de 800 millions d'euros, soit 14% du capital total.

Le cas PSA est le plus large révélateur d'une incapacité des grandes marques automobiles française à se positionner sur les bonnes gammes de produits, avec une préférence démesurée pour le moyen-de-gamme qui se développe assez mal sur les dernières années. On peut toutefois affirmer qu'en dépit de ces erreurs et du poids en emploi de cette industrie que le secteur n'a pas de dimension stratégique cruciale pour notre économie.

Le bras de fer entre Mittal et le gouvernement Ayrault

  • ArcelorMittal annonce en octobre 2012 la cessation d'activités des hauts fourneaux de Florange, laissant 60 jours au gouvernement pour trouver un repreneur, sauver les emplois et la fabrication d'acier en Lorraine. Le dossier force le nouveau gouvernement socialiste à monter au front et a menacer Lakshmi Mittal d'une nationalisation.

Il s'agit là d'une affaire clairement scandaleuse quand on sait que le secteur de l'acier et de l'aluminium comptent parmi les derniers grands avantages compétitifs de la France. Certains ont cru voir dans M. Mittal un homme d'affaires soucieux de la bonne santé de l'économie européenne, mais l'on voit bien que c'est le seul intérêt privé qui a primé dans cette affaire.

Les sauvetages bancaires de 2008

  • En 2008, Nicolas Sarkozy a lancé un plan de consolidation bancaire en partenariat avec le Royaume-Uni à hauteur de 360 milliards d'euros pour endiguer la spirale boursière née de la chute de Lehman Brothers, cette action étant engagée en violation des traités européens.

On peut dire avec le recul que cette opération a été excellente au regard des enjeux, et ce en dépit de la réticence de certains banquiers qui n'avait rien compris aux réalités économiques de l'époque. Si ce plan de consolidation, voté et validé en cinq jours, n'avait pas été élaboré,  il est évident que l'industrie financière européenne aurait pratiquement signé son arrêt de mort. Le seul regret que l'on peut avoir est que l'état n'en ait pas profité pour rentrer au capital des banques quand on sait les revenus considérables qui ont été dégagé sur les deux années suivantes.

Encore une fois cette affaire prouve surtout l'incapacité des lois de concurrence européennes qui bloquent le plus souvent des initiatives salutaires et des engagements stratégiques de premier plan. Si Nicolas Sarkozy s'était strictement cantonné aux traités, une telle action aurait été inenvisageable

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