État islamique en Irak et au Levant : les combattants en noir qui font même peur à Al-Qaïda<!-- --> | Atlantico.fr
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Des djihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Des djihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
©Reuters

La Terreur

Les djihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), dont l’emprise sur le Nord de l'Irak ne fait que se renforcer ces derniers jours au point de menacer Baghdad n'ont pas volé leur réputation de combattants ultra violents. Ils l'ont même organisée.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Après Mossoul, les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ont pris Tikrit, étendant toujours plus leur emprise territoriale, au point de menacer Bagdad. Quelles sont leurs forces, et jusqu’où peuvent-ils porter leur mouvement de conquête ? Qu’est-ce qui peut les arrêter ?

Alain Rodier : Tikrit aurait été "repris" par les forces gouvernementales, puis perdu de nouveau... L’affaire suit son cours. En fait, il n'y a pas de véritables "batailles", les djihadistes menant des raids éclair en suivant les axes routiers que les forces gouvernementales ont évacué. Les autorités irakiennes se sont fait surprendre par la témérité des assaillants et se sont retirées sur des positions où des garnisons plus importantes sont installées.

L’armée irakienne actuelle n’est pas très valable, néanmoins l’EIIL manque d’effectifs. Il en a suffisamment pour maîtriser le territoire, mais pas assez pour tenir des zones chiites, hostiles par définition. C’est pourquoi son intention n’est pas de pousser au-delà des zones chiites.

Comment expliquer une telle rapidité ? Quelle est la spécificité de leur mode de combat ?

Cette tactique de raids à bord de véhicules 4X4, voire totalement civils, a été expérimentées depuis de longues années au Sahel puis en Libye et enfin en Syrie. Elle est très risquée si une opposition ferme se dévoile. En Irak, elle a bénéficié d'un soutien des tribus sunnites qui rejettent le pouvoir de Maliki. C'est sans doute ce fait qui explique, d'un côté la rapidité de l'action, de l'autre, que les forces gouvernementales n'aient pas voulu mener combat au milieu de populations sunnites globalement hostiles aux chiites. 

Ajoutons que beaucoup de membres de l’EIIL sont issus de l’armée irakienne, et sont donc rompus à la discipline. L’encadrement est majoritairement assuré par des militaires de métier, et cela est en partie la faute des Américains, qui n’avaient rien trouvé de mieux que de déposer tous les cadres sunnites de l’armée et des services de renseignement. En face d’eux, personne, hormis l’armée régulière syrienne, ne dispose de cette discipline.

Des cas de crucifixions, décapitations et amputations ont été rapportés. Quels en sont les motifs, et a-t-on une estimation du nombre de faits de ce type ?

Il est impossible de savoir le nombre de victimes de ces châtiments d'un autre âge. Ces mises en scène sont destinées à influer sur les populations en inspirant la plus grande crainte mais aussi, et peut-être surtout, à remplir les adversaires d'effroi. En effet, cela amoindrit d'autant les velléités de résistance. Les Waffen SS par exemple, qui s’étaient rendus coupables d’atrocités sur le terrain, étaient extrêmement craints par les unités auxquelles ils pouvaient être confrontés.

Là où l’EIIL se démarque, c’est qu’elle sait, mieux que les autres, "mettre en musique" les atrocités commises. Celles-ci sont commises, mises en scène et diffusées à des fins d’exploitation technique sur le terrain.

L’EIIL, issu de la frange la plus extrême d’Al-Qaida, n’a plus de rapports directs avec le groupe d’origine. Ce dernier est-il jugé trop "coulant" dans ses méthodes par les djihadistes actuellement à l’œuvre ?

Effectivement, mais c'est surtout une question d'ego de son chef actuel qui se sent assez fort pour défier Al-Zawahiri. Il le considère comme un "intellectuel" bien à l'abri alors que lui est un combattant qui est parvenu à créer l'embryon du califat, ce qu'aucune branche d'Al-Qaida n'était parvenue à faire jusqu'à maintenant.

Qu'ont à craindre les populations chiites, ainsi que les minorités chrétiennes, de la part des sunnites fanatisés de l'EIIL ?

Les chrétiens ne sont théoriquement pas visés, sauf par la "Al Jezia", dans la mesure où ils ne se livrent pas en public à des manifestations religieuses. Toutefois, il est de leur intérêt de se convertir, même s'ils ne seront jamais considérés comme de bons musulmans... Par contre, les chiites qui sont considérés comme des "apostats" (des traîtres à l'Islam) ont tout à craindre pour leur sécurité personnelle. C'est une véritable guerre de religions, avec toutes les exactions qui l'accompagnent, qui est en train de se dérouler. Il faut bien comprendre qu’aux yeux des djihadistes de l’EIIL, les chiites sont pires que les chrétiens ou les juifs, dont la religion a au moins le mérite de faire partie du Livre.

L’EIIL est connue pour son intransigeance et son ambition de créer un califat "islamiquement pur" dans la partie sunnite de l’Irak.  Quelles sont les implications concrètes d’une telle ambition ? Quelle version de la charia impose-t-il aux populations mises sous son contrôle ?

Le nom même de l'EIIL est révélateur : l' "Etat islamique" d'Irak et du Levant. Pour son chef, Abou Bakr al Baghdadi (son identité serait Ali al-Badri), cet Etat a déjà une réalité qui couvre une partie de Syrie et d'Irak avec comme capitale Raqqa (Syrie). La loi islamique la plus rude est appliquée, les non musulmans étant obligés de payer une taxe spéciale (Al Jezia). Cela dit, l'EIIL gère déjà les zones qu'il contrôle en assurant l'approvisionnement en bien de première nécessité, des soins et même l'enseignement des plus jeunes (certes islamique). Il tente de remplir une mission régalienne classique.  Une partie des populations lui sont favorables car il apporte une certaine "paix" et de quoi vivre. Par contre, gare aux "déviants" qui sont impitoyablement châtiés selon les codes de la charia ...

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