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UMP, le bureau politique de tous les dangers : les six questions sur lesquelles se joue l’avenir du parti
©REUTERS/Benoit Tessier

Moment décisif

Alors qu'un bureau politique crucial se déroule ce mardi 10 juin, plusieurs questions fondamentales se posent pour l'avenir de l'ex-parti présidentiel. Retour de Nicolas Sarkozy et ses conséquences, bataille pour la présidence, guerre larvée des primaires... tour d'horizon de ces sujets encore en suspens.

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Plusieurs versions circulent sur le retour de Nicolas Sarkozy. M. Karoutchi avait récemment déclaré qu’il pourrait le faire très rapidement. Selon Le Nouvel Observateur, il a failli le faire par surprise dimanche 8 juin. Selon d’autres, il attendra juillet avant de prendre sa décision. A-t-il intérêt à déclarer sa candidature à la présidence de l'UMP avant l'été ?

Jean Petaux : On peut imaginer que le principal intéressé se pose très précisément désormais la question de l’annonce officielle de sa candidature. Nicolas Sarkozy a pratiquement publiquement lancé sa candidature à la présidentielle de 2007 le 20 septembre 2003 par sa fameuse phrase "(j’y pense) pas seulement en me rasant" dans l’émission "100 minutes pour convaincre". Trois années et demi alors… De ce point de vue-là il est déjà en retard sur ce modèle de première conquête. S’il veut donner le sentiment qu’il revient dans l’arène politique parce que la situation de la France est catastrophique et que les circonstances l’exigent, il a intérêt à dramatiser le plus possible en jouant sur la soudaineté et en essayant de prendre de vitesse tous ces concurrents au sein de l’UMP. Mais il y a un risque à cette tactique de "Blitz" c’est qu’à vouloir se déclarer impérativement avant les vacances (en fait maintenant il lui reste environ trois semaines avant le début du mois de juillet) cette annonce fasse "pschittt" (pour reprendre l’interjection amusant que Jacques Chirac utilisa un jour pour qualifier une des nombreuses "affaires" qu’on voulait lui accrocher…).

Autrement dit, les Français sursaturés et gavés de politique au premier semestre 2014 avec les municipales, les Européennes, l’affaire Bygmalion, n’accorderont qu’une oreille discrète au retour du grand homme. Sans compter qu’à partir de jeudi les téléviseurs ne seront allumés majoritairement que sur les terrains de football brésiliens avec l’entrée en scène de l’équipe de France dès dimanche prochain… Nicolas Sarkozy est devant un calendrier très défavorable. Il aurait sans doute tout intérêt à attendre la rentrée de septembre. Avec un autre problème à ce moment-là : l’UMP sera en pleine phase de préparation de son congrès extraordinaire qui aura lieu en octobre ou en novembre… Bref : la fenêtre de tir est assez étroite. Elle l’est d’autant plus qu’une bonne partie des cadres de l’UMP ne va rien faire pour l’élargir, tant l’entrée en lice de Nicolas Sarkozy n’est pas un motif de réjouissance.

Bruno Jeudy : Les circonstances conduisent Nicolas Sarkozy à bouger très vite et cela pour plusieurs raisons : les résultats des Européennes et le score élevé du FN, le fait que Jean-François Copé soit écarté de la présidence de l’UMP alors qu’il était jusqu’à présent un allié et surtout la montée en puissance d’Alain Juppé dans les sondages. Ce n’est pas très glorieux pour lui de revenir par le parti, c’est la forme la plus politicienne d’un retour politique. Nicolas Sarkozy fait exactement ce qu’il ne voulait pas faire en revenant par le parti, lui voulait revenir en sauveur façon Général de Gaulle. Là il est obligé de revenir pour sauver l’UMP et mobiliser les militants pour le défendre face aux juges et neutraliser ses rivaux pour éviter une primaire.

A partir du moment où il a décidé de revenir il faut qu’il le fasse vite, ça l’oblige à être candidat entre maintenant et ses vacances prévues en juillet. C’est maintenant ou jamais.  L’accélération de son calendrier va avoir pour but d’enrayer sa baisse dans les sondages, c’est ce qu’il espère.

Le front anti-Nicolas Sarkozy (François Fillon, Alain Juppé, Xavier Bertrand, Bruno Le Maire...) peut-il s'unir contre lui ? S’il reste désuni, quel sera l’impact pour l’UMP ?

Jean Petaux : Les uns et les autres ne cachent pas leur hostilité à l’égard de Nicolas Sarkozy c’est au moins une chose acquise. L’ennui, pour eux, c’est qu’ils ont beaucoup de mal à dissimuler leur hostilité réciproque. François Fillon (cela ne date pas d’hier) voue une vraie détestation à l’égard de Xavier Bertrand (et cette phrase est soumise au principe de réflexivité)… On doit au premier cité (Fillon) une des plus belles vacheries prononcées en politique depuis longtemps, à propos d’une prise de position du second (Bertrand) dans le dossier des retraites : "Bertrand ? franc-maçon ? ça me surprend... "Franc" c’est sûr que non et "maçon" je l’apprends…". 

Quant aux relations entre Fillon et Juppé si elles ne sont pas exécrables elles sont plutôt froides. Autrement dit : tous sont hostiles à Nicolas Sarkozy mais dès que l’un d’eux va sembler prendre un avantage comparatif sur les autres, ces derniers feront vite bloc, non pas contre Nicolas Sarkozy mais contre ce "primus inter pares" qui pourrait les distancer. Il n’y a guère que Bruno Le Maire qui me semble à même de rallier Alain Juppé si ce dernier pousse les feux de sa candidature. Ce front qui tient plus du "front du refus de Sarko" que du "front coalisé" a pourtant tout intérêt à s’unir car le rouleau compresseur Sarkozy va s’employer à jouer les militants, la base, les troupes, contre les cadres du parti qu’il va désigner, collectivement, à la vindicte des militants. Et comme Jean-François Copé est un fusible totalement grillé qui n’a plus aucune fonctionnalité dans ce registre, il va falloir trouver d’autres boucs émissaires présentés comme responsables marasme actuel de l’UMP.

Et dans ce genre de situation c’est souvent celui qui est le principal auteur de la situation qui crie le plus fort et qui recherche, partout, des coupables de substitution… Nicolas Sarkozy a laissé faire les choses pendant la dernière campagne présidentielle ; cela a valu à l’UMP une quasi mise en faillite ; tous les militants ont du mettre la main à la poche (enfin presque tous…) pour compenser le non-remboursement des frais de campagne ; cette affaire a même eu des conséquences en matière de rentrées fiscales compte tenu du dégrèvement qu’elle a généré pour les versements ainsi effectués dans le cadre du "Sarkothon"… Nicolas Sarkozy est totalement mêlé à cet épisode. Il a intérêt à parler haut et fort pour désigner d’autres responsables que lui… Donc si le "front anti-Sarko" ne se constitue pas, l’UMP tombera comme un fruit mûr dans l’escarcelle de l’ancien président de la République.

Bruno Jeudy : La grande chance de Nicolas Sarkozy, c’est que ses rivaux et ce front contre lui est désuni. Les gens qui espèrent être candidats à la présidentielle sont presque aussi nombreux que les doigts des deux mains. Chacun a sa propre stratégie, Alain Juppé se voit en recours, François Fillon veut prendre sa revanche, les quadras veulent augmenter leur cote de notoriété et prendre date pour l’avenir car ils sont jeunes comme Laurent Wauquiez et NKM. Il y a toutefois un bémol, pas anodin : ils peuvent tous se retrouver sur un minimum commun, à savoir que tous veulent la primaire. C’est inscrit dans les statuts, une commission Anne Levade réfléchit à son organisation. Ils savent que Nicolas Sarkozy n’aura qu’un programme et une ligne, la sienne, et pas de primaire. 

Nicolas Sarkozy est sous la menace de la Justice dans plusieurs affaires, notamment Bygmalion. Quelles seront à court terme les conséquences des affaires judiciaires auxquelles l'ancien président de la République est confronté ?

Jean Petaux : C’est une des questions centrales de la séquence actuelle, celle de la pré-campagne avant celle des éventuelles primaires à droite. C’est aussi une des questions les plus compliquées en termes de réponses. Tout simplement parce que le temps judiciaire est absolument immaîtrisable et qu’il n’est que rarement en concordance avec le temps politique. Au jour d’aujourd’hui Nicolas Sarkozy n’est mis en examen (à ma connaissance) dans aucune affaire. Certaines semblent le cerner de près, mais il en a vu d’autres. A l’heure actuelle toute prévision qui viendrait à considérer que Nicolas Sarkozy sera empêché par la Justice est une projection dans l’avenir qui tient plus du pari que de la rationalité froide. Je ne veux pas dire ici que Nicolas Sarkozy dispose d’une armure telle qu’aucune flèche juridique ne peut l’atteindre ; qu’il est dans un "champ magnétique" qui repoussera toutes les attaques judiciaires… Je me borne à constater qu’en l’état actuel des choses il n’est sous la menace d’aucune traduction devant un tribunal quelconque.

Quand bien même cela lui arriverait (et il est vrai que statistiquement ce n’est pas de l’ordre de l’impossible quand on a environ une douzaine de juges d’instruction qui s’intéressent à vous…) il faudrait là aussi passer de la mise en examen au renvoi devant une instance juridictionnelle (et cela peut prendre au moins une année) puis l’allongement du fait d’un appel éventuel (entre 6 et 8 mois après la première instance)… Bref, plus le temps court plus Nicolas Sarkozy peut se dire qu’il sera de nouveau à l’Elysée et de nouveau "intouchable" jusqu’à la fin de ce nouveau mandat (2022) s’il revient à l’Elysée en 2017. Sans vouloir épiloguer là-dessus on conviendra d’ailleurs qu’en guise d’émulation pour se faire réélire en 2017 c’est assez fort non ?

Bruno Jeudy : Les affaires sont embarrassantes mais on sait qu’elles n’ont pas empêché le président de se faire réélire comme Jacques Chirac en 2002. Il y a cinq ou six affaires en cours pour Nicolas Sarkozy mais il n’est mis en examen dans aucune. Pour Bygmalion, un certain nombre d’acteurs de sa campagne vont être entendus, c’est ennuyeux pour l’ex-président mais on ne sait pas sur quoi ça débouchera.

Les opposants à Nicolas Sarkozy peuvent-ils dès maintenant se mettre d'accord sur les modalités d'une primaire pour désigner le candidat du parti en 2017 ? François Fillon serait prêt à se présenter contre Nicolas Sarkozy en 2017 si ce dernier était le candidat de l’UMP sans passer par la case primaire. La pression peut-elle conduire l’ancien chef d’Etat à se rallier dès maintenant au principe d’une primaire ?

Jean Petaux : Le seul à droite que craint Nicolas Sarkozy c’est Alain Juppé. C’est le seul qui a une autorité politique sur lui, qui l’a toujours eue et c’est le seul que Nicolas Sarkozy respecte sans doute aussi.  Considérer que François Fillon serait prêt à se présenter contre Nicolas Sarkozy en 2017 si ce dernier "sautait" la case primaire n'est pas impensable. Nous serions alors dans une configuration assez classique à droite même depuis 1965 : duel de Gaulle – Lecanuet ; 1969 : Pompidou –Poher et puis surtout en 1974 : VGE – Chaban  et en 1981 : VGE – Chirac et, dans une moindre mesure dans l’affrontement (encore que ce fut saignant) : 1988 : Chirac – Barre pour finir en beauté avec le plus terrible des affrontements au sein-même du RPR de l’époque entre "deux amis de 30 ans" : 1995 : Chirac – Balladur. Donc la droite est coutumière de ce genre de bataille rangée entre des leaders de sensibilités différentes. Et un duel Sarkozy – Fillon, arbitré par le premier tour de la présidentielle de 2017 nous remettrait dans une configuration connue.

C’est sans doute la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy peut courir le risque de refuser le passage par une primaire, revenant en quelque sorte, à la lettre de la constitution de la Vème République : "Au premier tour on choisit (entre les candidats de la droite), au second on élimine (entre le candidat de la droite et son adversaire, qu’il soit FN ou Socialiste)". Le risque bien sûr, avec le FN dans le jeu désormais, c’est qu’on assiste à une auto-destruction mutuelle des candidats de droite et que le duel du second tour soit un "21 avril" inversé avec la candidate FN et un socialiste…

Bruno Jeudy : C’est une question qui sera peut être débattue ce mardi soir. Les statuts prévoient l’organisation d’une primaire. Alain Juppé veut imposer le fait que le président de l’UMP ne soit pas candidat à la primaire mais François Fillon n’a rien dit et Jean-Pierre Raffarin n’est pas très chaud non plus… ça pourrait donner lieu à un débat. François Fillon le dit clairement depuis 2012 : s’il n’y a pas de primaire il présentera sa candidature en 2017. Cette pression ne fonctionnera pas sur Nicolas Sarkozy qui ne veut toujours pas entendre parler d’une primaire. Beaucoup de ses proches lui disent toutefois qu’il devrait se soumettre à une primaire, comme Roger Karoutchi. Une primaire ouverte pourrait par ailleurs régler la question de la candidature UMP et de l’UDI / MoDem.

Plusieurs candidats à la présidence de l’UMP sont déjà déclarés (Hervé Mariton), d’autres sont prêts à le faire (François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire, François Baroin, Laurent Wauquiez...). Qu’est-ce qui pourrait changer dans le fonctionnement et la ligne politique de l'UMP par rapport à l’ère Jean-François Copé ?

Jean Petaux : J’ai cru comprendre qu’une règle tacite avait été adoptée lors du Conseil politique du mardi 27 mai 2014 qui a vu le départ de Copé de la présidence : tout candidat à la présidence de l’UMP en octobre ne pourra se présenter à la primaire de 2016. C’est la raison pour laquelle quelqu’un comme Hervé Mariton, le type même du "second couteau" peut poser sa candidature à la présidence de l’UMP… Parmi les noms cités, seul François Baroin me semble être à même de recueillir un certain consensus… Et encore… Quant à ligne politique...

Bruno Jeudy : Les 18 mois de l’ère Copé resteront très sombres pour l’UMP. Même si le parti a emporté les législatives partielles et gagné 130 ou 140 villes aux municipales. L’UMP a été entravé dans son action dans l’opposition, elle n’a pas été mesure de faire le bilan des années Nicolas Sarkozy, de lancer le programme de fonds pour 2017… A priori on ne voit pas comment l’UMP pourrait retourner dans les errements de 2012 mais on ne sait pour le moment pas qui sera candidat.

Une autre élection se joue actuellement : la présidence du Parti radical, où les militants votent du 16 au 22 juin. L'élection de Rama Yade ou de Laurent Hénart  à la tête du parti va-t-elle changer quelque chose pour l’UMP et son futur président ? 

Jean Petaux : C’est en lisant ces noms qu’on se prend à songer que le plus vieux parti de France a connu à sa tête des personnalités comme Jules Ferry, Pierre Waldeck-Rousseau, Aristide Briand, Edouard Herriot, Edgar Faure, Pierre Mendes-France, Maurice Faure… et on se dit : "les temps ont bien changé"…

Bruno Jeudy : Je ne le pense pas. Clairement, Rama Yade est plus proche de Nicolas Sarkozy, elle est soutenue par les sarkozystes qui voient un moyen d’installer quelqu’un de proche chez les centristes. En même temps les centristes ont des envies d’indépendance  et d’autonomie vis-à-vis de l’UMP, peut-être même de présenter un candidat en 2017. Il faut d’abord que le Parti radical retrouve une place plus importante dans l’opposition pour vraiment pouvoir poser. L’élection la plus importante sera plus celle du président de l’UDI que celle du Parti radical.

Propos recueillis par Julien Chabrout

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