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Comment Swatch a appris à ses dépens qu’on ne pouvait pas faire de  l’humour avec les crimes de la Révolution française
©REUTERS/Arnd Wiegmann

Un poil trop loin...

Les groupes de luxe se croient tout permis, mais l’argent ne peut pas tout acheter : place de la Concorde, le ministère de la Culture vient de faire interdire un slogan publicitaire particulièrement inepte et indécent des montres Swatch.

Grégory Pons

Grégory Pons

Journaliste, éditeur français de Business Montres et Joaillerie, « médiafacture d’informations horlogères depuis 2004 » (site d’informations basé à Genève : 0 % publicité-100 % liberté), spécialiste du marketing horloger et de l’analyse des marchés de la montre.

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Il paraît qu’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui et sûrement pas n’importe où. Les Parisiens sont habitués à ces immenses bâches publicitaires qui couvrent les façades des immeubles ou des monuments en cours de rénovation. On les retrouve d’ailleurs dans le monde entier, les grandes marques mondialisées tenant à marquer leur territoire. Place de la Concorde, le ravalement de l’hôtel particulier occupé par l’Automobile Club a ainsi permis à la marque Swatch d’étaler sa puissance et sa gloire à l’aide d’une montre géante, mais la bâche de 60 mètres de large est désormais muette, à l’exception du logo de la marque.

Effacé depuis, le slogan publicitaire choisi par Swatch, "Marie-Antoinette en aurait perdu la tête", était doublement imbécile. D’abord, parce qu’il n’avait aucun sens pour une montre de plongée Scuba Libre. Ensuite, et surtout, parce qu’il était stupidement provocateur place de la Concorde, à quelques mètres de l’endroit où se tenait la guillotine sur laquelle la reine de France, Marie-Antoinette, avait perdu la tête le 16 octobre 1793.

Sous la houlette d’Aurélie Filippetti, on ne soupçonnera pas le ministère de la Culture de nostalgie monarchiste ou de complaisances droitières, mais la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) – qui dépend d’elle – a refusé l’apposition de ce slogan bêtement provocateur sur la place de la Concorde. Tous les historiens considèrent aujourd’hui que cette décapitation de la reine – seulement coupable d’avoir été la femme de son mari et la mère de son fils – est un des pires crimes de la Révolution française, qui n’en a pas été avare. La place de la Concorde, où près de 1 200 personnes – dont le couple royal, mais aussi Robespierre – ont été guillotinées entre 1793 et 1794, est aujourd’hui un lieu de mémoire : on dit que l’odeur du sang y était, à l’époque, tellement forte que les attelages refusaient de la traverser !

Peut-on jouer impunément avec le souvenir des épisodes les plus douloureux de cette Révolution française ? La mémoire d’un peuple n’est pas divisible, ni révisable, mais les briques de son identité sont toutes respectables. Moquer sur une bâche sanglante les têtes innocentes qui ont roulé sur les pavés de la Concorde, c’est cracher sur les tombes dont ces victimes ont été privées puisqu’elles n’avaient droit qu’à la chaux d’une fosse commune.

Cette agression stupide et indécente de Swatch, fameuse marque suisse, contre le patrimoine moral des Parisiens est d’autant plus étonnante que les Gardes suisses avaient été les meilleurs défenseurs historiques de la monarchie, 600 d’entre eux se faisant massacrer, en août 1792, sur les marches voisines des Tuileries au nom de leur honneur et de celui de leur reine…

Il faut maintenant s’interroger sur l’arrogance autant que sur l’absence de sens moral d’une marque dont la direction s’étonne et presque s’indigne de cette intervention de la DRAC. Si chacun peut se féliciter de voir Breguet, la marque-sœur de Swatch, jouer les mécènes pour restaurer les salles Louis XVI du Louvre, est-ce un prétexte suffisant pour laisser Swatch souiller la mémoire de Marie-Antoinette place de la Concorde ? Surtout pour promouvoir des montres de plongée en plastique…

Non, décidément, l’argent du luxe ne peut pas tout se permettre dans Paris. Ni ailleurs : imagine-t-on, par ces temps de centenaire de la Première Guerre mondiale, face à l’ossuaire de Douaumont où reposent tant de soldats gazés dans les tranchées, une bâche publicitaire qui proclamerait : "Les Poilus en auraient le souffle coupé" ? Un minimum de censure éthique s’imposait donc place de la Concorde. Si quelqu’un doit encore perdre sa tête place de la Concorde, c’est bien la direction française du Swatch Group, qui doit des excuses aux Parisiens. Aujourd’hui plus que jamais, l’identité française n’est plus un terrain de jeu pour bobos publicitaires en panne d’inspiration : quand il y a trop de sang, de terreur et de larmes, on ne badine pas avec l’humour.

Pour en savoir plus sur les coulisses de cette polémique, en France comme en Suisse : Business Montres.

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