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L'illusion du gratuit : combien coûterait à l'utilisateur moyen son utilisation du Web si ses données personnelles n'étaient plus utilisées par personne ?
©Reuters

Rien n'est jamais gratuit

Ne pas débourser un seul centime dans son utilisation du Web est monnaie courante, mais il ne faut pas oublier que le prix à payer reste l'échange de données personnelles à des fins publicitaires. Qu'elles soient délivrées de manière implicite ou explicite, ces informations permettent à de nombreux sites d'offrir des fonctionnalités gratuites. Voici une idée de ce que pourraient nous coûter les services de la toile sans ce système.

Alban Martin

Alban Martin

Alban Martin est maître de conférence associé au Celsa Paris IV Sorbonne.

Co-fondateur et vice-président du Social media Club Paris, il est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l'univers d'Internet dont notamment Egocratie et Démocratie : la nécessité de Nouvelles Technologies Politiques (Fyp éditions, 2010).

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Atlantico : Les services proposés gratuitement sur Internet sont-ils réellement gratuits ?

Alban Martin : Le web fonctionne selon la fameuse idée "si c'est gratuit, vous êtes le produit". L'utilisation est gratuite pour le grand public mais cela induit un coût d'un autre côté pour les annonceurs par exemple. Il existe différents modèles de gratuité. Les utilisateurs paient la gratuité en livrant des informations personnelles à des fins commerciales. Par la suite, les annonceurs qui souhaitent profiter de l'audience doivent payer. Ce sont des modèles assez classiques aujourd'hui.

A quelle hauteur les données personnelles des internautes contribuent-elles à les financer ? Sous quelle forme ?

Tout dépend du modèle de la plateforme. Nous pouvons distinguer deux formes différentes. D'un côté, il y a le modèle du site média, c'est le contenu qui qualifie le visiteur qui n'a pas à donner des informations personnelles. Par contre, l'utilisateur donne des informations sur l'appétence qu'il peut avoir sur un type de contenus qui va le caractériser d'un point de vue socio-démographique. Ce système relève de l'anonymat, l'exploitation n'est pas portée sur les caractéristiques personnelles d'une personne directement mais sur sa navigation.

D'un autre côté, le visiteur peut être amené à remplir un formulaire et ces données peuvent être revendues. Dans le domaine d'Internet, les données d'une personne peuvent être vendues entre 1 et 10 euros par profil en fonction de la qualification des données délivrées, des champs remplis. Ces fichiers sont loués à des tiers qui vont les acheter en fonction du niveau de précision à un prix s'élevant à 250-300 euros pour les 1000 contacts. Un autre système peut être employé, la rémunération par acte, si le contact s'abonne aux services d'un tiers, le site qui a récolté et livré les données touchera entre 1 et 3 euros par abonné. L'élément vendu est la conséquence de l'action plus que les données de la personne. Dans ce cas, c'est la transformation en client qui est importante, les données personnelles en tant que telles n'ont pas une grande valeur.

A combien évalue-t-on le prix des données personnelles d'un internaute moyen ?

Un éditeur de site qui va collecter par le biais par exemple de sa newsletter des informations personnelles enrichies au fil de la navigation des visiteurs va pouvoir vendre ou louer ces informations personnelles à des entreprises. La valeur moyenne est de 200 à 350 les 1000 contacts potentiels. Le détenteur des données doit être capable de répondre aux critères de sélection des contacts de l'acheteur. Dans l'hypothèse où un éditeur loue ses contacts une vingtaine de fois dans l'année, il va toucher une base de 250 euros multipliée par 20 soit 5 euros la valeur annuelle d'un internaute. Ces chiffres sont évidemment à nuancer en fonction de la qualité des données et des situations de vente.

Si les plateformes en ligne ne pouvaient plus utiliser ces données, quelle pourrait être la facture pour les utilisateurs de leurs services ?

Il faut prendre en compte le modèle de base car si nous prenons le système de profilage par la consommation de contenus, l'internaute n'est pas sollicité pour livrer ses données. Si demain, les données livrées sont interdites, les plateformes utiliseront la première technique et ainsi éviteront le modèle payant. L'intérêt de l'annonceur est que la publicité soit en lien avec le contenu consommé, l'internaute ne transmet pas d'informations. Cette voie peut représenter une étape intermédiaire au paiement des services pour l'utilisateur.

Dans l'hypothèse où cette méthode ne serait pas envisageable, il faudrait déporter sur l'internaute un certain nombre de coûts notamment ceux des contenus achetés par les éditeurs de sites. Aujourd'hui, si l'internaute peut avoir de la météo gratuite sur Yahoo qui est payée par le moteur de recherche, c'est parce que des annonceurs génèrent des recettes publicitaires. Dans le cas où l'éditeur de site ne peut plus offrir un service de ciblage, l'internaute devra payer les frais des contenus. Ainsi, selon la qualité des contenus, le prix sera plus cher, la météo n'est pas onéreuse mais sur des plateformes qui proposent de visionner des séries gratuites, le prix sera plus élevé. Le site reportera le coût d'acquisition des contenus sur l'internaute sur le modèle de la vidéo à la demande dans les alentours de 3 à 4 euros la vidéo.

Les prix des différents services varieront en fonction du type et du prix du contenu et des services associés.

Dans le cas d'acteur comme Facebook, c'est différent car le contenu n'est pas acheté à un tiers, c'est l'utilisateur qui propose du contenu. En revanche, Facebook supporte des frais techniques qu'il devra diviser en nombre de visiteurs sur sa plateforme. Etant donné, le nombre conséquent d'utilisateurs du réseau social, le prix par internaute sera plus faible d'ordre environ 20 à 30 centimes à l'année.  

Pour autant, un tel modèle économique serait-il viable pour les acteurs du net ?

Certains acteurs vivent sans publicités notamment dans les médias en ligne qui font payer le contenu mais cela peut se ressentir en termes d'audience. Cette option réduit la dispersion des internautes qui se concentrent sur le site qui les intéresse le plus. Néanmoins, il n'est pas impossible de trouver son point d'équilibre.

Concernant Facebook, il ressemblerait davantage à un service comme Skype qui fait payer une partie des communications. Pour cela, il faudrait restructurer la plateforme, elle ne se serait pas développer de la manière que nous connaissons aujourd'hui. Il est complexe de migrer totalement d'un modèle gratuit à un modèle payant.

Instagram avait perdu presque la moitié de ses utilisateurs en vendant leurs clichés à des fins publicitaires. En quoi les problèmes que pose le modèle économique actuel compromettent-ils de toute façon sa viabilité à long terme ?

Le risque est de ne plus pouvoir récolter de données et donc de ne plus générer de recettes publicitaires. Il ne faut pas omettre que la moitié des utilisateurs ont perduré pour le cas d'Instagram. Chaque acteur met la barrière psychologique où ils le souhaitent et en récolte les conséquences. Sur le web, il n'existe pas de règles absolues.  

Existe-t-il un modèle alternatif au tout payant ou tout gratuit ? Est-il déjà expérimenté ?

Evidemment, par exemple Facebook fait payer les gifs/cadeaux numériques. Du côté de Google, son service Google Map est payant pour les professionnels. Il existe également le système de premiumisation, les services de base sont gratuits pour certains sites et plus les fonctionnalités sont développées, plus elles ont un prix conséquent. Pour éviter la publicité, il faut basculer sur un modèle payant sous forme d'abonnement mais tous les utilisateurs ne souhaitent pas forcément payer. Nous avons également l'exemple de Deezer et Spotify qui font payer à l'utilisateur l'absence de publicités. 

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