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Jour J pour la BCE ? Les leviers dont dispose Francfort
©Reuters

Psychologie de marchés

Quand la Banque Centrale ne remplit plus son rôle de maîtrise de la déflation, elle se retrouve obligée de faire appel à des leviers non conventionnels... Quitte à sortir des dogmes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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La Banque centrale européenne ne semble plus avoir le choix. Les derniers chiffres de l’inflation publiés par Eurostat font état d’une aggravation de la situation économique de la zone euro. Alors que le mandat de la BCE est de maitriser l’inflation à moyen terme sous le seuil, mais proche de 2%, le chiffre de 0.5% publié pour le mois de mai fait mauvais effet. L’écart est trop important, et la BCE aura du mal à se réfugier derrière des anticipations de croissance auxquelles plus personne ne croit pour ne pas agir.

Mais la difficulté à laquelle doit faire face la BCE est le manque de moyens « conventionnels «  qui sont aujourd’hui à sa disposition. Puisque son outil habituel, les taux directeurs, sont déjà à 0.25%, la marge de manœuvre semble bien limitée. Quels sont alors les moyens dont dispose la BCE pour intervenir ? 4 outils techniques et une bonne dose de psychologie appelée « Forward Guidance »

Une baisse des taux directeurs

Une baisse de taux a pour objectif de rendre l’emprunt plus attractif et donc de susciter plus de demande de crédits, ce qui provoque également une hausse de la demande dans l’économie. Mais à 0.25% actuellement, la marge est serrée. Même si la BCE dispose encore de la capacité de baisser ce taux à 0.15%, ou 0.10%, pour éviter un effet d’affichage à 0, le mouvement ne serait que de faible ampleur.  De plus, ce mouvement est largement attendu et les marchés financiers l’ont d’ores et déjà anticipé. Le piège est ici qu’une inaction serait mal perçue alors que l’action est elle déjà anticipée.

Une  baisse du taux de dépôt en territoire négatif

Les établissements bancaires ont l’obligation de déposer un certain montant de réserve à la Banque centrale. Mais les banques peuvent également faire le choix de la sécurité et y déposer des montants plus importants que ceux imposés par le régulateur. En temps normal, ces dépôts rapportent des intérêts. Mais depuis le 11 juillet 2012, ce taux de dépôt a été fixé à 0%, ceci afin d’encourager les banques à faire circuler l’argent qui est à leur disposition.

La perspective de baisser ce taux en territoire négatif est une sérieuse piste envisagée par plusieurs membres de la BCE. Une telle action aura pour incidence de créer une sorte de taxe sur les dépôts (en excès des dépôts obligatoires) effectués par les banques européennes au sein de la BCE, afin de les inciter plus encore à prêter à " l’économie réelle ". L’impact d’une telle mesure apparaît pourtant assez limitée au regard des chiffres publiés par la BCE. En effet, les montants actuellement déposés " en excès des réserves obligatoires " ont baissé de 30% au cours des derniers mois, et de 75% depuis 2 ans. Il ne reste aujourd’hui (au 13 mai) " qu " ’un montant de 90 milliards d’euros détenu au titre des " excess reserves " au sein des comptes de la BCE. De plus, la contrainte exercée par cette taxe n’est pas une garantie que les banques vont faire circuler cet argent au sein de l’économie réelle. Cependant, et bien que l’impact soit limité dans les faits, l’effet psychologique que peut exercer une telle mesure n’est pas négligeable. Il s’agirait véritablement de virer sa cuti pour la BCE, tant cette mesure est perçue comme " non conventionnelle ", ce qui sera sans aucun doute apprécié et salué par le marché.

Le LTRO (Long Term Refinancing Operations).

Le LTRO est une autre piste envisagée par la BCE, mais cette technique n’est pas une nouveauté puisqu’elle a déjà été expérimentée, notamment en 2012, pour un montant de 1000 milliards d’euros. Il s’agit pour la BCE de prêter aux banques pour une durée allant de quelques mois jusqu’à 3 ans à des taux très faibles. Ces opérations ont ainsi pour objectif d’offrir un surplus de liquidités temporaire et de permettre de restaurer un sentiment de confiance autour du secteur financier. Cependant, par le passé, ces opérations ont surtout eu pour effet de permettre aux établissements bancaires d’emprunter des fonds auprès de la BCE, fonds qui ont avant tout servi à la restauration de leurs bilans et à l’achat d’obligations d’état, notamment des pays périphériques. " L’économie réelle " n’a pas été alimentée.

Les opérations menées ont ainsi permis une réelle amélioration de la confiance dans le secteur financier, et ont offert un soutien indirect aux pays les plus endettés de la zone euro. Mais le caractère temporaire de ces opérations ne leur donne qu’une efficacité…temporaire. Dès lors que les établissements financiers doivent rembourser le montant emprunté, de nouvelles tensions peuvent apparaitre. La confiance à long terme n’a pas été retrouvée suite aux opérations menées en 2012, et ce malgré le montant très important alors mis en jeu.

Le Quantitative Easing ou Assouplissement quantitatif

Pour une banque centrale, ce type d’opération consiste à procéder à des rachats d’actifs financés par de la création monétaire. Ici, La BCE " crée de la monnaie ", achète un actif et le dépose dans son bilan. Le surplus de monnaie créé se retrouve ainsi en circulation et l’offre de monnaie augmente. Etant donné que les actifs concernés par ces rachats sont de longue maturité (un emprunt d’état à 10 ans par exemple), l’offre de monnaie est ainsi impactée pour une longue durée. Cette technique a pu être utilisée avec succès aux Etats Unis, au Japon, mais également au Royaume Uni. Les actifs concernés sont en général de la dette d’état, ce qui a régulièrement été une source de critiques. Ce type d’opération est en effet parfois considéré comme un moyen détourné de financer les états. Il n’est en rien. Dès lors que la dette arrive à maturité, l’état rembourse le montant à la Banque centrale. Pour un gouvernement l’effet est donc neutre sur sa dette.

Mais dans une telle hypothèse pour la zone euro, une difficulté politique apparaît. 18 états ont l‘euro en partage et la BCE devrait répartir équitablement ses rachats de dettes en fonction de la taille de chaque économie. L’Allemagne est la plus grande économie de la zone euro et serait dès lors la première bénéficiaire du programme. Or, l’Allemagne est politiquement plutôt opposée à un tel mouvement de la part de la BCE. De plus, la mise en place d’un « panier » d’obligations européennes aurait pour effet de créer un précédent ressemblant étrangement dans sa forme aux « Eurobonds ». Notion qui est depuis longtemps refusée par l’Allemagne. Cette forme d’intervention paraît alors la moins probable mais a tout de même été évoquée à plusieurs reprises par certains membres de la BCE.

La psychologie : Le Forward Guidance

Il s’agit ici, et de très loin, de la forme la plus puissante d’action monétaire. Et pourtant il ne s’agit que de mots. Car ce qui se cache derrière le terme de forward guidance n’est en fait que la communication de la BCE. Lorsque Mario Draghi indiquait en 2012 que la BCE ferait tout ce qu’il faut pour sauver l’euro, il faisait de la « forward guidance ». La réaction de marché ne s’est d’ailleurs pas fait attendre et cette simple phrase est à l’origine de l’accalmie qu’a connue la zone euro suite à la crise des dettes souveraines. En indiquant clairement ses intentions et ses objectifs, une banque centrale permet de coordonner l’ensemble des acteurs économiques vers l’objectif fixé.

Ainsi, lorsque la FED annonçait en septembre 2012 que son objectif était de faire baisser le taux de taux de chômage à un certain niveau, il n’a fallu que quelques mois pour que ce niveau soit atteint. Les mêmes effets ont produits les mêmes conséquences au Royaume Uni et au Japon. La communication d’une banque centrale est cruciale car les acteurs économiques n’ont aucune raison de douter de sa capacité et de ses moyens d’action. En effet, une banque centrale dispose de la capacité illimitée de créer de la monnaie, lutter contre elle revient dès lors  à lutter contre un mur. La réaction du marché est alors simple, il obéit.

Voilà pourquoi l’ensemble des actions envisagées plus haut ne trouveront leur plein effet que si Mario Draghi communique correctement sur ses intentions. Une baisse de taux, un taux de dépôt négatif, un LTRO, ou un assouplissement quantitatif ne sont en réalité que des outils nécessaires à la réalisation de l’objectif fixé par le « forward guidance ». C’est bien l’objectif fixé qui est la clé et la technique n’a qu’un rôle auxiliaire. Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.

Malheureusement, le maximum que Mario Draghi semble pouvoir faire serait d’annoncer au marché que la BCE fera tout en son pouvoir pour que l’inflation atteigne un niveau proche de 2% le plus rapidement possible. Ce qui représenterait l’objectif, le « forward guidance ». Ce qui reviendrait simplement à remplir son mandat. La mise en place de moyens d’actions comme un taux de dépôt négatif donnerait une crédibilité supplémentaire à une telle annonce et permettrait d’améliorer la situation actuelle de la zone euro. Mais il n’est absolument pas acquis que Mario Draghi ira jusqu’à ce point.

De plus, à long terme, seule une révision du mandat monétaire européen permettrait de créer les conditions d’une réelle sortie de crise. En incluant un objectif de croissance aux objectifs de la Banque centrale, la zone euro se donnerait les moyens de promouvoir la croissance et l’emploi au sein d’une zone qui ne se consacre actuellement qu’à la maîtrise exclusive des prix. Il s’agirait ici d’une sorte de Forward Guidance institutionnel qui aurait pour conséquence de modifier de façon permanente les anticipations des acteurs économiques…vers plus de croissance. 

Pour en savoir plus sur ce sujet, lisez le nouveau livre de Nicolas Goetzmann :Sortir l'Europe de la crise : le modèle japonais, (Atlantico éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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