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Libération du soldat américain en Afghanistan : comment on débriefe un ancien prisonnier de guerre soupçonné d’avoir été retourné
©Reuters

Homeland en vrai

Les États-Unis ont récemment célébré le retour du sergent Bowe Bergdahl détenu depuis cinq ans en Afghanistan. Un événement qui crée la polémique puisque l'ex-otage est soupçonné d'avoir déserté peu avant sa capture, d'aucuns allant jusqu'à évoquer un possible scénario Homeland. Un risque qui a existé sur d'autres conflits mais qui relève toutefois plus de la fiction que de la réalité aujourd'hui.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Quel type de procédures de précautions est engagé lorsqu'un ancien prisonnier de guerre revient dans son pays ? 

Alain Chouet : Tout dépend du pays considéré. En URSS ou en Allemagne nazie, les prisonniers de guerre étaient considérés comme des maladroits ou des traîtres et traités comme tels s’ils revenaient chez eux. Dans les démocraties occidentales, ils sont en général traités avec compassion et respect. D’autre part tout dépend évidemment du type de conflit et du nombre de ceux qui reviennent au pays. Quand il y en a plusieurs centaines de milliers comme en France en 1945 et que le conflit est éteint par la disparition de l’adversaire, aucune mesure particulière n’est prise. Pour la France, le dernier conflit ayant donné lieu à une problématique de prisonniers de guerre est le conflit indochinois à l’issue duquel certains prisonniers soupçonnés à tort ou à raison d’avoir été « retournés » par conviction ou suite à des contraintes insoutenables ont été quelques temps surveillés par les services de contre-espionnage. En général, cela n’a rien donné de concluant.
Les conflits actuels, qui tiennent plus du terrorisme ou de la guerre révolutionnaire, sont en général limités et ne s’encombrent pas de prisonniers. Le problème de leur retour se pose donc très rarement et il n’y a pas, en tout cas en France, de procédure ou de précaution particulière formelle prévue dans leur cas. Le bon sens, généralement appliqué, veut que - comme pour les otages - ils soient débriefés par les services compétents sur les conditions de leur capture et de leur détention et fassent pendant quelques temps l’objet d’un suivi psychologique. Ce dernier est d’ailleurs plus destiné à faciliter leur réinsertion et effacer le traumatisme de leur détention qu’à les surveiller.

Existe t-il des "cas exceptionnels" où des vérifications supplémentaires sont nécessaires ?

La série télévisée « Homeland » a malheureusement illustré et alimenté les fantasmes des Américains et de l’Occident. Elle a cultivé - peut être à juste titre - leurs incertitudes sur la légitimité de certaines de leurs actions. Elle est d’autant plus pernicieuse qu’elle est distrayante et techniquement bien faite alors que les événements qu’elle relate sont totalement invraisemblables et parfois absurdes. Qui irait chercher un soldat de base de l’armée fait prisonnier pendant plusieurs année et manifestement traumatisé par sa détention pour en faire un vice-président des Etats-Unis, un député ou un ministre ?
D’autre part, comment dans ce domaine qualifier un cas « d’exceptionnel » ? Une telle qualification supposerait qu’on a des doutes sur l’état mental ou les convictions profondes de l’intéressé. Si c’est le cas en ce qui concerne le soldat Bowe Bergdhal, il sera débriefé en détail par les services compétents de l’armée américaine et fera l’objet d’un suivi psychologique constant pendant plusieurs mois ou plusieurs années. Ce qui est à redouter est effectivement que l’imprégnation collective de la série « Homeland » nuise à sa prise en charge et à sa réinsertion.

Quels sont les "symptômes" qui attirent la suspicion dans ce type de cas ?

Ce sont les symptômes de ce que les psychologues appellent le « syndrome de Stockholm » qui, suite aux pressions, à la peur et aux traumatismes subis, amène un otage à se prendre d’affection pour son tortionnaire, à épouser sa cause et même à lui fournir aide et assistance. C’est un phénomène connu et bien étudié depuis le début des années 70. On recherche ces symptômes dans tous les cas de prise d’otage ou de réclusion de longue durée. Les psychologues savent en général l’identifier, en tirer les conséquences et proposer une prise en charge adaptée.

A-t-on connu dans l'Histoire des cas célèbres de "retournement" d'anciens prisonniers de guerre où s'agit-il finalement avant tout d'un fantasme télévisé ?

Il y en a eu, bien sûr. Tout comme il y a eu des cas de passage à l’ennemi. Ce fut le cas de Georges Boudarel en Indochine, instituteur devenu commissaire politique pour le Viet Minh et tortionnaire de prisonniers français. Il y a eu quelques rares cas de désertion et de passage à l’ennemi par des militaires français pendant la guerre d’Algérie. Mais les uns et les autres ont volontairement trahi.
Dans l’histoire récente, le cas le plus célèbre de retournement est celui du Maréchal Friedrich von Paulus, fait prisonnier par les Russes à Stalingrad qui s’est ensuite employé à dénoncer le régime nazi à la radio soviétique, a témoigné contre les accusés du procès de Nuremberg puis à contribué à l’établissement et à la défense de la RDA. Il est vrai que s’il était rentré en Allemagne après sa capitulation en 1942, il aurait probablement été fusillé ou contraint au suicide.

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