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Pourquoi les femmes françaises sont heureuses au travail même si elles sont moins payées que les hommes
©Reuters

Bonnes feuilles

C'est pour intéresser davantage les femmes à l'économie que les auteures ont entrepris d'en parler autrement. Extrait de "L'économie pour toutes", de Jézabel Couppey-Soubeyran et Marianne Rubinstein (2/2).

Marianne  Rubinstein

Marianne Rubinstein

Marianne Rubinstein, économiste, est maître de conférences à l’université Paris-VII-Denis-Diderot et membre du Centre d'économie de l'université Paris Nord (CEPN). Auteure de nombreuses publications économiques, elle écrit également des romans et des essais.

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Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie à l'université Paris I, où elle dirige le Master 2 Professionnel "Contrôle des risques bancaires, sécurité financière et conformité". Elle est l'auteure de Blablabanque. Le discours de l'inaction. Ed. Michalon, sept. 2015.

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Commençons par une belle distinction philosophique qui nous vient d’Aristote entre bonheur hédonique (profiter des plaisirs de l’existence) et bonheur eudémonique, que l’on atteint en réalisant son potentiel, son projet de vie, les objectifs que l’on s’est soi-même fixés. Par exemple, un travail peut nous stresser, nous fatiguer et en même temps nous rendre heureux car il donne un sens à notre vie (bonheur eudémonique).

Si ce que nous venons d’écrire vous paraît évident, sachez néanmoins que cela torpille ce que des millions d’étudiants ont appris pendant des années en cours de microéconomie – à savoir que la satisfaction d’un individu provenait uniquement des biens qu’il pouvait consommer et que le travail n’était qu’une « désutilité » à laquelle il devait sacrifier pour obtenir un revenu. Il ne s’agit pas de prétendre que travailler rend toujours heureux, mais que la vision du travail comme « désutilité » est extrêmement réductrice (par exemple, les deux auteures de ce livre ont eu un bonheur certain à l’écrire à quatre mains).

Les enquêtes sur le bonheur montrent d’ailleurs que les chômeurs sont plus malheureux que ceux qui travaillent, plus sujets à l’anxiété, à la dépression ou aux problèmes de sommeil et que, contrairement à d’autres épreuves de la vie auxquels on finit par s’adapter (le divorce, le veuvage, etc.), l’on ne s’habitue pas au chômage. Ajoutons que cet impact négatif est plus faible dans les régions à fort taux de chômage : il est moins difficile de supporter l’inactivité quand les voisins partagent votre sort.

Mais alors, qu’est-ce qui nous épanouit tant dans le travail ? Des chercheurs ont avancé qu’il y aurait quatre registres de « plaisir au travail » : celui lié aux rencontres, aux relations avec les collègues ; celui lié au sentiment d’être utile à la société, de servir à quelque chose ; celui d’aboutir à un résultat, de mener à bien une tâche ; celui de voyager, de s’enrichir personnellement, de découvrir de nouvelles choses. Et de ce point de vue, les enquêtes montrent plutôt une dégradation du bonheur au travail depuis les années 1990 en Europe. Les raisons avancées seraient notamment la perte d’autonomie, l’intensification du travail et une pression plus grande exercée sur les salariés. Comme quoi les lendemains ne chantent pas toujours…

Le plus étrange, c’est que les femmes françaises sont aussi satisfaites de leur emploi que les hommes, alors que la situation reste très inégalitaire. Une première explication à cette anomalie est que les femmes accorderaient moins d’importance que les hommes au salaire, à la sécurité de l’emploi, aux perspectives de promotion, privilégiant davantage les horaires flexibles et l’utilité de leur travail pour les autres. Une seconde explication est qu’elles auraient déjà anticipé qu’elles seraient moins bien traitées que les hommes et en seraient donc moins affectées.

Derrière ce bonheur supposé au travail, pourrait donc se cacher une certaine résignation – comme quoi il faut manier avec précaution ces fameux scores de satisfaction ou de bonheur ! D’ailleurs, dans les cantons suisses les plus égalitaires en termes de droit entre hommes et femmes (ceux qui ont répondu le plus favorablement au référendum sur la loi « à travail égal, salaire égal ») et où les différences de salaire sont les plus faibles, les femmes se révèlent moins heureuses au travail qu’ailleurs. Dans cette optique, le bonheur déclaré des femmes au travail pourrait donc diminuer à mesure que leur situation effective s’améliorerait, parce qu’elles s’attendent à davantage d’égalité dans leur vie professionnelle et qu’elles constatent que le fameux plafond de verre ne disparaît pas aussi vite qu’espéré.

Le malheur français

En France, on aurait tendance à Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, pour reprendre le titre de cette belle chanson de Gainsbourg chantée par Birkin. Claudia Senik, une économiste française, a en effet montré que, sur une échelle du bonheur graduée de 0 à 10, nous nous situions à 7,2, un mauvais score comparé à ceux des douze autres pays européens ayant participé à l’enquête (seul le Portugal a un résultat inférieur, mais avec des conditions économiques beaucoup plus défavorables). Lors de sa parution en 2011, l’étude n’avait pas fait grand bruit. Il aura fallu attendre que les journaux anglais et américains s’en emparent – avec, sans doute, une certaine délectation de voir confirmée leur image des « Français râleurs » – pour que l’on en reparle dans l’Hexagone et que l’on s’aperçoive que vivre dans notre pays réduisait de 20 % les chances de se dire très heureux : avec les mêmes conditions de vie, un niveau d’éducation et une espérance de vie similaires, les Belges sont à 7,7 et les Danois à 8,3.

Autant dire qu’il y a là un mystère qui semble lié à des dispositions culturelles. Mais comment l’appréhender ? En montrant, toujours avec cette même échelle du bonheur, que les immigrés ne sont pas plus malheureux en France que dans d’autres pays européens, que les Français vivant à l’étranger sont moins heureux que d’autres Européens hors de leur pays d’origine et que les immigrés ayant été scolarisés en France avant l’âge de dix ans sont moins heureux que ceux qui ne l’ont pas été.

À partir de là, notre économiste a formulé un certain nombre d’hypothèses sur les raisons du malheur français. Au premier rang desquelles figure l’école, qu’elle juge à la fois trop élitiste et pas assez ouverte sur le monde. Il faut, avancet- elle, mieux maîtriser les langues étrangères pour s’inscrire dans la mondialisation etmieux valoriser la diversité des aptitudes et des compétences, en cessant de se fonder exclusivement sur celles en mathématiques et en français.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Car il s’agit aussi, y compris pour notre bonheur immédiat, d’imaginer sans trop de crainte le monde et la société de demain et de se projeter sereinement dans l’avenir.

Extrait de "L'économie pour toutes", de Jézabel Couppey-Soubeyran et Marianne Rubinstein, publié chez la découverte, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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