Un bon bilan, vraiment ? Pas en regardant le détail de ce que financent les investissements directs étrangers en France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Un bon bilan, vraiment ? Pas en regardant le détail de ce que financent les investissements directs étrangers en France
©Reuters

Cadeau empoisonné

Les investissements directs à l'étranger (IDE) faits en France ont chuté de 77% en 2013. En plus d'être en chute libre, ils n'ont pas toujours les effets positifs que l'on pourrait attendre sur l'économie nationale. Par ailleurs, la France est la 3e destination européenne des IDE avec 514 nouvelles implantations selon une étude Enrst & Young.

Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est Docteur en Sciences de Gestion et professeur émérite en finance à HEC ainsi que Président du Club Finance HEC qui réunit plus de 300 professionnels de la finance.

Il est  également consultant auprès de grandes banques et d'organismes internationaux et travaille dans le domaine du "private equity" à travers un fonds d'amorçage dédié aux "start-ups".

Il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Les meilleurs pratiques de l'entreprise et de la finance durables, à l'automne 2010.

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les secteurs d'activités qui bénéficient le plus des investissements directs à l'étranger (IDE) en France ? Pourquoi ces secteurs sont-ils aussi attractifs ?

Bernard Marois : Les secteurs les plus prisés sont ceux qui bénéficient d’un certain niveau de technologie ou qui sont considérés comme sous-valorisés par rapport à leur potentiel. Il y a en effet plusieurs aspects à considérer sur les IDE en France. Tout d’abord, leur volume a nettement diminué par rapport à l’an dernier. Secundo, une bonne partie de ces IDE se font par le rachat d’entreprises déjà existantes. Ils ne sont donc pas créateurs de nouvelles activités et ne doivent pas forcément être vus comme des phénomènes positifs. Tertio, dans la plupart des cas il y aura des transferts de technologies de France vers les pays d’origine des investissements étrangers. On constate même depuis plusieurs années des cas de transferts du siège social de la France vers l’étranger. On l’a vu pour ArcelorMittal, on va le voir probablement pour Alstom ou pour Airbus.

On peut aussi estimer, d’un point de vue économique, que les entreprises françaises sont vraiment sous-valorisées. Leur PER ("price earning ratio") sont plutôt bas par rapport à leur valeur historique. Pour des entreprises étrangères, cela peut être intéressant de racheter des entreprises françaises pour profiter de la valorisation qui pourrait survenir à moyen terme. La France étant dans une situation de stagnation économique, forcément l’image des entreprises est dévalorisée au niveau international. C’est donc le bon moment de racheter les entreprises françaises, voire les fleurons de son industrie.

Quel est l'impact réel de ces IDE sur l'emploi en France ? Contribuent-t-ils vraiment à la création d'emplois ou sont-ils plutôt négatifs sur ce qui est l'une des principales préoccupations des Français ?

La plupart des activités d’investissement se font sous forme de rachat. Donc, plus il y a d’achats, plus l’impact sur l’emploi sera négatif, car il y aura des rationalisations et des restructurations. Cela signifiera donc des plans sociaux. Mais les choses se feront dans la durée, il n’y aura pas d’impact négatif au lendemain du rachat. C’est typiquement ce que l’on a vu dans le cas d’ArcelorMittal.

Quels peuvent être les autres conséquences négatives d'investissements directs à l'étranger dans une économie comme la France ? Peuvent-ils, sous certaines conditions, s'avérer réellement contre-productifs ?

Nous souffrons d’un manque de capitaux privés français prêts  à être investi dans notre économie, par manque de "business angels" ou de fonds de pension notamment. Forcément, nous devons nous appuyer sur des investisseurs étrangers. Et, qu’on le veuille ou non, la nationalité peut avoir un impact. Une entreprise qui achète pourrait en effet être plus sensible aux influences de son pays d’origine que celles du pays où elle achète.

L’autre danger, c’est qu’il y ait une prise de possession des domaines de technologies où la France a encore une avance. Je pense notamment au domaine médical, nucléaire ou spatial. Ces secteurs peuvent intéresser des sociétés étrangères, et le risque, à terme, des IDE est une délocalisation de notre recherche appliquée vers les pays ayant procédé aux investissements.

Les investissements directs à l'étranger en France ont chuté de 77% en 2013 ? Quels sont les secteurs qui attiraient auparavant les IDE et qui les ont perdus ? Pourquoi ?

La chute des trois quarts de l’an dernier est très symbolique des éléments psychologiques négatifs tels que la phraséologie du gouvernement socialistes contre l’entreprise et la finance, la montée de la fiscalité des entreprises, la question de la taxe à 75% sur les hauts revenus. Cela a découragé les investisseurs. Et la situation de l’économie française en berne, et les faibles perspectives de croissance aggravent les choses. Par contre, comme les investissements directs étrangers en France sont très éparpillés, il n’y a pas de secteurs ayant encaissé la majorité de la baisse. Les entreprises de tailles intermédiaires – notamment dans le secteur industriel – qui ne trouve plus de relais de croissance pour financer leurs investissements en France ont cependant plus souffert avec la disparition des investissements venus de l’étranger.

La volonté d'Arnaud Montebourg de soumettre à autorisation gouvernementale certains investissements étrangers pourrait-elle faire perdre à plusieurs secteurs d'activité leurs ressources en IDE ? Lesquels et quels serait les conséquences ? 

Si le projet voyait vraiment jour, la France ne serait pas le premier pays à pratiquer une forme de protectionnisme larvé pour défendre son industrie nationale. Mais la façon dont cela est pratiqué – comme une sorte de croisade anti-investissements étrangers – n’est pas forcément favorable. Cela va toucher évidemment les secteurs dits « protégés », c’est-à-dire pratiquement tous les grands secteurs industriels. Je ne suis donc pas certain que la formule soit bonne. Il serait beaucoup plus utile de créer un environnement favorable à l’entreprise, ce serait sans aucun doute la meilleure des défenses. Il y aurait en effet plus d’investisseurs français susceptibles de participer à la croissance de l’économie française, et le besoin de faire appel à des fonds étrangers serait moindre. Le problème se résoudrait de lui-même. A court terme, la proposition d’Arnaud Montebourg peut constituer une protection, mais pas à long terme, d’autant qu’elle a été formulée sur une ou deux affaires emblématiques. C’est donc plus une posture "pour l’exemple". Cela donne donc un signal négatif à l’étranger, sans même parler du risque que ces règlementations soient retoquées à Bruxelles…  

Propos recueillis par Damien Durand

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !