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Quand le conflit syrien explique pourquoi la Russie tient tant à garder son emprise sur l’Est de l’Ukraine
©Reuters

Dealers d’armes

L'ouverture sur les mers chaudes est l'un des enjeux de la prise de contrôle de l'Est de l'Ukraine par la Russie. L'intérêt est militaire, mais également économique, et ce sous tous rapports.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Selon deux analystes du Center for Advanced Defense Studies (C4ADS), basé à Washington, les livraisons d'armes de la Russie vers le régime syrien seraient effectuées par un réseau de trafiquants d'armes basé en Russie et en Ukraine (lire le dossier ici), fortement lié au gouvernement russe. Quelle est l'ampleur de ce marché ? Peut-on parler d'un business quasi institutionnel ?

Alain Rodier : On ne pas parler de "marché illégal" dans la mesure où l'URSS, puis la Russie et l'Ukraine, sont des fournisseurs attitrés du régime syrien. Il est certain que depuis le début de la guerre civile, les approvisionnements se sont poursuivis le régime ayant un besoin vital de recompléter ses forces en munitions et en pièces de rechange (particulièrement pour ses blindés et ses hélicoptères). Le circuit maritime pour rejoindre les ports syriens tenus par le régime est le plus logique et certainement le plus important en tonnages. Il est aussi "normal" que ses livraisons restent secrètes -comme beaucoup de marchés d'armements-, ce qui explique le soin de dissimulation (sociétés écran, transports via des navires civils dans la majorité des cas, hommes de paille, etc.).

La question importante est : qui paye ? En effet, même la Russie ne fait pas de cadeau dans le domaine des marchés d'armes et les moyens financiers de Damas sont actuellement limités. Il est peut-être utile de regarder du côté des soutiens étatiques au régime d'Assad. 

Outre le rattachement de populations russophones, la prise de contrôle de la Crimée et la mise sous influence russe de l'est de l'Ukraine trouve-t-elle aussi son origine dans la volonté de Poutine de faciliter les exportations d'armes (notamment vers la Syrie) grâce à une meilleure ouverture sur la Mer Noire ?

La raison première de l'annexion de la Crimée par Moscou n'est pas la défense des russophones mais l'accès aux "mers chaudes", vieille hantise de la Russie. C'est une question de puissance militaire (rompre l' "encerclement", une autre vieille hantise russe), diplomatique et économique. Dans ce dernier domaine, le commerce d'armement n'en constitue qu'une petite partie. Le problème de l'approvisionnement syrien n'est que ponctuel et limité dans le temps car le conflit s'arrêtera bien un jour. Par contre, garder la porte ouverte vers les mers chaudes devrait être pérenne.

A mesure que la guerre en Syrie s'éternise, la demande en  armes et en munitions augmente (voir chiffres ici). Le marché des armes est-il effectivement plus florissant depuis que le conflit syrien a démarré ?

Une guerre de ce type est une bénédiction pour tous ceux qui en profitent. Du côté gouvernemental, les "hommes d'affaires" qui doivent fournir, non seulement de l'armement, mais aussi les biens de première nécessité aux populations se frottent les mains car les prix montent. Ce sont parfois les mêmes qui fournissent aussi l'opposition, l'argent n'ayant pas d'odeur comme dit le dicton.

Parmi ces "hommes d'affaires" se trouvent des représentants du crime organisé international qui ont intérêt à ce que le conflit dure longtemps. Il est toujours très difficile de faire la différence entre un homme d'affaire "entreprenant" et son homologue "en odeur de mafia". Il est certain que les maffyas turco-kurdes qui ont une longue tradition de contrebande, ont trouvé en Syrie un pays où de nombreux marchés parallèles peuvent être développés. Dans un sens passent les armes, les véhicules et les biens de consommation (même de l'électronique grand public fort appréciée de certains djihadistes internationalistes), dans l'autre du pétrole et des êtres humains (les réfugiés qui monnayent leur passage des frontières)(1). Les financements sont là puisque l'Arabie saoudite, le Qatar et autres pays du Golfe persique apportent leur aide en monnaie sonnante et trébuchante.

Il n'est pas impossible que des armes destinées à l'opposition soient achetées aux groupes criminels ukrainiens qui ont encore accès à de nombreux dépôts. Il faut se rappeler que, dans le passé, ce pays a vendu illégalement des chars T-62, des avions An-32 et même quelques missiles de croisière à Téhéran.

Les mafias ukrainiennes dirigées par les Zlodly u Zakoni ("voleurs dans la loi" en ukrainien) sont très puissantes : Odessa est surnommée la "mère de la corruption" et la Crimée la "Sicile ukrainienne". Il est parfois difficile de comprendre une chose fondamentale : le crime organisé n'est pas dans un camp politique ou dans l'autre ; il est là où il peut faire des profits facilement. Ainsi, un des criminels ukrainien les plus recherché par les Américains est Semion Mogilevich. Il coule des jours heureux à ... Moscou. Accessoirement, ce serait lui qui aurait mis le pied à l'étrier à de nombreux oligarques ukrainiens d'aujourd'hui.  Sergeï Aksionov, le nouveau Premier ministre de Crimée, a un passé très mystérieux pour ne pas dire sulfureux. Enfin, une des famille mafieuse les plus connue de Crimée (il y en aurait plus d'une cinquantaine) est le clan Seilem qui est d'origine tatare, donc proche de ses cousins turcs ! Or, comme cela a été dit plus avant, les mafias turco-kurdes se livrent à de juteux trafics à la frontière syrienne (2).

1. Les passeurs  de volontaires étrangers seraient souvent des hommes de main des mafias. Dans l'autre sens, ils guident des réfugiés.

2. Aucune information ne circule sur le trafic de drogue. Actuellement, la lutte contre les stupéfiants n'est certainement pas une priorité dans la région qui a un lourd passé dans ce domaine. Il serait étonnant que le crime organisé ne profite pas de cette opportunité.

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