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Et maintenant quoi pour l’UMP (et pas besoin d’être Mme Soleil non plus) ?
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Prospectives

Avec ses 20,7 % de voix aux élections européennes, l'UMP ne fait pas le poids face aux 24,6 % du FN. Ses cadres n'ont pas manqué de reconnaître leur incapacité à revêtir l'habit de premier parti d'opposition.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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• François Fillon : l'UMP est "atteinte dans sa crédibilité, [...] son honneur est mis en cause".

• Jean-François Copé : "Quand la gauche est au pouvoir, le FN fait des scores très élevés".

• Alain Juppé :  "C'est un choc profond [...], nous ne sommes pas arrivés à créer une dynamique européenne".

Atlantico : Aujourd'hui, dans quel état l'UMP est-elle en termes de cohésion et au plan idéologique ?

Jean Petaux : Sans verser dans les appréciations définitives et employer un vocabulaire grandiloquent, il me semble que l’UMP est dans un état de cohésion particulièrement fragilisé et dans un projet idéologique pour le moins confus. Sans doute que la question européenne qui a toujours divisé la droite de gouvernement en France a accentué encore cette situation, mais si les problèmes de l’UMP se limitaient aux différences d’appréciation sur l’Europe entre Laurent Wauquiez et Alain Juppé ou entre Henri Guaino et Alain Lamassoure ce serait un climat totalement serein et quasi bienheureux. En réalité l’UMP est dans un profond marasme, polytraumatisée (parce que s’il n’y avait que la fracture entre les deux clans Copé et Fillon se serait là aussi un moindre mal) et sans doute incapable de fonctionner dans les mois à venir. Le résultat des élections européennes montrant, en pourcentage, un différentiel d’environ 5 points entre l’UMP et le FN, peut très bien être la "cause occasionnelle" d’une implosion du parti fondé il y a 12 ans et présidé à l’origine par Alain Juppé. Cet élément déclenchant (la "cause occasionnelle" de l’implosion) peut fonctionner conjoncturellement comme un détonateur qui vient percuter une crise structurelle provoquée par une accumulation de "soucis profonds" : l’absence de programme politique alternatif à la politique gouvernementale actuelle ; les conditions de l’élection du président Copé face à Fillon ; l’affaire Bygmalion ; l’impossible gestion de la relation au "fantôme de l’Elysée" battu en mai 2012… Finalement la victoire du FN au soir des Européennes n’aura peut-être comme seul véritable effet tangible dans la vie politique nationale française que de précipiter un véritable "règlement de compte à OK UMP". La victoire effective des listes UMP aux municipales de mars aura alors fonctionné comme un "cautère sur une jambe de bois" ou, plus prosaïquement, comme un "produit masquant" qui n’aura fait que différer la mise à plat des problèmes à l’agenda du parti.

Mais prenons garde à ne pas enterrer l’UMP trop vite. Les partis politiques sont finalement très "résilients" aux défaites. Les appareils tanguent, grincent, coincent parfois même, mais ils tiennent le choc jusqu’à ce qu’une option alternative se présente sous forme soit d’une alliance avec une autre formation (cas de Force Démocrate de Bayrou qui "explose" avant le premier tour de la présidentielle et qui devient MODEM en s’associant avec le mouvement de Corinne Lepage par exemple…) soit par transformation au profit du leader (cas de l’UDR qui devient RPR le 5 décembre 1975 après que Chirac ait fait son "18 Brumaire" sur l’appareil de l’UDR un an plus tôt en décembre 1974).

>>> A lire également : Et maintenant quoi pour le PS et François Hollande (et pas besoin d’être Mme Irma...) ?

André Bercoff : Situation paradoxale. Il ne faut tout de même pas oublier qu’il y a un mois, l’UMP a été le grand vainqueur des élections municipales, remportant plus de 150 villes de plus de 10 000 habitants. Les résultats du dimanche 25 mai montrent simplement que cette formation, dans un scrutin à la proportionnelle et à un tour, n’a pas réussi, loin s’en faut, à marquer sa différence avec le parti au pouvoir qui fait nettement moins bien qu’elle en termes de suffrages. En termes de cohésion, l’UMP ressemble aujourd’hui à la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table à dissection. Idéologiquement, c’est le retour aux querelles tribales. Vient à présent le temps de la grande lessive.

Quels sont les principaux enjeux auxquels, dans ce contexte, l'UMP devra faire face d'ici 6 mois, 12 mois et 18 mois ? De quelles marges de manoeuvre le parti dispose-t-il pour y faire face et quelle issue est la plus prévisible ?

  • A 6 mois :

Jean Petaux : Dès la semaine qui s’ouvre, avant même le pont de l’Ascension, le prochain bureau politique de l’UMP risque d’être assez dramatique. La soirée électorale du dimanche 25 mai a montré combien les différents leaders de l’UMP ont l’intention de placer Jean-François Copé devant ses responsabilités. Il va falloir que ce dernier déploie des trésors stratégiques pour repousser les assauts de ses rivaux. Nicolas Sarkozy, qui a tout intérêt à conserver un Copé très affaibli à la tête de l’UMP, a pris un risque considérable en s’impliquant la semaine avant l’élection dans la campagne électorale en publiant sa tribune dans 'Le Point'. Outre qu’elle n’avait guère d’intérêt et qu’elle avait pour seule ambition en évoquant la sortie immédiate de "Schengen" au profit d’une renégociation du traité sur la question de l’immigration, de contrer le FN (on a vu le résultat…) elle a ramené son auteur au niveau des autres "compétiteurs" de l’UMP. Pas très profitable comme démarche. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si Copé doit rester ou partir, c’est vraiment une question propre à l’UMP elle-même, mais si on regarde en arrière, à deux reprises, en 1994 et en 1999, deux "chefs de file" politiques ont tiré les leçons de leur défaite électorale aux Européennes : le premier était Michel Rocard touché en plein cœur par le "missile Tapie", le second était Nicolas Sarkozy, sauveteur malheureux du navire RPR abandonné par la "tête de liste" Philippe Seguin en pleine campagne, mais abattu par l’UDF et l’attelage Pasqua-de Villiers. Ils démissionnèrent tous les deux de leurs responsabilités politiques. Le premier ne s’en releva pas, le second entama une "courte" traversée du désert jusqu’en 2002. Cela ne lui a d’ailleurs pas porté tort. Après tout si Copé s’en inspirait ce serait peut-être la première fois qu’il ne commettrait pas une erreur depuis de nombreux mois. Et puis il y a plus d’honneur à démissionner sur une défaite qu’à être éventuellement chassé sur un scandale…

André Bercoff : Les règlements de comptes à UMP Corral commencent demain. Tout est remonté à la surface : le duel Copé-Fillon pour la présidence du parti, les affaires, de Takieddine à Bygmalion, les manoeuvres de certains sénateurs… Et aujourd’hui, un Front national qui coiffe tout le monde au poteau, et de quelle façon ! Entre droite forte, droite populaire, ambitions présidentielles déjà exposées, rivalités à tous les étages et mise en question du système Copé, tout peut arriver. Le plus probable, quand même, est qu’étant donné la situation, l’UMP, pour le moment, cherchera à raccommoder la nappe plutôt qu’à renverser la table. 2017 est encore loin. Mais le parti ne pourra demeurer dans une unité de façade que s’il fait contre mauvaise fortune bonne transparence. 

  • A 12 mois :

Jean Petaux : Bien sûr que les fractures idéologiques devront être réduites… Mais pour ce faire il faudrait au moins les identifier. Il est très frappant de constater l’absence de débat interne à l’UMP depuis plusieurs mois. Autant comme à l’occasion du congrès de l’automne 2012, pour la première fois, on a pu voir des "courants" et des "sensibilités" s’exprimer avec des débats et des réunions internes où tel ou tel leader (sous-leader…) mettait en avant quelques idées qui lui étaient chères, autant comme depuis un an l’encéphalogramme programmatique de l’UMP semble bien plat. Il ne suffit pas de dire "le gouvernement va dans le mur" pour constituer un programme. Qu’en est-il des lois adoptées justement depuis juin 2012 ? L’UMP reviendra-t-elle sur le "mariage pour tous" ? L’UMP reviendra-t-elle sur la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi ? Les "fameuses" 35 heures seront-elles ou non abolies ? Et l’écotaxe dont le principe a été adopté sous la présidence Sarkozy : rétablie ? Il ne s’agit là que de quelques exemples. Et on pourrait allonger la liste y compris par rapport aux mesures gouvernementales pour rétablir les comptes publics… Sans parler de l’énorme serpent de mer du "mille feuilles territorial". Le PS est en train, plus ou moins, de refaire ce que la présidence Sarkozy a imaginé dans la loi du 16 décembre 2010 (et que les Socialistes se sont empressés d’annuler dès leur arrivée au pouvoir au printemps 2012). L’UMP revenue au pouvoir annulera-t-elle une réforme territoriale qui aurait réduit le nombre de régions ? Comme on peut le voir : le flou artistique et programmatique de l’UMP n’est pas propice à une quelconque crédibilité politique. On voit mal d’ailleurs, compte tenu de l’état du "grand corps malade" comment il pourrait en aller autrement.

Pendant les 12 mois à venir, jusqu’en mai 2015, Nicolas Sarkozy aura peut-être vu se régler quelques-unes des affaires judiciaires qui le préoccupent, à son avantage peut-être aussi, mais généralement ces dossiers avancent à leur rythme, un peu comme ces animaux sauvages qui foncent droit devant eux sans se préoccuper de l’environnement, des circonstances, etc. Bien malin qui peut maitriser dès lors un calendrier judiciaire à plusieurs échéances. Le danger pour l’UMP c’est que les 12 mois qui viennent, sans élection, soient occupés à aiguiser les couteaux et à préparer les primaires de 2016, avec une série de batailles très dures sur des questions aussi stratégiques, dans cette perspective, que le choix de la date des primaires ; la nature "ouverte ou fermée" des mêmes primaires ; les modalités pratiques du vote interne (démultiplication des bureaux de vote pour permettre à nombre de sympathisants de voter ou au contraire centralisation dans quelques points tenus par tel ou tel clan – le chef-lieu de département par exemple -, vote électronique ou pas, etc.). Bref, au lieu de faire de la politique l’UMP fera de la gestion interne des conflits et des ambitions…

André Bercoff :  Sarkozy peut continuer à jouer la statue du Commandeur. Nul doute néanmoins que son manifeste européen publié dans Le Point, s’il témoigne de sa cohérence, n’aura rien fait pour le renforcement de sa position. Même s’il n’a pas appelé à voter UMP,  le résultat du scrutin prouve que l’effet Sarko n’a pas fonctionné. Reste qu’il est toujours là et que dans le combat fratricide des voraces et des coriaces, il demeure un recours mais non LE recours. Nuance. Car effectivement, il n’en a pas fini avec la Justice.

  • A 18 mois :

Jean Petaux : Alain Juppé, l’un des seuls cadres de l’UMP qui semble avoir une vision lucide de la situation, l’a encore redit au soir du résultat des Européennes, le 25 mai : "Il faut d’abord rassembler le parti, faire la lumière sur les affaires et les questions financières et organiser dès le début de l’année 2016 les primaires pour la présidentielle de mai 2017". Il a même plaidé pour un retour à une "UMP canal historique" (ce n’est pas son expression, mais cette image fait sens), fédératrice de toutes les composantes de la droite et du centre-droit, sur le modèle de celle qu’il a élaboré en 2002, à l’exception notoire alors de François Bayrou. Au détour d’une phrase, on a entendu Alain Juppé dire que les scores additionnés de l’UMP et de l’UDI-MODEM dépassaient les 30% et que s’il y avait eu "Union", le FN ne serait pas sorti en tête des élections européennes de 2014. Peu importe que cette stratégie soit la bonne ou pas. Ce qui compte déjà c’est qu’elle a le mérite d’exister. Si Alain Juppé veut des primaires, pour tous les candidats, c’est qu’il veut contraindre Nicolas Sarkozy, malgré son statut "entièrement à part", à passer par la case "primaires" pour être un éventuel candidat présidentiel à "part entière" et il se dit, secrètement, sans doute, qu’à la faveur de primaires "ouvertes" (et non "biaisées") il n’est pas certain que Sarkozy l’emporte… Si Alain Juppé veut des primaires au premier semestre 2016 par ailleurs, c’est qu’il pense sans doute aussi que Nicolas Sarkozy n’en aura pas encore terminé avec l’équipe de football de juges d’instruction qui s’intéressent à son cas… A l’inverse Nicolas Sarkozy a tout intérêt à jouer la montre et à entrer dans le jeu de la présidentielle de 2017 un peu à la manière d’un président sortant : à compter de décembre 2016 – janvier 2017, comme s’il était sûr d’être le champion de toutes les droites réunies sous sa bannière. Quant à Jean-François Copé et François Fillon que leur reste-t-il ? Un peu comme deux cerfs s’affrontant à l’automne, ils donnent le sentiment d’avoir tellement enchevêtrés leurs bois en un combat frontal et fatal qu’ils sont plutôt discrédités auprès des militants. Les sondages, avec leur grande incertitude dès lors qu’il s’agit de "panels internes" aux partis politiques, le disent assez bien. Ainsi neutralisés l’un par rapport à l’autre, ils laissent, de facto, le champ libre soit aux "jeunes quadras-quinquas" (Lemaire, Wauquiez, Bertrand, NKM), soit à un duel Sarkozy – Juppé. Chacun de ces duellistes s’emploiera alors à rallier certains de ces futurs candidats des années 2020… Alors pour ce qui est du positionnement respectif de l’un, Alain Juppé, et de l’autre, Nicolas Sarkozy, s’ils choisissent le même créneau on voit mal ce qui les différencieraient. En revanche si Alain Juppé adopte la démarche qui est la sienne depuis toujours : "aucun appel du pied en direction du FN, rassembler la droite et le centre-droit", tout naturellement et fort logiquement, Nicolas Sarkozy cherchera à rejouer le rôle de 2007 qui lui a si bien réussi : "ouverture vers des personnalités de gauche mais aussi vendange massive des voix FN en durcissant le discours et les propositions sécuritaires et en multipliant les gestes et propositions en direction des plus fragiles socialement, des jeunes, de tous ceux qui, selon les sondages sorties des urnes ont voté majoritairement FN aux Européennes de 2014".

André Bercoff : A 18 mois, une alternative : ou l’UMP explose, avec un certain nombre de militants qui font alliance et créent une nouvelle formation avec le MoDem et l’UDI tandis que les autres prennent langue avec le FN ; ou elle arrive à surmonter sa crise existentielle, mais cela ne se fera pas sans abandonner quelques cadavres sur le terrain. Primaires ou pas primaires, telle n’est pas aujourd’hui la question. L’UMP devra enfin se décider à choisir entre un social-libéralisme européen et un parti mettant en avant l’identité française et la défense de la nation. L’entre-deux ne sera plus permis et la synthèse, chère à un certain François Hollande, restera un souvenir lointain.

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