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Moins polluer en se levant plus tard ? La longue liste de ce que nous avons TOUS à gagner à permettre à chacun de suivre ses rythmes naturels
©Reuters

Désynchronisation

Dans les années 50, la France a commencé à mettre en place divers processus, aujourd'hui repris par une start-up américaine. L'idée était d'aménager les horaires de travail au travers de différentes politiques temporelles, afin de pouvoir contrôler le désengorgement des transports en commun, assurer un meilleur confort et une meilleure santé des travailleurs.

Sandra Mallet

Sandra Mallet

Sandra Mallet est géographe et urbaniste. Elle est également maître de conférences et enseigne à l'Université de Reims.

 

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Atlantico : Aux Etats-Unis, la start-up New Engines (voir ici) est en train de mettre en place des outils permettant de consulter en temps réel l'engorgement des transports en commun et travaille à ce que les villes puissent récompenser les usagers qui faciliteraient le désengorgement aux heures de pointe. Qu'aurions-nous à gagner à étaler les heures d'arrivée au travail le matin ? 

Sandra Mallet : En France, des initiatives de la sorte ont d'ores et déjà été prises. Tant pour réaménager les horaires de travail que fluidifier le trafic et donc éviter les pointes dans les transports en commun. Dès les années 50, nous avons commencé à nous intéresser à se genre de sujets : en 1958, par exemple, le Comité National pour l'Aménagement des horaires de Travail (CNAT) a vu le jour, créé par le ministère des transports de l'époque. Egalement à mentionner, le Comité pour l'étude et l'Aménagement des horaires de Travail et des temps de Loisir (CATRAL), spécifique à l'Île-de-France et créé au début des années 1960. Il durera jusqu'en 1990 et s'intéressera à des questions du même ordre. L'idée était de limiter l'uniformité des horaires et la fixité des temps de travail. De nombreux rapports et quelques expériences sur ce sujet ont commencé à paraître à la fin des années 50. En 1958, par exemple, à l'initiative du CNAT, la sortie des employés administratifs et des écoliers avait été décalée d'une demi-heure dans certains quartiers de Strasbourg, de façon à ce que les parents puissent aller chercher leurs enfants.  A Paris, des expérimentations de la sorte ont aussi été menées. Et finalement, la question du gain peut se poser à plusieurs niveaux.

En premier lieu, parce que les pointes de trafics coûtent à la SNCF, mais également à la RATP et à EDF. Le CNAT avait donc participé à la création d'heures plus creuses. Effacer les heures de pointe – dans la mesure du possible – c'est contribuer  à améliorer les conditions de transports de tout un chacun. Et on constate en effet que les horaires de travail sont de plus en plus flexibles, depuis une vingtaine d'années. Cependant, la question de la pollution générée par les transports ne peut passer que par une offre d'alternatives à l'utilisation de la voiture personnelle. A Strasbourg, encore une fois, ont été menées différentes politiques pour trouver des moyens alternatifs à la voiture individuelle. On a donc assisté au développement de plans vélos, de plans piétons, et de différents modèles de déplacement doux.

Une telle initiative ouvre-t-elle la voie à un mode d'organisation sociale qui prendrait davantage en compte les rythmes individuels ?

Comme je le disais, les horaires de travail sont de plus en plus flexibles depuis ces 20 dernières années. Les journées courtes augmentent, les journées longues également. Les horaires sont de plus en décalés, et le travail de nuit comme les temps partiels se développent. Il faut savoir qu'en France, moins de la moitié des actifs continuent à travailler selon le modèle traditionnel de la semaine de cinq jours. Soit, huit heures par jour, environ, du lundi au vendredi. Aujourd'hui, c'est  un standard qui tend à s'effacer, et cela s'illustre par le fait que depuis plusieurs années, il est possible de noter que les pics de trafics dans les transports en commun sont moins marquées qu'avant. Cela est lié, en partie, à des modifications en termes d'horaire de travail. Mais les pointes de trafic se lissent par le haut :  les gens aujourd'hui sont très mobiles et le travail est loin d'être le seul motif de déplacement. Et les motifs sont nombreux: achats, loisirs, tourisme, affaires personnelles, etc. Ils se déplacent de plus en plus, tout en étant de moins en moins soumis aux mêmes horaires stricts.

Les rythmes sont donc bien plus individualisés qu'auparavant, puisque ce qui génère les rythmes de la société, ce sont les rythmes de travail. Or, ces rythmes "à la carte"  répondent à des exigences économiques, dans bien des cas. C'est pourquoi le modèle traditionnel, adapté à l'époque industrielle est en train de disparaître, désormais

Cela étant, tout n'est pas question uniquement d'horaire : les lieux de travail se diversifient également.  Nous travaillons de plus en plus depuis chez nous, puisque nous sommes de plus en plus joignables partout. C'est également une dynamique importante à prendre en compte pour comprendre l'évolution des rythmes sociaux.

Aujourd'hui à combien estime-t-on la proportion de la population contrainte de se conformer à un rythme en conflit avec ce que sa biologie réclamerait ? Quels problèmes cela leur pose-t-il ?

Il n'existe pas de chiffres ni d'études à ce sujet. On ne peut donc pas estimer quelle est la proportion de la population à travailler selon des rythmes contraires à ce dont ils ont besoin. Ce que l'on sait à ce sujet, néanmoins, c'est que le travail de nuit augmente et qu'il est de plus en plus irrégulier.

Les chronobiologistes – qui s'intéressent aux impacts des rythmes sur l'individu – ont su montrer combien les rythmes avaient un impact crucial sur notre santé. L'homme est régi par les rythmes circadiens, de 24 heures, qui influencent notre sommeil, notre système immunitaire, nos sécrétions hormonales, l'appétit, l'humeur, mais aussi notre rythme cardiaque. S'il advenait que ces rythmes circadiens soient perturbés, soit par des facteurs génétiques, soit par des facteurs environnementaux (ce qui concerne essentiellement les horaires de travail), les risques sont accrus. Ce qui, concrètement, signifie plus de risques de cancers, de maladies cardiovasculaires ou infectieuses. Le travail de nuit est même reconnu comme "cancérigène probable" par l'OMS depuis 2008. Et une étude de 2012 a démontré que le risque de cancer du sein augmente drastiquement en cas de travail de nuit régulier. On soupçonne également, bien que ça ne soit pas démontré, qu'un dérèglement des rythmes circadiens favoriserait le diabète, l'obésité et accélérerait le vieillissement. 

Au-delà des problèmes de santé, on rencontre aussi des contraintes d'ordre plus familiales. Forcément, les rythmes familiaux sont eux aussi bouleversés et la vie de famille est complexifiée, puisqu'il faut pouvoir s'accorder aux différents rythmes. Ce qui soulève la question du temps nécessaire pour se retrouver en famille et d'autres problèmes très concrets : comment amener ses enfants à l'école ? Comment les faire garder si on travaille la nuit, en sachant que la crèche à des horaires très restreints ?

Au delà des gains en termes de développement urbain et de développement durable, que pourrait apporter le fait de laisser les individus vivre selon leur rythme biologique ?

Concrètement, on ne peut pas, aujourd'hui, séparer les rythmes de travail et les rythmes urbains qui sont générés et soumis aux premiers. Laisser vivre un individu selon son propre rythme biologique, cela veut dire lui éviter les facteurs de risques que nous évoquions auparavant, et donc préserver sa santé.

En matière de pollution, il faut néanmoins nuancer l'impact bénéfique de la chose : puisque les rythmes se multiplient, cela implique également que de plus en plus de gens travaillent de nuit. Or, il faut donc assurer des moyens de transports pour ces travailleurs et éclairer  les villes concernées, et ces éclairages induisent une pollution visuelle forte et une perturbation des écosystèmes importante.

Quels sont les avantages en termes d'équilibre entre vie privée et vie professionnelle ?

Partons d'un exemple très concret. Au milieu des années 80, en Italie, on a assisté à une nouvelle vague de politiques temporelles sous la pression d'un mouvement féministe. En vérité, les femmes avaient alors investi le milieu professionnel salarié, et commençaient à rencontrer de sérieux problèmes pour gérer leur temps de vie, entre temps de travail, temps administratif, domestique ou familial.

Aujourd'hui, ces politiques temporelles existent aussi en France. Depuis la fin des années 1990, plusieurs sont menées dans plusieurs villes de France, comme Paris, Poitiers, Rennes ou Lyon. Il s'agit d'adapter la rigidité les horaires traditionnels à la diversification des emplois du temps des populations. Ce qui permet, nécessairement, de mieux coupler vie de famille et vie professionnelle, puisqu'il est davantage possible de s'accorder sur les rythmes du conjoint et des éventuels enfants.

Quel est le revers de la médaille à laisser vivre tout un chacun à son rythme ? N'a-t-on pas à gagner à essayer d'unifier les temps sociaux ?

Evidemment. Avec l'individualisation des rythmes, on contribue forcément à l'individualisation de la société. Ce qui peut bien entendu mener à certains travers précédemment cités, comme la complexification de certains rapports sociaux.

Cependant, il existe des poltiques temporelles qui sont menées vis-à-vis des décalages horaires, comme je l'ai évoqué précédemment. Il est question de rythmes de vie et de rythmes sociaux, des problèmes que cela implique pour la santé, et du ressenti des gens. On a ainsi vu se développer des mouvements du "slow", comme par exemple, le slow food ou les cittàslow, nés en Italie dans le milieu des années 1980. Les cittàslow, ou "villes lentes" se développent et constituent un réseau de villes de moins de 50 000 habitants. Concrètement, la lenteur passe  par l'instauration de rues piétonnes ; l'éloignement des voitures du centre et la création d'espaces verts, le développement de commerces de proximités, la suppression de places de parking, etc. Ce sont des réflexions intéressantes, et qui relèvent tout à fait de la question sur les rythmes de vie. Bien sûr, cela n'est pas directement issu des problèmes sur les temps de travail, comme les politiques temporelles, cependant c'est une bonne chose que des réflexions de la sorte proviennent de citoyens.

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