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L’impôt confiscatoire, la Cour de Cassation ne connaît pas : n’y a-t-il vraiment aucune limite à ce que l’État peut percevoir ?
©Reuters

Punitif ?

La Cour de Cassation a fait savoir qu'il n'existait aucun impôt confiscatoire, en s'appuyant sur une décision du Conseil Constitutionnel. Se faisant, il pourrait arriver qu'un contribuable se retrouve contraint de revendre des biens en sa possession pour pouvoir payer ses impôts ou une taxe sur son héritage, par exemple.

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est un professeur et juriste français, spécialiste de droit constitutionnel. Il est notamment professeur de droit à Paris-I, membre du Conseil de la magistrature et Président de l'Association française de droit constitutionnel. C'est un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Il est Vice président de l’Association internationale de droit constitutionnel. Son dernier ouvrage paru s'intitule "Justice et politique: la déchirure?"  Lextenso 2015.

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La Cour de Cassation comme le Conseil Constitutionnel n'ont "jamais admis qu'un impôt puisse-t-être confiscatoire", quand bien même il faudrait que le contribuable revende un bien pour pouvoir payer. C'est du moins ce qui ressort d'une récente décision. Celle-ci est-elle légale ? Quels sont ses fondements ?

Bertrand Mathieu : L'extrait des Echos qui fait état  de cette déclaration reprend les propos d'un magistrat, lequel estime que l'impôt n'est jamais et ne peut pas être confiscatoire. C'est bien évidemment faux. Le fait est que le contribuable ne justifie pas d'avoir dû céder une partie de son patrimoine pour payer l'impôt, ce qui fait que la décision de la Cour de Cassation est assez ambiguë.

L'impôt peut être confiscatoire, dès lors que le principe du droit de propriété n'est pas respecté. Un impôt qui conduirait à entamer trop profondément le patrimoine du contribuable serait contraire à ce principe de propriété, et dès lors il est susceptible d'être considéré comme confiscatoire. Cependant, il faut garder à l'esprit que ce sont toujours des situations qui sont appréciées au cas par cas, et par conséquent ce qui peut être confiscatoire pour l'un ne l'est pas nécessairement pour l'autre.

La cour de cassation s'est réclamée d'une décision du Conseil Constitutionnel. Qu'est-ce que cela implique, concrètement ?

Plusieurs fois, déjà, le Conseil Constitutionnel a validé le caractère confiscatoire de l'impôt. On peut trouver des exemples récents, en 2012 ou 2013, cependant, c'est une jurisprudence autrement plus ancienne, puisque déjà en 1998, le Conseil répondait à une argumentation des saisissants en invoquant le principe de droit de propriété que nous évoquions plus haut. A l'argumentaire des saisissants le Conseil répond donc que l'impôt en question n'a pas de conséquences sur le patrimoine, et qu'il ne porte donc pas atteinte au droit de propriété – ce qui signifie qu'il ne peut, en l’occurrence, pas être considéré comme confiscatoire. Pas qu'il ne l'est jamais. 

Aujourd'hui, il est possible de trouver des références au caractère confiscatoire de l'impôt sur le site du Conseil Constitutionnel . Tout est question de conciliation entre le principe de proportionnalité de l'impôt et de la capacité contributive de l'imposé. Par ailleurs, si un contribuable souhaite contester le caractère confiscatoire d'une disposition législative, il peut poser une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle mettra en cause la disposition fiscale qu'il estime confiscatoire.

Ces décisions sont-elles contestables ? Dans quelle mesure ces décisions peuvent-elles faire jurisprudence ? Que peut-on donc attendre de ce jugement ?

Une décision actée par la cour de Cassation n'est plus contestable, à l'exception de le faire au travers de la jurisprudence et devant la cour européenne des droits de l'Homme. Tout en sachant évidemment qu'elle s'occupe assez peu de problèmes et de litiges d'ordre fiscaux, sauf à parvenir à lui prouver qu'il y a une atteinte réelle et forte au droit de propriété.

Encore une fois, il reste également possible de poser une question prioritaire de constitutionnalité ; afin de savoir si la disposition est contraire, ou en accord, avec la constitution. Cependant,  invoquer la constitutionnalité de la loi est une démarche qu'il n'est plus possible de faire de façon directe une fois que la Cour de Cassation a rendu sa décision.

Quand la cour de Cassation annonce que la décision ne doit pas être lue à contrario, et que même si les circonstances avaient été différentes, la décision aurait pu être la même, est-ce qu'elle n'élargit pas le cadre unique de cette décision ?

Un des principaux problème relève de l'autorité de l'interprétation que peut avoir le Conseil constitutionnel, vis-à-vis de la Cour de Cassation. Il n'est pas rare que la Cour de Cassation s'écarte de l'interprétation du Conseil, voire que les deux interprétations entre en conflit. Ce qui, concrètement, signifie que même si le Conseil Constitutionnel reconnaît que l'impôt peut être confiscatoire, la Cour de Cassation  ne s'activera pas nécessairement en reconnaissant la même chose.

Si l'affirmation selon laquelle l'impôt ne peut pas être confiscatoire est contraire à la consitution, il me semble pour autant peu probable que la Cour de Cassation ait rendu une décision, et fait une déclaration aussi générale. C'est d'un impôt particulier, concernant un contribuable particulier dont il est question. La Cour de Cassation se contente de juger la question qui lui est posée : est-ce que cet impôt-ci dans cette situation-là est confiscatoire, ou est-ce qu'il ne l'est pas ? Ces décisions ne concernent pas d'autres impôts.  

En rendant un tel jugement, les juges ont-ils "perdu la tête" ?

L'idée qu'un impôt puisse être confiscatoire est intimement lié à la tradition étatique. Aujourd'hui, il me paraît évident que face à la prodigieuse hausse des impôts que nous connaissons, il est plus que nécessaire – si pas absolument nécessaire – que les juges s'assurent de la protection des droits des justiciables. C'est, par ailleurs, ce que le Conseil Constitutionnel a commencé à faire, notamment en 2012 puis en 2013.

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