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Attention idée dangereuse… Quand l’assurance-vie se prend un grand coup de patriotisme économique sur la tête
©REUTERS/Fabrizio Bensch

Docteur FolMontebourg

Lors de son audition à l'Assemblée nationale ce mardi 20 mai dans le cas Alstom, Arnaud Montebourg a testé l'éventualité de détourner une partie des 1500 milliards de l'assurance-vie pour sécuriser les investissements dans les grands groupes français. Une mesure de "patriotisme" séduisante sur le papier mais qui comporte des risques potentiels pour des millions d'épargnants français.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Peut-on estimer que le fait d'utiliser l'assurance-vie pour renforcer les investissements stratégiques permettra de sécuriser davantage nos champions nationaux ?

Philippe Crevel : L’épargne des ménages est une véritable boite de Pandore dans laquelle il est tentant d’y loger bon nombre de fantasmes. Arnaud Montebourg n’a pas résisté à la tentation de vouloir faire main basse sur l’assurance-vie dont l’encours atteint 1500 milliards d’euros en 2014. Cette épargne est affectée à 85 % en fonds euros qui bénéficie de la garantie en capital et à 15 % en unités de compte qui représentent des parts de produits financiers dont le cours varie en fonction de leur valorisation.
Le fameux fonds euros qui pèse 1200 milliards d’euros est constitué essentiellement d’obligations d’Etat et d’obligations corporate. La poche action est par définition limitée pour des raisons de sécurisation. Les compagnies d’assurance sont obligées de respecter des ratios prudentiels afin de pouvoir faire face à leurs engagements vis-à-vis de leurs assurés. Les pouvoirs publics ont durci ces ratios après la crise financière de 2008 afin de réduire les risques de faillite.
Arnaud Montebourg, par sa déclaration, semble oublier qu’il avait combattu la finance en son temps et qu’il avait réclamé un durcissement de la réglementation. Légalement, l’assurance-vie n’a pas vocation à venir en aide aux entreprises en difficulté. En outre, si l’épargne de l’assurance-vie était orientée massivement vers les entreprises, c’est l’Etat qui en serait la première victime.
Il ne pourrait plus loger ses obligations assimilables du trésor ou plutôt devrait supporter une augmentation des taux d’intérêt ce qui signifierait celle du service de la dette (le paiement des intérêts) qui accapare déjà 46 milliards d’euros. Il ne fait pas oublier que l’assurance-vie est un des premiers financeurs de la dette de l’Etat. En outre, une telle évolution renforcerait les non-résidents dans la possession de la dette publique. Ils en possèdent déjà 62 %. De ce fait, la France pourrait peut-être sauver Alsthom des griffes américaines ou allemandes mais en contrepartie, l’Etat serait plus dépendants des investisseurs internationaux.

Le fait de placer l'assurance-vie sur des secteurs par définition très volatiles ne revient-il pas à exposer les épargnants à de plus grands risques ?

Si les compagnies d’assurance-vie étaient contraintes de venir en aide à des entreprises en difficulté, la première victime serait l’épargnant. La rémunération de ses contrats serait affectée ou autre solution, plus grave, les compagnies d’assurance-vie pourraient être mises en difficulté en cas de faillite d’entreprises dans lesquelles elles auraient investi. C’est pour ces raisons que les ratios prudentiels ont été institués. Il ne faut pas confondre l’assurance-vie avec un hedge fund, un fond spéculatif ou même avec un fonds d’investissement. C’est une autre logique. L’assurance-vie vise à concilier rendement et sécurité et non pas gestion hasardeuse de l’épargne.
Certes, l’Etat a, ces derniers mois, voulu favoris au niveau de l’assurance-vie, le secteur actions avec la création des contrats « eurocroissance » en contrepartie du garantie en capital appréciée sur 8 ans, les assureurs pourront accroître leur poche actions avec comme objectif non pas de sauver les canards boiteux mais d’offrir du rendement à l’épargnant.

Peut-on par ailleurs estimer que l'Etat bénéficie aujourd'hui des outils pour s'assurer de la qualité de ses investissements ? 

L’affaire du Crédit Lyonnais dans les années 80 a prouvé le contraire. Avec l’affaire d’Alsthom, nous pouvons constater que le sauvetage mené par Nicolas Sarkozy a été éphémère. Il a gagné du temps, le temps de passer l’élection. Sous capitalisé, l’entreprise n’a plus les moyens de se développer, d’innover et de conquérir des parts de marché. Avec la mauvaise santé de ses clients français, la SNCF ou EDF, l’entreprise ne peut avoir de salut que par l’exportation.
L’Etat ne peut plus jouer au meccano faute de moyens, faute d’expertise. Il ne peut pas être un acteur économique normal qui pourrait nouer des alliances internationales en fonction d’intérêts qui lui seraient propres. Il y a une vingtaine d’années, l’Etat avait voulu marier Renault et Volvo. Face à l’interventionnisme français, les Suédois avaient pris peur…

L'épargne représente pourtant un fond stratégique capable de démultiplier la force d'une économie. Quels seraient les moyens pertinents d'y arriver ?

La France a fait le choix collectif de se priver de fonds de pension à la différence des pays anglo-saxons ou d’Europe du Nord. Leur existence n’aurait certes pas, en l’état, permis de trouver une solution à Alsthom. En effet, un fonds de pension investit les cotisations de ses membres afin de pouvoir leur procurer au moment de leur cessation d’activité des revenus réguliers. Le fonds de pension, contrairement à l’idée répandue, n’est pas un fonds spéculatif. Il cherche un bon niveau de rendement mais surtout un rendement régulier. Investir dans Alsthom n’est pas aujourd’hui sans risque. En revanche, la France souffre de l’absence de fonds de pension au niveau de la constitution du capital des entreprises.
La moitié du capital des entreprises du CAC 40 est détenue par des non-résidents qui n’ont pas obligatoirement le même regard sur les entreprises que des investisseurs français. La France est un des pays où le poids des non-résidents est, en la matière, est un des plus importants. L’existence de fonds de pension aurait certainement pu jouer rééquilibrer la donne. Par ailleurs, les entreprises françaises faute de trouver des capitaux en France doivent soit surpayer les capitaux étrangers pour les attirer soit s’en passer et se financer par crédits bancaires. Or, aujourd’hui, le crédit bancaire se fait plus rare. Un fonds de pension n’échappe pas aux lois de sécurisation mais constitue un bon outil pour irriguer l’économie en capitaux.
De plus, actuellement, les salariés français financent les retraites de leurs homologues étrangers qui disposent de fonds de pension ayant acheté des actions des entreprises françaises. Si Arnaud Montebourg souhaite parier sur l’épargne et sur l’efficacité économique, il devrait être l’avocat de la création de véritables fonds de pension en France.

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