Marine Le Pen : "L'Union européenne nous interdit tout patriotisme économique"... vrai ou faux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen.
Marine Le Pen.
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Etat des lieux

Le dimanche 18 mai, à l’occasion d’un meeting organisé dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, Marine Le Pen a déclaré : "L’Union européenne nous interdit tout patriotisme économique. Impossible de privilégier les achats de produits français dans les marchés publics". A une semaine du scrutin, le débat est relancé.

Vincent Jaunet

Vincent Jaunet

Vincent Jaunet est associé fondateur au sein de Magenta et spécialisé en droit de la concurrence.

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Atlantico : Qu’en est-il du patriotisme économique au sein de l’UE ?

Vincent Jaunet :En adhérant à l’Union européenne et en participant à la construction du marché unique européen, la France en a accepté les principes fondamentaux, au premier rang desquels figurent les principes de libre concurrence et de libre circulation des marchandises, des capitaux, des personnes et des services (articles 45, 49, 56 et 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE), qui interdisent toute discrimination entre Etats-membres. 

Ainsi et sauf exception, toute mesure protectionniste à l’encontre des autres pays de l’UE, visant à garantir une préférence nationale et à privilégier le made in France, est interdite (et ce également en vertu des engagements internationaux de la France et notamment du droit de l’OMC et des accords du GATT de 1994).

L’attribution des contrats dans les marchés publics

Le principe de non-discrimination trouve particulièrement à s’appliquer lors de la passation de commandes publiques. Les marchés publics européens sont ainsi parmi les plus ouverts au monde. Il n’est notamment pas possible, au regard du droit de l’Union européenne, transposé en France dans le code des marchés publics, de fixer, parmi les critères d’attribution des marchés, des critères de nationalité ou de localisation géographique des candidats.

Les personnes publiques peuvent uniquement prévoir des critères d’attribution liés à l’origine ou à l’implantation géographique des candidats si cela est justifié par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution.

Des secteurs réservés

L’intégration européenne ne fait pas obstacle au maintien de quelques secteurs soumis à un régime particulier.

Plus spécifiquement, sont totalement exclus du champ d’application du code des marchés publics les marchés de défense ou de sécurité les plus sensibles (par exemple ceux requérant le secret – cf. articles 180 à 184 du Code des marchés publics). Par ailleurs, pour les marchés de défense ou de sécurité soumis aux règles de la commande publique, les candidatures d’entreprises ne relevant pas de l’Union européenne peuvent être exclues ("préférence communautaire").

Cette notion de préférence communautaire existe également s’agissant des marchés de fourniture intéressant les secteurs dits « spéciaux » (eau, énergie, transport, services postaux – cf. Directive 2004/17/CE du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux). Ainsi, les entités publiques en charge de la passation des marchés concernés peuvent rejeter les offres qui contiennent, pour plus de 50 % de leur valeur, des produits originaires d’un pays tiers dont les marchés concernés ne sont pas ouverts aux entreprises européennes par le biais d’un accord multilatéral ou bilatéral.

Les secteurs spéciaux font l’objet d’un second mécanisme de protection. En effet, pour ces secteurs, des mesures visant à restreindre ou suspendre l’accès aux marchés de services aux entreprises ressortissantes d’Etat tiers ne garantissant pas un accès effectif comparable aux entreprises de l’Union européenne peuvent être adoptées au niveau européen.

Désireuse d’élargir les mécanismes de protection en faveur des entreprises européennes à tous les marchés publics, la Commission européenne a formulé en mars 2012 une proposition de règlement. Cette proposition, qui vise à garantir une réciprocité effective dans l’accès aux commandes publiques entre l’Union européenne et les pays tiers, prévoit, notamment, en cas de discriminations graves et répétées à l’égard des entreprises européennes, la mise en œuvre de mesures de rétorsion consistant principalement en des restrictions d’accès aux marchés publics de l’Union européenne.

Des dispositifs de contrôle des investissements

Depuis l’adoption du Traité de Maastricht, la libre circulation des capitaux entre Etats membres au sein du marché intérieur est garantie et toute mesure visant à interdire les investissements dans d’autres Etats membres est normalement prohibée.

Outre certaines mesures expressément prévues par le TFUE (article 65), des restrictions sont toutefois possibles si elles sont justifiées par des motifs impérieux d’intérêt général (tels que, par exemple, la sécurité d’approvisionnement énergétique ou le pluralisme des médias), et que les mesures mises en œuvre sont proportionnées à l’objectif poursuivi.

La France – comme de nombreux Etats membres – dispose ainsi d’un dispositif de contrôle des investissements étrangers, soumettant à l’autorisation préalable du ministre de l’économie les investissements de groupes étrangers dans des domaines stratégiques, tels que la défense nationale, les technologies de l’information ou les jeux d’argent ; la presse fait également l’objet de règles particulières en ce sens.

Le décret Montebourg adopté cette semaine vise à en étendre le champ d’application à cinq nouveaux secteurs (énergie, transport, eau, télécoms et santé). Reste à savoir si la Commission européenne, chargée d’en apprécier la portée et le caractère proportionné au regard des objectifs à atteindre, validera le nouveau dispositif.

Des régulations contre les pays tiers pratiquant le dumping

L’Union européenne est compétente pour mettre en place des mesures de défense commerciale visant à préserver la pérennité du marché intérieur (cf. en particulier le règlement n°1225/2009 du 30 novembre 2009 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne). Elle est ainsi amenée à mettre en place des mesures anti-subvention ou anti-dumping lorsqu’il est démontré que des pays tiers pratiquent des prix à l’exportation inférieurs à la valeur normale du produit et que cette pratique est susceptible de porter atteinte à l’industrie de l’Union européenne. Ce dispositif vise à rééquilibrer les rapports entre l’Union et les Etats tiers. Il a déjà été mis en œuvre dans de nombreux secteurs (polyéthylènes, aluminium,…).

Il est vrai que les règles européennes interdisent, sauf exceptions très encadrées, le protectionnisme au niveau national. En contrepartie toutefois, il ne faut pas oublier que les entreprises françaises ont accès, sur un pied d’égalité avec leurs compétiteurs européens, à plus de 500 millions de consommateurs au sein de l’Union. A l’heure où, pour les entreprises françaises, la croissance est principalement à chercher ailleurs qu’en France, le point est à considérer. Parallèlement, l’Union européenne semble vouloir se doter progressivement d’un arsenal de protection plus complet au bénéfice des entreprises européennes. Le début du patriotisme économique européen ?

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