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"Nos entreprises pâtissent de l'indifférence de la société française à leur égard"
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Patriotisme

A quoi bon lancer de grands programmes de politique industrielle, si nous ne soutenons pas nos entreprises à l'étranger ? C'est la question que pose l'historien de l'industrie Denis Woronoff, qui réagit à l'annonce du partenariat entre l'Etat français, Orange, Dassault et Thalès pour créer un "cloud computing" à la française.

Denis Woronoff

Denis Woronoff

Denis Woronoff est professeur d’histoire moderne à l’Université Paris 1 et directeur de l’unité mixte de recherche « Institution et dynamique historique de l’économie ».

Il est l'auteur de Histoire de l'industrie en France - du XVIe siècle à nos jours (Seuil, 1998) et a participé à l'ouvrage Politiques industrielles d'hier et d'aujourd'hui en France et en Europe (Editions Universitaires de Dijon, 2009).

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Atlantico : Le partenariat de l'Etat avec trois entreprises privées pour rivaliser notamment avec les Américains vous étonne-t-il ?

Denis Woronoff : Cela ne m'étonne pas, mais les précédents ne sont pas très rassurants... On a un souvenir glorieux de la politique industrielle du temps de De Gaulle, de Pierre Guillaumat et de Michel Debré, et des grandes politique keynésiennes des Trente Glorieuses, mais quand on voit les loupés du plan Calcul ou de la machine-outil...

Toutefois, ce partenariat me paraît bien visé : ce n'est pas maintenant qu'on va reconstituer une politique sidérurgique ou chimique...Les nouveaux enjeux sont dans l'informatique et la santé.

Même si l'expression est un peu ringarde, une politique industrielle nationale peut encore être utile, mais seulement si elle incite des entreprises de taille moyenne, et non plus des grands champions comme dans le passé. C'est d'ailleurs ce qui a été fait avec le Grand emprunt, qui soutient des programmes majeurs de recherche afin de permettre à la France de rattraper son retard pour innover. Il n'est pas normal qu'on soit obligé d'acheter des panneaux photovoltaïques en Chine !

Toutefois, je pense que les grandes politiques industrielles doivent aujourd'hui obligatoirement passer par l'Europe, car une politique nationale n'aurait aucun poids. Je m'étonne toujours du courage qu'il a fallu à Schuman et Monnet pour créer, si près de la Seconde Guerre Mondiale, une communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), alors qu'on est aujourd'hui incapables d'en créer une pour les énergies renouvelables.

A l'époque, les politiques étaient gérées grâce à la méthode de la concertation : des commissions du plan réunissaient syndicalistes, patrons et hauts fonctionnaires pour définir les grandes orientations industrielles en fonction des besoins de chaque secteur et des problématiques d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, cette concertation a totalement disparu, et l'on privilégie l'avis à court-terme des actionnaires aux perspectives de long-terme.

N'y-a-t-il pas un tabou français à défendre les intérêts de nos entreprises dans le monde, alors que les autres puissances mondiales ne se gênent pas pour le faire ?

Oui, il y a une hypocrisie extrême des États-Unis, qui transgressent les accords internationaux de l'OMC sans aucune pudeur. Le problème vient certainement des attachés commerciaux censés défendre et promouvoir nos entreprises dans les ambassades : ce ne sont pas les carrières qui intéressent les plus brillants.

Il y a une sorte d'indifférence à l'égard de ces entreprises, car la société française ne se reconnaît pas profondément dans celles-ci. Le bradage de Pechinet ou d'Arcelor est symptomatique de cette attitude. Quand on pense qu'Alain Juppé estimait qu'Alstom valait à peine le franc symbolique, alors que c'est l'une des entreprises françaises les plus profitables... Il parlait comme sa caste, en appelant à la liquidation des piliers de l'industrie ancienne, sans se rendre compte qu'on pouvait constamment renouveler et moderniser l'ancien !

Je pense également que nous avons un problème dans notre rapport à l'industrie. Si l'on est en retard par rapport à l'Allemagne, c'est pour des raisons de formation des techniciens et ouvriers : les jeunes se désintéressent des carrières industrielles, car ils gardent une image très négative et très archaïque du secteur. L'hypersélectivité des formations écarte de ces carrières un certain nombre de personnes qui pourraient être utiles si elles étaient formées sur la longue durée, comme en Allemagne.

L'Etat ne peut donc pas tout, mais il a un rôle déterminant dans la formation des jeunes : tous ne sont pas destinés à être des licenciés en droit, et on doit donner leur chance aux autres.

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