Les dessous de la préférence d’Angela Merkel pour le socialiste Martin Schulz à la tête de la Commission européenne<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Martin Schulz.
Martin Schulz.
©Reuters

Was ?

Les consignes du Parti socialiste pour les élections européennes sont de soutenir le candidat Martin Schulz. Pourtant, plusieurs arguments avancés par l'hebdomadaire Der Spiegel dans un article datant du mois d'octobre 2013 laissent entendre qu'un accord aurait été passé entre Angela Merkel et Martin Schulz.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Stefan Seidendorf

Stefan Seidendorf

Voir la bio »

Atlantico : Le Parti socialiste français fait le vœu de voir Martin Schulz à la présidence européenne de la Commission (voir ici). Pourtant, à en croire les précédents votes de Schulz et de son parti, sa vision serait opposée à celle de François Hollande, et notamment dans sa croyance en l’assainissement budgétaire des Etats qui conduit aux politiques d'austérité. Comment interpréter ce paradoxe ?

Stefan Seidendorf : François Hollande l'a dit depuis le début de son mandat:  il faut assainir les finances publiques, non pas pour des raisons idéologiques, mais pour regagner des marges de manœuvre que la France avait perdues sous son prédécesseur. (Ce qui était juste si l'on regarde l'évolution de la dette publique française qui avait augmenté de presque 1/3 sous la présidence de N. Sarkozy). Le projet actuel qui prévoit d'économiser 50 milliards d'euros dans le budget français va dans ce sens. Donc même si on peut discuter des actes, il existe une convergence dans les discours entre les deux leaders politiques.

D'autre part, les décisions du parlement européen reflètent la plupart du temps un compromis entre les deux grandes formations. Il n'est donc nullement étonnant que M. Schulz et sa formation aient été obligés d'accepter des compromis par le passé, sans que cela n'empêche Martin Schulz de formuler des positions plus poussées pendant la campagne électorale.

Nicolas Goetzmann :En premier lieu, le traité budgétaire européen a été validé par François Hollande en 2012. Ensuite, la première partie du quinquennat Hollande a pu se résumer à des hausses d’impôts, ce qui n’est rien d’autre qu’une forme de politique d’austérité. Ensuite, la seconde partie du quinquennat débutée en janvier 2014 et qui vise à "dépenser moins", ici encore la logique "d’austérité" est toujours valide. François Hollande n’a en réalité jamais proposé autre chose que cela.  Alors effectivement, comme le démontre le suivi du vote des parlementaires, le Partis Socialiste Européen (PSE) est en phase avec la volonté d’assainir les budgets européens, c’est-à-dire la politique d’austérité que le parti socialiste française semble pourtant décrier. L’incohérence est assez forte. D’un autre côté, le candidat du PPE, c’est-à-dire des partis de "droite", est favorable aux "Eurobonds". Jean Claude Juncker le martèle d’ailleurs depuis 4 ans….ce qui démontre que le paradoxe est surtout dû à une volonté d’importer le débat européen dans une grille de lecture de politique nationale, ce qui donne ce résultat d’incohérence totale.

Dans ce contexte, faire de Martin Schulz le champion de l’anti-austérité a quelque chose de troublant. Car le SPD ne pouvait présenter un candidat sans l’aval d’Angela Merkel, et celle-ci l’a adoubé dès l’automne dernier. Martin Schulz a dû renoncer en chemin aux "Eurobonds", c’est-à-dire à la mutualisation des dettes européennes. Le journal Der Spiegel indiquait à l’automne dernier, et ce très clairement, que Martin Schulz est bien l’allié d’Angela Merkel dans sa politique européenne.

Le SPD, le parti de Martin Schulz, fait actuellement partie de la grande coalition de Merkel au niveau national. Dans ces conditions, le candidat du SPD aux élections à la présidence de la Commission européenne peut-il avoir une autre ligne politique que celle de Angela Merkel ? Que penser de la rumeur entretenue par un article du Spiegel (lire ici) selon laquelle il existerait une alliance entre la Chancelière et M. Schulz au niveau européen ?

Stefan Seidendorf : Le SPD éprouve actuellement la difficulté de gouverner ensemble avec les chrétiens-démocrates de Mme Merkel, ce qui oblige à une certaine solidarité à l'intérieur du gouvernement, tout en cherchant à démontrer ses différences vis-à-vis de leurs partenaires de gouvernement dans la campagne électorale européenne. La même chose vaut d'ailleurs pour le parti de la chancelière...ce qui explique sans doute une campagne somme tout tiède en Allemagne.

En tant que président de la Commission européenne, M. Schulz devrait tenir compte des différents intérêts et susceptibilités nationaux, tout autant que des majorités politiques au Parlement européen. Comme tous ses prédécesseurs,  ceci l'obligerait  à prendre des positions consensuelles, en somme d'incarner en sa personne la politique d'une "grande coalition à l'échelle européenne". Ceci peut en effet l'amener à s'opposer à la Chancelière,  si celle-ci persiste dans ses positions intransigeantes. Les rumeurs selon lesquelles elle pourrait très bien s'accommoder de Martin Schulz à la tête de la Commission laissent plutôt penser que son pragmatisme légendaire prendra une nouvelle fois le dessus et qu'on peut pousser le jeu des mots encore un peu plus loin: elle voit dans la personne de Martin Schulz l'opportunité d'une "grande coalition franco-allemande" entre F. Hollande et elle-même, capable de donner un cap à l'Europe (historiquement, les phases de "grande coalition" en Allemagne donnait l'occasion de mener de grandes réformes structurelles qui permettaient de moderniser les bases de l'Etat...).

Nicolas Goetzmann : C’est le Conseil européen qui va désigner le prochain Président de la Commission. Depuis le Traité de Lisbonne, le Conseil, c’est-à-dire les chefs d’état, doivent "tenir compte" du vote des électeurs. Mais "tenir compte" ne veut pas dire contraindre, ce qui signifie que le SPD ne pouvait pas s’affranchir de l’approbation d’Angela Merkel pour la candidature de Martin Schulz. Sans quoi, il n’aurait eu aucune chance. Il y a donc un accord qui s’est traduit notamment par un presque abandon des questions européennes par le SPD aux élections allemandes de 2013. Il n’y a pas d’alliance à proprement parler mais une entente réelle des deux personnalités sur l’avenir européen. Angela Merkel cèdera sur quelques points, mais l’objectif est de renforcer les pouvoirs de la Commission sur les budgets nationaux. Merkel cèdera quelques points sur le social, mais l’objectif est de contraindre au mieux les Etats de respecter les règles de stabilité c’est à dire sur les déficits.

Comme vous le rappelez, la grande coalition est à l’œuvre en Allemagne. Le ministre de l’économie d’Angela Merkel est Sigmar Gabriel, le leader de la gauche allemande qui est un très proche de Martin Schulz. Les lignes de fracture politique que nous connaissons en France ne sont simplement pas les mêmes en Allemagne, et certains acteurs politiques français surfent sur cette différence entre les deux pays pour tenter de créer un débat un artificiel.

Le SPD a notamment obtenu en Allemagne la mise en place d'un salaire minimum. Est-ce qu'on peut y voir le signe d'un changement de cap sur l'austérité en Allemagne, et une prise en compte des enjeux sociaux ?

Stefan Seidendorf : En tout cas c'est le signe que la chancelière n'est pas aussi dogmatique qu'on a parfois coutume de le dire à l'étranger. Elle fait aussi preuve de pragmatisme et de bon sens quand la situation politique l'exigent et elle sait incarner en sa personne ce compromis permanent qui se trouve à la base du système politique allemand.

Nicolas Goetzmann : En effet et  c’est la grande victoire du SPD. L’Allemagne va mettre en place un salaire minimum à 8.50 EUR dès le 1er janvier 2015, avec quelques exceptions, notamment pour les intérimaires qui ne seront concernés qu’en 2017. Mais cette réforme a servi de monnaie d’échange pour Angela Merkel. Oui pour le salaire minimum en Allemagne, mais pour la politique européenne, c’est bien elle qui a la main. Le plan de lutte contre le chômage des jeunes fait également parti de ce "tournant social", mais le bilan reste très maigre pour un supposé partisan de la fin de l’austérité. Sur la question essentielle de l’euro,  par exemple, il n’y a pas de débat.

Ce qui est présenté comme un probable retournement idéologique majeur avec l’arrivée de Martin Schulz à la Commission Européenne ne correspond en fait à aucune réalité. 

Finalement, Hollande ne serait-il pas en train d'avoir un double discours, c'est à dire à la fois de vanter les avantages d'une politique économique basée sur la croissance, tout en pariant sur les mesures Merkel ?

Stefan Seidendorf : Il a toujours insisté sur la nécessité d'assainir les finances publiques, pour ensuite gagner des marges de manœuvre qui permettent de mener une politique de gauche. Ce "sérieux budgétaire" ne l'empêche évidemment pas d'oeuvrer avec tous les moyens disponibles pour le retour de la croissance, ce qui faciliterait grandement la mise en œuvre des réformes structurelles. Le gouvernement français a sans doute raison de mettre tous les moyens à sa disposition. Qu'il aille aussi loin que possible dans cette recherche de croissance ne pose pas problème aux autres européens, au contraire, tant que le gouvernement français respecte les règles et obligations communs, européens. Pour le moment, c'est la ligne rouge que le Président et son gouvernement respectent et le gouvernement allemand ne manque pas une occasion pour rappeler qu'il est convaincu de ce respect des règles par la France...ce qui est une façon d'insister sur la "ligne rouge", sans la nommer

Nicolas Goetzmann : Concernant les mesures économiques, François Hollande ne dispose plus de beaucoup de marges de manœuvres. Il peut espérer une probable action de la BCE le mois prochain, ou encore tenter une approche sur la question de l’euro lors du Conseil Européen du 26 juin, mais il s’est tellement perdu depuis 2 ans qu’il semble dépourvu de toute capacité de rebond au niveau européen.

Au niveau politique, François Hollande soutien officiellement la candidature de Martin Schulz. Il se soumet ainsi au résultat des élections européennes et souhaite ainsi obliger Angela Merkel d’en faire de même. Il prend ici un risque, car même si la Chancelière sera très fortement contrainte de nommer un des candidats "officiels", elle n’y est pas obligée. Ce qui me semble curieux est de voir François Hollande renoncer à priori à une de ses prérogatives tout en prétextant "plus de démocratie". Il n’est pourtant pas moins légitime que le Parlement alors même que les Traités européens lui donnent ce pouvoir. En renonçant à priori, il se refuse de jouer la partie postélectorale, lorsque les britanniques vont tenter d’écarter tous les candidats fédéralistes, c’est à dire les trois candidats en position d’être nommé. Et Angela Merkel n’est pas non plus convaincue de vouloir se soumettre à ces choix. François Hollande risque encore une fois d’être confronté à sa hantise : le manque d’autorité. Si le futur Président de la Commission n’est pas un des candidats en question, François Hollande sera encore pointé du doigt comme n’ayant pas su imposer son choix. A l’inverse, si c’est Martin Schulz qui est désigné, François Hollande pourra gagner en apparence, mais ce sera beaucoup moins le cas dans la réalité.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !