L'Allemagne, seule locomotive de la zone euro (et pour cause, c’est elle qui freine les autres sur le chemin de la croissance)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'Allemagne, seule locomotive de la zone euro (et pour cause, c’est elle qui freine les autres sur le chemin de la croissance)
©Reuters

Boulet

Le PIB de la zone euro s'est accru de 0,2% au premier trimestre 2014, moins que ce qu'espéraient les économistes (+0,4%). L'Allemagne confirme son statut de moteur, avec un PIB en hausse de 0,8%, alors que la France stagne et que l'Italie a reculé.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

Voir la bio »
Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

Voir la bio »

Atlantico : La zone euro enregistre d'après les derniers chiffres une croissance de 0.2% au premier trimestre 2014, fait qui pousse les marchés à croire dans un lent mais sûr rétablissement. Dans le détail cependant, l'Allemagne est la seule à afficher une croissance notable avec 0.8%, contre 0% en France et - 0.1% en Italie. Berlin est-elle devenue la seule locomotive d'un continent à l'arrêt actuellement ?

Jean-Pierre Corniou : Il n’y a aucune raison de s’étonner des résultats économiques en Europe au premier trimestre 2014 ! La faible croissance de l’Europe, avec 0,2%, est une moyenne qui dissimule de profondes différences, même s’il faut les pondérer par le poids respectif des PIB nationaux. Mais un pays vertueux comme les Pays-Bas recule de 1,4 %. L’Italie, qui avait rassuré en 2013, rechute de -0,1%, comme le Portugal (- 0,7%) et même la  Finlande de - 0,4%.  La France stagne. Seules la Grande-Bretagne et l’Allemagne émergent avec un insolent taux de croissance de 0,8% qu’il faut rapprocher du taux de croissance décevant de  0,1 % aux Etats-Unis, affectés par un hiver exceptionnel. Les prévisions mondiales sont modérées avec une Chine qui décélère à 7,4% au premier trimestre. Aussi, la prudence s’impose même pour les pays les plus toniques. 

Un trimestre ne donne qu’une image fugace d’une réalité beaucoup plus complexe dont le taux de chômage est plus révélateur. Rappelons que l’Europe du Sud est frappée par un chômage intense (plus de 25% en Espagne et en Grèce, 15% au Portugal, 13 % en Italie), l’Allemagne n’ayant que 6% de chômeurs et la Grande-Bretagne . Le taux moyen européen de chômage  est de 11,9% en février.

Philippe Waechter : Au sein des 4 grands pays de la zone Euro, deux connaissent une croissance forte ou raisonnable. Il s'agit de l'Allemagne (0,8%) et de l'Espagne (0,4%). Les deux  autres pays, France et Italie, ont connu une stagnation de leur activité. Ces différences étaient déjà perceptibles dans les chiffres de production industrielle. Les histoires de ces économies sont différentes. L'économie allemande doit une grande partie de son dynamisme à l'impulsion en provenance du reste du monde. Même si les exportations se sont légèrement contractées au premier trimestre, l'effet induit sur la production, l'emploi et les revenus lui permettent de connaître une croissance robuste. 

Dans le cas de la France et de l'Italie, le profil conjoncturel est très différent et dépendant davantage de la demande interne. L'impulsion en provenance des exportations est nettement moins marqué. Dès lors, la France et l'Italie doivent trouver dans leurs comportements internes les moyens de croitre davantage. Si, comme cela a été le cas en France au premier trimestre, les acteurs de l'économie sont inquiets face à un environnement incertain ils auront un comportement attentiste. Les enquêtes de l'INSEE auprès des ménages et des entreprises montrent une interrogation sur l'avenir. Cela pose dès lors la question du cadre dans lequel évolue l'économie française. On peut dire la même chose pour l'Italie même si depuis quelques semaines l'arrivée de Mattéo Renzi semble changer la donne et la perception qu'ont les Italiens de leur futur immédiat. Il faudra cependant, comme en France, mettre l'économie sur une trajectoire susceptible de la faire converger vers la croissance. Cela peut passer par des réformes structurelles, cela peut passer par des engagements sur la stabilité du cadre dans lequel évoluera l'économie. Mais ne rêvons pas, le profil des économies française et italienne ne pourront ressembler spontanément à celle de l'Allemagne. D'où la remise en cause nécessaire. 

La différence aujourd'hui est pour l'Allemagne d'avoir pu bénéficier de la reprise du commerce mondial depuis l'été 2013 alors que la France et l'Italie y ont été moins sensibles. 

Dès lors la question à se poser porte sur la capacité des économies française et italienne à se reconstruire. Les Espagnols ont commencé à le faire. Cela passe pour eux par la recherche de gains de compétitivité avec une pression forte sur les coûts. La France et l'Italie n'ont pas nécessairement à choisir le même modèle mais il faut que ces deux pays définissent une trajectoire pour que l'Europe retrouve collectivement le chemin d'une croissance plus forte dans la durée.

Sur les trois premiers mois de l'année, les exportations pour l'ensemble des pays de la monnaie unique ont progressé de 1%, à 465,6 milliards d'euros. Quelle part l'Allemagne a-t-elle dans cette progression ?

Jean-Pierre Corniou : L’Europe économique reste structurellement déséquilibrée, la croissance y est atone, et l’euro fort ne sert que les pays dont le mix de produits à l’exportation est largement insensible au prix. Les exportations de la zone euro restent dominées par une Allemagne dont l’excédent commercial représente 6% de son PIB depuis 2010. Cette situation est le résultat de la compétitivité de l’économie allemande, qui n’est pas handicapée, elle, par un euro qui serait trop fort, ce qui conduit le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, a dénoncer toute tentative de culpabilisation de l’Allemagne dans la situation de ses partenaires commerciaux. 

L’excédent commercial allemand s’élève en mars à 31,7 milliards €, contre un déficit de la France de 13,3 milliards, l’excédent moyen de la zone euro étant de 17,1 milliard. Il faut souligner que les Pays-Bas (+10 milliard) et l’Italie (+3 milliards) sont excédentaires. Les allemands considèrent que c’est une erreur totale de considérer que ce serait la faiblesse supposée de leur demande intérieure qui les « obligerait » à exporter. Ils ne voient leurs résultats que dans la compétitivité de leur tissu industriel et leur modération salariale couplée à une forte expertise de leur main-d’œuvre. Le coût du travail a progressé de 46,3% en France depuis 2000 et de 24,9 % en Allemagne. Et  le déficit  public est inexistant en Allemagne depuis deux ans. Cette logique est difficile à contester !

Philippe Waechter :La question n'est pas là, elle n'est pas spécifiquement sur l'Allemagne. Celle-ci a changé de modèle vers la fin des années 90 pour exporter davantage, notamment en dehors de l'Europe afin de bénéficier d'une demande renouvelée. L'Allemagne avait vite compris que le vieillissement de sa population ne provoquerait pas d'impulsion forte de demande et qu'il fallait en trouver ailleurs via les exportations.

Les autres grands pays européens n'ont pas fait le même choix. Chacun a eu tendance à mobiliser sa demande interne comme source d'impulsion. Cela veut dire que lorsque la demande interne est "cassée" il est extrêmement difficile d'avoir de la croissance. L'Espagne en voulant gagner en compétitivité espère que la robustesse de ses exportations permettra de dynamiser la production et de réorganiser progressivement sa demande interne. Mais l'Italie n'a pas fait grand-chose et la France a été longue à mettre en place les mesures sur le pacte de responsabilités dont l'objectif doit être de restaurer l'investissement et donc la demande interne.

C'est très bien que les exportations progressent. Le commerce extérieur de la zone Euro est excédentaire depuis la mi-2013 et en mars 2014 l'excédent cumulé sur 12 mois représentait près de 150 milliards d'euros. Auparavant, le commerce extérieur avec le reste du monde était équilibré.

Le détail par pays montre des excédents considérables en Allemagne et aux Pays-Bas et depuis quelques mois un équilibre en Espagne et un léger excédent en Italie alors qu'ils étaient déficitaires auparavant. Pour ces deux derniers pays mais aussi le Portugal et la Grèce, ce changement de dynamique du commerce extérieur traduit principalement une réduction des importations. Ceci s'est opéré via une pression sur la demande interne. C'est là aussi l'ambiguïté du modèle européen. Pour tous les pays ou presque la demande interne conditionne la croissance et il est espéré que le retour de l'expansion pourra s'opérer en limitant le dynamisme de cette demande interne. La recherche de compétitivité pénalise la demande interne et renforce la concurrence entre les pays de la zone Euro.

Il y a là des logiques parfois contradictoires et préoccupantes. On ne perçoit plus l'Europe comme un dessein collectif mais comme le choix, pour chacun des pays, de retrouver la bonne trajectoire. Il n'est pas certain que ce soit la bonne méthode.

Claus Vistensen, analyste de marché pour Pantheon Macroeconomics déclarait que "l'économie allemande, de par son large surplus commercial, empêche d'une certaine manière [les autres pays d'Europe] de connaître un rétablissement similaire". Faut-il voir Berlin comme le paradoxal "boulet" du reste de la zone euro ? Cette donne peut-elle aller jusqu'à compromettre le fragile redémarrage des pays du Sud ?

Jean-Pierre Corniou :En économie, les faits sont têtus et les illusions dangereuses. Il faut définitivement comprendre que nous sommes dans une économie mondiale ouverte, c’est-à-dire dans un système complexe dont le fonctionnement intègre de très nombreuses variables. Le désir des gouvernements ne joue qu’un rôle mineur sans que l’on sache vraiment s’il est positif ou négatif.

Or dans ces mécanismes, certains sont particulièrement tenaces, et en premier lieu les variables macroéconomiques comme la situation démographique, la demande mondiale d’énergie, la résilience de l’image économique des pays, que l’on pourrait qualifier « d’éco-réputation », les résultats structurels des échanges passés, qu’illustre le plomb du poids de la dette ou, à l’inverse, l’oxygène euphorisant des excédents… Quelle que soit l’énergie que l’on puisse mettre pour faire évoluer millimétriquement ces paramètres, ils s’imposent par leur viscosité. A l’intérieur de chaque pays la situation n’est guère différente. Quand la confiance en l’avenir fait défaut, la consommation et l’investissement sont à l’arrêt et l’épargne augmente. C’est la situation de l’économie française en ce début d’année 2014 !

On peut comprendre que les gouvernants s’indignent devant  cette situation, mais ils n’ont plus en mains les outils que pouvaient actionner leurs prédécesseurs, inflation, contrôle des changes, dévaluation, émission monétaire, demande publique, sans oublier l’endettement, qui permettaient de panser bien des plaies. Le seul outil qui leur reste, la fiscalité, est aujourd’hui impossible à actionner tant la résistance à l’impôt a atteint les nerfs les plus sensibles du tissu social. Plus que jamais, le roi économique est nu. C’est pourquoi la monnaie unique n’est pas un outil capable de résoudre les problèmes structurels de compétitivité des facteurs, et pas seulement du travail, dans des pays aux caractéristiques si dissymétriques. La baisse du coût du travail tant demandée – qui est en fait un glissement des dépenses de solidarité de l’entreprise vers le budget, donc les contribuables -  ne peut produire de miracle à court terme si la création de richesse n’augmente pas de façon endogène dans les pays les plus faibles de l’Union.

Philippe Waechter :Les déséquilibres entre les pays de la zone Euro se sont nettement réduits par rapport à ce qu'ils étaient du fait de la réduction des importations pour les pays déficitaires. La difficulté est plutôt la convergence des taux d'inflation au sein de la zone Euro. L'Allemagne pays nettement excédentaire a un taux d'inflation réduit. Dès lors cela engendre des pressions supplémentaires pour les pays cherchant à gagner en compétitivité pour relancer leur économie. Ils doivent être encore plus vertueux au risque de faire défaillir leur demande interne.

Ces pressions sur les prix sont d'autant plus préoccupantes en Espagne, en Irlande ou au Portugal que ces pays ont toujours un endettement privé élevé. Dès lors avec une inflation proche de 0% et des revenus qui ne progressent pas, la valeur réelle du crédit s'accroit et pénalise la demande (les ménages endettés doivent arbitrer dans leur budget puisque le remboursement de leur crédit prend un peu plus de place.) Il faudrait davantage d'inflation en Allemagne pour rendre les exportations espagnoles, italiennes ou françaises plus compétitives outre-Rhin et permettre ainsi des effets positifs sur les échanges et sur l'activité.

La BCE, bien consciente de ces déséquilibres, s'est promise à agir face à la pression des différents gouvernements. Un rééquilibrage des différentes industries du Vieux Continent est-il envisageable à travers une réforme de notre outil monétaire ? 

Jean-Pierre Corniou : La situation de la Banque Centrale Européenne est bien délicate. Elle est confrontée à un grand écart : l’Allemagne ne voit aucune raison de plaider pour des facilités  monétaires et une poussée de l’euro à la baisse, les pays en difficulté aimeraient bien, sans trop le clamer, un peu d’appui pour relancer la demande intérieure et embellir leur compétitivité par une baisse de l’euro. La transformation de l’économie française ne  peut venir que d’un effort continu, structurel, partagé d’investissement et d’innovation, et de modération de la demande de biens publics. 

Philippe Waechter :La BCE va intervenir lors de sa réunion du mois de juin. Il y aura probablement des mesures sur les taux d'intérêt et sur la liquidité. Des opérations sur une plus grande échelle pourraient être évoquées. Je ne suis pas certain de mesure de ce type dès le mois de juin.L'ensemble de ces mesures y compris celles sur une grande échelle peuvent permettre de redynamiser le crédit et de donner un élan conjoncturel plus fort en alimentant davantage la demande interne. L'objectif alors est de sortir de la zone fragile observée actuellement et de donner des gages sur un engagement ferme de lutter contre le risque de déflation. 

Cependant, ce n'est pas cela qui spontanément permettra ce que vous appelez un rééquilibrage des différentes industries. Imaginez-vous que l'Allemagne abandonne l'avantage que lui donne le mittelstand, ce secteur des PME/PMI qui fait sa richesse? Certainement pas. Le rôle de la banque centrale est de faciliter le retour vers une croissance un peu plus robuste, elle n'est pas de mettre en œuvre des réformes structurelles dont l'objet est de pérenniser la trajectoire de croissance. Ne confondons pas tout. On met l'accent à nouveau sur la banque centrale pour qu'elle prenne des mesures facilitant la reprise de la croissance. Mais il ne faut pas oublier que l'économie ne se fabrique pas à la banque centrale. L'investissement, la formation, le mode de fonctionnement du marché du travail dépendent de l'économie réelle. Et sur cette dimension, la France et l'Italie manquent peut être un peu d'ambition et depuis longtemps. Ce retard ne sera pas comblé par l'action de la BCE car ce n'est pas son rôle.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Croissance nulle au 1er trimestre : les politiques publiques sont-elles pires que de ne rien faire ?Croissance zéro : le pari du retournement déjà mal engagé pour le gouvernementIndices PMI : la croissance de l'activité française a ralenti en avril, elle reste solide en AllemagneLa croissance de la zone euro a été plus faible que prévu au premier trimestre 2014

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !