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Malgré l’amélioration du niveau de vie, les ados occidentaux n’ont jamais été aussi déprimés
©Reuters

Mieux vaut prévenir que guérir

La dépression est la principale cause de maladie et de handicap des jeunes âgés de 10 à 19 ans, selon un rapport publié mercredi par l'Organisation mondiale de la Santé sur la santé des adolescents.

David Gourion

David Gourion

David Gourion est médecin psychiatre à Paris. Il est l'auteur avec le Pr Henri Loo de Guérir de la dépression : Les nuits de l'âme (Odile Jacob) et de Le meilleur de soi-même: empathie, attachement et personnalité (Odile Jacob).

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Atlantico : La dépression est la principale cause de maladie et de handicap dans le monde chez les jeunes de 10 à 19 ans, selon l'Organisation mondiale de la santé. Pourquoi cette maladie semble-t-elle se répandre et se maintenir chez cette classe d'âge malgré les évolutions sociales et médicales ?

David Gourion :En effet, les données de l’OMS montrent que la dépression majeure se place au second rang des maladies les plus invalidantes dans les pays occidentaux. Les données qui concernent le suicide - dont 80% sont liés à un état dépressif sous-jacent - en France sont particulièrement préoccupantes : première cause de mortalité chez les 15 30 ans ; 10 000 morts par an. Par ailleurs, la dépression majeure est une grande pourvoyeuse de co-morbidités, au premier rang desquels l’alcoolisme, les toxicomanies, et comme cela a été montré de façon très robuste dans de vastes études récentes, une surmortalité par pathologie cardio-vasculaires. Outre la souffrance psychique, le coût socio-économique est considérable : journées d’arrêt de travail (premier motif), perte de revenus et donc de cotisations sociales, coût des hospitalisations et des médicaments, années de vie perdues chez des actifs, etc.

En termes épidémiologiques, la dépression majeure est une maladie qui concerne environ un Français sur six au cours de la vie.

Contrairement à ce que l’on pensait, l’âge de début du premier épisode dépressif est souvent précoce, autour de 15-20 ans, parfois plus jeune encore. Il existe un second pic de début autour de l’âge de 35-45 ans. Si on ignore encore beaucoup de choses sur cette maladie, grâce aux progrès considérables des neurosciences au cours des dix dernières années, la vision médicale de la dépression a radicalement changé : nous la considérons aujourd’hui comme  un dysfonctionnement émotionnel et cognitif sous-tendu par des anomalies de circuits neurobiologiques. Les facteurs de risque identifiés sont multiples : génétiques,  environnementaux et psychosociaux. Tous ne sont pas encore clairement connus. Parmi les facteurs environnementaux, la prise d’alcool et de toxiques joue un rôle non négligeable. Or, nous savons que l’abus d’alcool et de substances devient de plus en plus précoce chez les jeunes. La pression psychosociale et les incertitudes quant à l’avenir qui pèsent sur les adolescents d’aujourd’hui est une autre explication potentielle. Enfin, et c’est peut-être l’explication la plus plausible, ce n’est pas tant l'âge de début  de la dépression qui change que notre capacité à la détecter et à la diagnostiquer plus tôt chez les jeunes. 

Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'âge d'apparition des symptômes de problèmes mentaux survient autour de 14 ans. Pourquoi cet âge est-il si critique ? 

L'adolescence est une période  ce de vulnérabilité cérébrale particulièrement marquée : entre 15 et 25 ans, la maturation et l’affinage des réseaux neuronaux est particulièrement intense. Il y a une forte activité d’élimination des connexions synaptiques qui ne sont plus fonctionnelles, et en même temps, un renforcement des circuits impliqués dans les fonctions cognitives de haut niveau (réflexion, anticipation, planification, inhibition et capacité à différer un comportement, régulation émotionnelle, etc.).  

La survenue de facteurs de stress psychosociaux (pression scolaire, divorce des parents, rupture sentimentale, etc.), de prises de toxiques ou de désordres biologiques et immunitaires précisément durant cette fenêtre temporelle cruciale pour la maturation cérébrale, chez des sujets vulnérables du fait de leur histoire (abus/maltraitance durant l’enfance, abandons, carences émotionnelles) et/ou  de leurs antécédents génétiques, est susceptible de déclencher un premier épisode psychopathologique : dépression majeure, trouble bipolaire, schizophrénie, etc.

Il s’agit donc d’être vigilant devant l’apparition conjointe de troubles émotionnels, de difficultés scolaires et de problèmes de comportement chez les adolescents. Ces difficultés ne doivent pas être systématiquement mises sur le compte d’une crise d’adolescence.

Dans un grand nombre de cas, on reçoit des adolescents qui ont débuté leur maladie maladie depuis deux ou trois ans et chez lesquels il est déjà tard pour intervenir ; en cas de doute, mieux vaut consulter un spécialiste plutôt que d’attendre un hypothétique "déclic" et de risquer de faire perdre des chances de guérison. En effet, nous disposons aujourd’hui de médicaments et d’interventions de réhabilitation psychosociale extrêmement efficaces à condition qu’ils soit mis en place le plus tôt possible dès le début de la maladie.

L’un des problèmes majeurs liés à notre discipline réside dans la difficulté d’accès aux soins : la maladie mentale est fortement stigmatisée, les traitements psychotropes sont considérés avec la plus grande méfiance par le grand public et les psychiatres souvent considérés avec mépris. De ce fait, les parents d’adolescents malades attendent souvent la dernière extrémité (crise suicidaire, troubles graves du comportement, déscolarisation massive) avant de les emmener consulter.

La dépression touche tous les pays développés, et prend également de l'ampleur dans les pays en voie de développement. Pourquoi la dépression semble se répandre au fur et à mesure qu'un pays s'enrichit et se développe ?

C’est un autre cliché sur la dépression majeure de considérer qu’elle est une maladie des pays riches. Les grandes études, notamment celle de l’OMS, montrent que la prévalence de la dépression est sensiblement la même dans tous les pays et dans toutes les cultures. Autrement dit, vivre au soleil dans un pays pauvre ne protège pas de cette maladie, loin de là. Simplement, il y a tellement d’autres problèmes sanitaires et socio-économiques à gérer dans ces pays sous-développés que leurs faibles moyens ne leur permettent pas de développer un système de santé mentale minimum. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de psychiatres pour diagnostiquer et soigner les déprimés dans ces pays que ces derniers n’existent pas. Là-bas plus encore qu’ici, ils sont les laissés-pour-compte de la médecine.

La dépression des jeunes dans un monde développé est-elle un phénomène inéluctable qu'il faudra apprendre à canaliser, ou une inversion de la tendance vous semble-t-elle possible ? Que faudrait-il mettre en place ?

Prenons exemple sur l’Angleterre : trois fois moins de psychiatres, un système de soins embouteillé et des délais d’attente importants, et pourtant une réduction par deux du taux de suicide en l’espace de 20 ans. La raison ? De grandes campagnes de prévention auprès du public, une vraie formation des médecins généralistes, des programmes de formation auprès des enseignants. En clair, s’il y avait une vraie volonté politique, nous pourrions en France réduire drastiquement le suicide et améliorer considérablement la vie de ces jeunes patients en souffrance. Et ce d’autant qu'il existe dans notre pays un excellent système de soins et une expertise clinique reconnue dans le monde entier.

L’exemple des centres experts pour le dépistage des jeunes adultes qui se mettent en place depuis plusieurs années dans certains CHU démontre clairement l’utilité du dépistage et des interventions précoces. Le grand défi de demain sera celui de la prévention : intervenir encore plus tôt, avant même le début de la maladie, comme cela se fait par exemple en cardiologie ou l'on n’attend pas le premier infarctus pour traiter le surpoids, l’hypertension et le tabac ! 

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