Débat pour la présidence de la Commission européenne : l'Europe des citoyens face à l'Europe des projets<!-- --> | Atlantico.fr
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Une partie importante du débat s’est focalisée sur la question de l’économie.
Une partie importante du débat s’est focalisée sur la question de l’économie.
©Reuters

Face à face

L’Union européenne est un système politique dont la pérennité est aujourd’hui remise en question.

Amandine  Crespy

Amandine Crespy

Amandine Crespy est professeure- assistante en science politique et études européennes à l'Université libre de Bruxelles (Institut d'études européennes et CEVIPOL)

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C’est une formule quelque peu étrange que ces débats qui ont opposé, ces dernières semaines, des candidats à la tête d’une institution, la Commission européenne, qui est la plus mal aimée de l’Union, celle qui est considérée comme la moins démocratique, dont on ne sait pas très bien aujourd’hui si elle doit être un organe politique ou un outil technocratique, un grand secrétariat œuvrant dans l’ombre au service des gouvernements nationaux ou elle-même un gouvernement en devenir, et dont n’est pas certain que le prochain président fait effectivement partie des cinq candidats en lice. Quoi qu’il en soit, le débat a le mérite d’éclairer, d’une lumière certes faible, quelques-unes des lignes de conflit qui parcourent le système politique multi-national, multi-niveaux et en expansion constante qu’est l’Union européenne, un système politique dont la pérennité est aujourd’hui en question. En cela, ce débat est certainement un document pour l’histoire.

Une autre Europe est-elle possible ?

Il est avant tout frappant de constater que l’Europe, autrefois si sure d’elle, si évidente et consensuelle, vacille aujourd’hui. La question qui était il y a quinze ans le slogan d’une poignée d’utopistes altermondialistes se trouve aujourd’hui au cœur de la politique institutionnelle de l’Union et remet directement en cause l’Europe de Jean Monnet, telle qu’on l’a connue ces soixante dernières années. Ainsi, les responsables politiques se trouvent face à une question lancinante à laquelle ils ne peuvent plus échapper : une autre Europe est-elle possible ? Pour le social-démocrate Schulz et l’écologiste Ska Keller, il faut faire émerger l’Europe des citoyens (en particulier les jeunes) contre l’Europe des banques, tandis que le libéral Verhofstadt et le conservateur Juncker mettent en avant l’Europe des projets : Union digitale, communauté de l’énergie, etc. Quant au candidat de la gauche radicale, Alexis Tsipras, qui a fait hier soir son entrée tardive dans l’arène, il s’agit de restaurer la  démocratie et la cohésion sociale.

L’œuf ou la poule

Une partie importante du débat s’est focalisée sur la question de l’économie et de la sortie de l’Union de la crise financière, économique et budgétaire. De toute évidence, des finances publiques saines et des politiques favorables à la croissance sont toutes deux désirables. A bien des égards, il s’agit de savoir qui de l’œuf ou de la poule doit apparaître en premier. A cet égard, la position de Jean-Claude Juncker est sans doute la plus confortable : il défend le bilan de la gestion de crise, met en avant la stabilisation des déficits et de la récession, prône la continuité des efforts et de la discipline : il faut remplacer les crédits par les idées. Ska Keller, à l’inverse, fait valoir que seuls des investissements importants permettront la relance de l’économie européenne. Fidèle à une position social-démocrate classique, Schulz se place en défenseur d’une troisième voie : pour lui, seule la réduction des déficits et des dettes permettra de dégager les marges nécessaires aux investissements. La position de Guy Verhofstadt est sans doute la plus ambigüe : d’une part, il critique la cogestion de la crise par les libéraux et les sociaux-démocrates et fustige les « vieilles recettes »; d’autre part, ses propositions consistent essentiellement à les intensifier : circulation des capitaux accrue, consolidation du marché commun à la fois par la concentration industrielle et la stimulation du libre-échange avec le reste du monde.

Centre vs périphérie

L’opposition gauche-droite semble bien sous-jacente, donnant lieu à des projets et des discours distincts, mais on perçoit parfois mal comment ces différents projets pourraient s’incarner dans des politiques concrètes et, dans une telle perspective, c’est souvent la continuité qui prévaut sur la rupture, offrant finalement peu d’écho à l’appel pour une autre Europe. La seconde ligne de conflit qui s’est dessinée hier soir est celle opposant centre et périphérie, une dynamique centrifuge néfaste pour tout système politique.

Cette opposition recouvre deux aspects. D’abord il s’agit de la confrontation entre les grands partis qui tiennent le haut du pavé dans les institutions européennes (conservateurs, sociaux-démocrates et libéraux) versus les petits partis à la périphérie du spectre politique, représentéd par Ska Keller et Alexis Tsipras. Ska Keller s’est imposée comme une opposante déterminée aux grands partis et au statut quo, dénonçant vigoureusement le traité de libre-échange avec les Etats-Unis, les failles de l’Union bancaire et la faiblesse de la régulation des marchés financiers face à la fraude fiscale massive, l’hypocrisie des Etats-membres en matière d’immigration, etc. De manière inattendue, elle s’est souvent opposée sur ces sujets pas tant au conservateur Juncker qu’au candidat des libéraux Guy Verhofstadt. Face aux candidats des partis du centre, elle fut la seule à formuler un diagnostic alternatif de la crise en affirmant que les dettes publiques sont autant le résultat que la cause de la dette, comme le prouve le cas espagnol. Ici, les grand absents qui occupent l’essentiel du débat politique et médiatique en dehors de la procédure pour l’élection du Président de la Commission, ce sont les Eurosceptiques, qui défendent une vision radicalement différentes et constituent aujourd’hui le mouvement d’opposition le plus puissant aux partis politiques établis dans les institutions européennes. A cet égard, on s’attend à ce que le futur Parlement offre un visage assez radicalement différent, du fait de la montée de la droite radicale davantage que de la gauche ou des Verts.

Ceci étant, la présence d’Alexis Tsipras pour la première fois dans ce débat a fait apparaître hier soir une seconde opposition entre centre et périphérie, qui recouvre davantage une dimension structurelle et géographique. Face aux candidats allemands, luxembourgeois, et belge, représentants d’une Europe continentale riche et fortement intégrée, le grec semblait bien seul pour porter la voix des laissés pour compte aux marges du continent. Son discours fut dans une large mesure focalisé sur le drame grec, la dénonciation de la Troika et de l’austérité imposée d’en haut, et sur les appels à la solidarité et à la démocratie avec une demande plus ou moins explicite : l’annulation de la dette grecque. Et de fait, le débat a offert peu de réflexions ou propositions sur les clivages structurels qui traversent le continent et la validité de certains principes qui semblent aujourd’hui tabous : la convergence est-elle possible ? Est-elle souhaitable ? La mutualisation de la dette est-elle indispensable ? Une mobilité accrue des travailleurs d’un Etat membre à l’autre est-elle possible et souhaitable ?, etc.

Ce que l’Europe n’est pas

Au final, les différents candidats ont souvent rappelé ce que l’Europe n’est pas et ce qu’elle ne doit pas faire. Dès sa première intervention, Juncker clame que l’Union, si elle doit générer croissance et emplois, ne doit pas se mêler des "petites choses". Pour Schulz, l’Union n’est ni une puissance militaire capable de gérer des situations de conflit (comme une potentielle guerre en Ukraine), ni un Etat fédéral. Tous s’accordent sur le fait que l’Union ne doit en aucun cas se mêler des débats vifs dans certains pays sur d’éventuels détachements régionaux prônés par des nationalistes indépendantistes (comme en Catalogne ou en Ecosse) et pour de nombreuses questions politiques et sociétales, la majorité des candidats (à l’exception de Verhofstadt) s’accordent sur le fait que les constitutions nationales doivent avant tout donner le ton. Martin Schulz a ainsi scandé par deux fois : « les citoyens ne veulent pas plus d’Europe, mais une autre Europe », une alternative, également appelée de ses vœux par Tsipras mais dont il ne définit pas les contours. Peut-être ses contours doivent-ils se définir de manière négative en réfléchissant au partage des compétences et à ce que l’Union ne peut ou ne doit pas faire.

Une chose est sure : la redéfinition de cette nouvelle Europe semble devoir commencer avec le débat lui-même, un processus réflexif et expérimental. La procédure quasi électorale pour la nomination du prochain président de la Commission, et le débat public, même timide, qui l’accompagne seront-ils pris au sérieux par les chefs de gouvernements ? Ou la distribution des postes se fera-t-elle une fois de plus derrières des portes closes où chacun tente d’avancer ses pions. Au-delà de cette nouvelle procédure concernant la Commission européenne, les citoyens sont aujourd’hui en droit de se demander s’il faut se replier sur la démocratie nationale, voir locale, tant l’avènement d’un débat public et d’une démocratie européenne vivante semble devoir perpétuellement être remis aux calendes grecques.

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