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Julie Lescaut, archétype de la série française engoncée dans un format de 90 minutes avec des épisodes interchangeables.
Julie Lescaut, archétype de la série française engoncée dans un format de 90 minutes avec des épisodes interchangeables.
©TF1

Petite lucarne

Les téléspectateurs français semblent préférer les séries américaines au détriment de celles fabriquées en France. Pourquoi ce non-succès ? Guy-Patrick Saintderichin, scénariste français, co-créateur de la série "Engrenages" tente d'expliquer pourquoi.

Guy-Patrick Sainderichin

Guy-Patrick Sainderichin

Guy-Patrick Sainderichin est scénariste de télévision. Il a notamment écrit la première saison de la série Engrenages (Canal +), et collabore régulièrement à la série Section de Recherches (TF1). 

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Si l’on se demande comment faire de bonnes séries, on voit tout de suite que la question est mal posée. Des séries, il en faut de toutes sortes. Donc, des mauvaises aussi : celles que l’on n’aime pas, mais que d'autres aiment, sont, à ce titre, indispensables.

Si l’on se demande comment faire de bonnes ou de bonnes mauvaises séries, on s’avise immédiatement que la réponse est toute simple : il suffit de faire appel aux bons auteurs et de prendre le risque de leur faire confiance. Ça ne marchera pas à tous les coups. Mais il n’y a pas d’autre méthode. Cette réponse toute simple a un défaut : elle est parfaitement inutile, car elle n’a aucune portée pratique.

Mieux vaut donc se demander comment rater les séries. Là, on peut réfléchir. Car nous avons engrangé dans ce domaine, en France, de beaux succès.

Notre pays a en effet réussi un exploit. Un document du CSA a comparé les dix meilleures audiences de fiction de cinq grandes nations européennes en 2009. En Grande-Bretagne et en Italie, aucune fiction américaine n’apparaît dans la liste. En Allemagne, on y trouve neuf fictions allemandes, et une seule américaine, au dixième rang. En Espagne, ça se gâte : quatre fictions américaines sur dix, aux 3ème, 4ème, 6ème et 7ème rangs. Mais en France, sonnez clairons, résonnez musettes : six sur dix des meilleures audiences de fiction sont américaines, dont les quatre premières.

Ce n’est pas que les séries américaines sont intrinsèquement meilleures : dans ce cas, elles devraient l’être aussi aux yeux des téléspectateurs en Espagne, en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne. C’est que les nôtres sont moins bonnes. Quel est notre secret ?

La pétrification

Les séries sont par nature des formes ouvertes, mouvantes, évolutives, susceptibles de mettre en scène des points de vue multiples et contradictoires. Elles sont accueillantes aux projections ondoyantes et disparates de publics hétérogènes. Pour leur ôter toute vie, il suffit de leur assigner des règles absurdes, de leur imposer des dogmes indémontrables, de les engoncer dans des recettes et des figures obligatoires. Elles n’y résistent pas. Elles en sont pétrifiées.

Les outils de la pétrification sont variés.

Ils peuvent être administratifs ou réglementaires, et aboutir à privilégier indûment pendant un temps certaines formes, certains horaires, certaines durées. En France, nous avons ainsi longtemps pratiqué la monoculture du 90 minutes de prime-time bouclé (dont les épisodes ne se suivent pas, et sont diffusables dans n’importe quel ordre), à héros récurrent massif et impassible.

Ils peuvent être idéologiques (et assener par exemple que toute série doit être identificatoire, oui, oui, et tendre à la ménagère le miroir de sa propre splendeur).

Ils peuvent être d’apparence technique. Faites des « fiches personnages » détaillées, de sorte que l’on sache d’emblée, une bonne fois pour toutes, pour les siècles à venir, qui est qui, et comment ! Écrivez des synopsis d’avance, afin que l’on connaisse le contenu du vingtième épisode avant même d’avoir écrit une version cohérente du premier ! Respectez la séparation des genres, ici l’on rit, là-bas on pleure, et qu’on ne se mélange surtout pas !

Le contraire, en somme, de ce que font les Américains, qui écrivent et tournent, même pour le prime-time, en flux tendus, sans autre filet de protection que la menace d’interruption de la diffusion (et de la production), et à qui leurs personnages découvrent sans cesse des traits nouveaux, inédits et inattendus de leur personnalité. Quand nous, nous croyons plutôt aux flux tendus à la soviétique, gravés dans le marbre du plan quinquennal.

Bien entendu, les outils de pétrification sont d’autant plus efficaces qu’ils s’affirment plus ouvertement et plus purement autoritaires et arbitraires. Leur forme idéale consiste en un interventionnisme confus, tatillon et incessant au cours de l’écriture, qui ressemble fort à ce que Louis Aragon décrivait des éditeurs, jadis, de littérature populaire : « exigences burlesques », « normes monstrueuses », « prescriptions brusquement changées ».

Il va sans dire que ces amères constatations ne s’appliquent à aucune des personnes ou des institutions avec lesquelles je travaille, j’ai travaillé ou je vais travailler. De même, n’idéalisons pas l’Amérique : sa fiction porte elle aussi des traces de pétrification. Enfin, on dirait bien que, chez nous, la conscience du désastre commence à produire ses effets : les choses bougent.

Vous pouvez ranger vos cahiers, chers enfants. Dans une prochaine leçon, nous parlerons de la manière d’empêcher d’exister les bons auteurs de séries. Ce sera triste.

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