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Demain, tous des mutants ? Pourquoi la puberté se déclenche de plus en plus jeune
©Reuters

Bonnes feuilles

Au secours, les mutants sont parmi nous ! Saviez-vous que la taille moyenne des Français a augmenté de près de 5 cm en 30 ans, et qu'il y a désormais 15% d'obèses parmi les adultes ? Qu'une petite fille afro-américaine sur quatre commence sa puberté vers 7 ans ? Qu'à l'échelle de la planète la concentration spermatique a baissé de près de 40 % en un demi-siècle ? L'être humain est manifestement en train de changer, et à un rythme qui n'a plus rien à voir avec l'évolution darwinienne. Extrait de "Mutants", de Jean-François Bouvet, aux éditions Flammarion (1/2).

Jean-François  Bouvet

Jean-François Bouvet

Jean-François Bouvet est agrégé de sciences biologiques et docteur ès sciences. Après avoir enseigné en classe préparatoire aux grandes écoles à Lyon, ainsi qu'à l'Université où il a effectué des recherches en neurobiologie, il se consacre désormais à l'écriture. Ses essais ont connu un large succès auprès du grand public et ont été traduits en diverses langues.

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De la Chine aux États-Unis, des garçons pubères plus tôt

« Où sont les sopranos ? », titrait en novembre 2013 le site Internet Atlantico qui se faisait l’écho d’un article du New York Times Magazine. Avec en sous-titre : « La chorale de l’église Saint-Thomas de Leipzig, dont Jean-Sébastien Bach fut le directeur entre 1723 et 1750, est en manque de sopranos. Les jeunes chanteurs seraient atteints de puberté précoce. »

Invité à réagir à cette information, le pédiatre Michel Colle se montrait sceptique : « Cet article m’a beaucoup étonné […]. La puberté précoce est de fait beaucoup plus rare chez les garçons. […] Si, comme dans l’article, un jeune garçon commence sa puberté à 12 ans, ce peut être gênant pour une chorale, certes, mais il n’y a rien de pathologique, c’est tout à fait normal ! Deuxièmement, la mue de la voix est un signe tardif de puberté : si la puberté commence à 12 ans, la voix mue vers 14 ans. Cela paraît improbable que cette chorale ait recruté un nombre important de pubères précoces. Je déplore ce qui arrive à ces directeurs de chorale, mais j’ai du mal à le croire. »

IPour la puberté masculine, les observations fiables s’avèrent de fait plus délicates à collecter que chez les filles car le début du phénomène est moins apparent (pas de développement des seins). Des études ont cependant pu être menées au Danemark, en Suède, en Grande-Bretagne, en Italie, en Chine et aux États-Unis, et leurs résultats convergent : la puberté des garçons semble bien de plus en plus précoce dans ces pays.

Dans le cas des États-Unis, le décalage est de six mois à deux ans par rapport à ce qui était observé plusieurs décennies auparavant. En se référant à l’échelle de Tanner, on constate que le démarrage de la puberté intervient désormais un peu avant 10 ans en moyenne. Avec, là encore, une plus grande précocité pour les jeunes Afro-Américains.

Quelle(s) cause(s) attribuer à cette précocité pubertaire qui semble toucher les deux sexes ? Si l’amélioration de l’alimentation – et donc de l’état général des individus – a probablement joué un rôle important depuis le milieu du XIXe siècle dans la baisse de l’âge aux premières règles en particulier, on voit mal comment un tel facteur pourrait expliquer l’évolution de la chronologie de la puberté dans les pays riches au cours des dernières décennies. Pour tenter d’élucider ce mystère, le mieux est de se pencher sur la nature du signal initiateur du phénomène pubertaire.

Qu’est-ce qui déclenche la puberté ?

La question est simple, la réponse l’est moins. Car la genèse de la tornade hormonale évoquée plus haut fait intervenir une cascade réactionnelle complexe. Ce sont des neurones de l’hypothalamus – une zone située à la base du cerveau – qui donnent le signal. Et ce, par le biais d’une hormone récemment découverte, dénommée kisspeptine – ce qui tombe plutôt bien puisque la puberté est l’âge des premiers baisers.

Pour la petite histoire, le nom de la kisspeptine ne dérive qu’indirectement de l’anglais kiss, « baiser » ; il vient en fait de KISS1, l’appellation du gène codant cette hormone. Caractérisé par une équipe de recherche basée dans la petite ville de Hershey en Pennsylvanie, ce gène a été ainsi baptisé en hommage à des chocolats portant le nom de Hershey’s kisses (« Baisers de Hershey »), une spécialité de cette cité surnommée Chocolate Town.

Plus sérieusement, le lien entre kisspeptine et initiation de la puberté a été récemment confirmé par une étude turque décrivant une mutation de KISS1 dans une famille d’origine kurde, consanguine dans la mesure où les deux parents étaient cousins. Cette famille comprenait quatorze enfants – onze filles et trois garçons – âgés de 6 à 30 ans. Chez quatre des filles, la mutation de KISS1 s’est traduite par une non-apparition de la puberté. En revanche, quatre de leurs soeurs non exposées aux effets de cette anomalie génétique ont eu leurs règles vers 12 ans.

Émise, comme on l’a dit ci-dessus, par des neurones hypothalamiques, la kisspeptine en active d’autres qui, eux, sécrètent de la GnRH. Cette hormone active à son tour des cellules de l’hypophyse – une petite glande sphérique située sous l’hypothalamus –, lesquelles produisent, selon leur spécialisation, de la FSH ou de la LH. Ces deux hormones hypophysaires stimulent tant les ovaires que les testicules ; elles y induisent la production de cellules reproductrices – ovocytes ou spermatozoïdes – et d’hormones sexuelles – essentiellement la testostérone chez l’homme et l’oestradiol (un oestrogène) chez la femme. Lesquelles agissent sur l’ensemble de la sphère sexuelle dont elles stimulent la maturation et le fonctionnement.

Donc, pour résumer, la kisspeptine stimule la sécrétion de GnRH qui stimule la sécrétion de FSH et de LH, cette dernière hormone stimulant la sécrétion de testostérone et d’oestradiol. Pour autant, cela ne nous dit pas ce qui déclenche cette cascade réactionnelle à l’origine de la « mise en service » de la machinerie sexuelle. Des études comparatives réalisées chez des jumeaux vrais et faux – à patrimoines génétiques entièrement ou partiellement identiques, donc – montrent que les gènes jouent un rôle majeur dans le déterminisme de l’âge auquel survient ce phénomène. Mais les facteurs nutritionnels semblent également intervenir de façon non négligeable.

On sait en effet que l’obésité accélère la survenue de la puberté chez les filles ; à l’inverse, une pratique intensive du sport, de nature à faire fondre la masse graisseuse, la retarde. De telles observations pourraient s’expliquer par le fait que la graisse produit de la leptine, une molécule-signal susceptible de stimuler les neurones de l’hypothalamus sécrétant de la kisspeptine, laquelle, nous l’avons vu, joue un rôle clef dans le déclenchement de la puberté. La leptine apparaît ainsi comme un bon candidat pour informer le cerveau que le sujet a atteint un développement pondéral tel qu’est venu le moment de déclencher la puberté. Autrement dit, et pour faire simple, l’organisme semble « se dire » qu’il s’est suffisamment développé pour pouvoir s’engager dans la reproduction.

Extrait de "Mutants - à quoi ressemblerons-nous demain", de Jean-François Bouvet, aux éditions Flammarion, 2014. Pour acheter ce libre, cliquez ici.

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