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Homo Sapiens 2.0 : 
quand Google préfigure l'hybridation homme-machine
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Bienvenue chez les cyborgs

Internet modifie nos comportements, la manière dont nous utilisons nos cerveaux, voire l'espèce humaine toute entière. Serons-nous demain tous des cyborgs ? Et quels risques cette hypothèse comporte-t-elle ?

Benoît  Sillard

Benoît Sillard

Benoît Sillard dirige CCMBenchmark Group, qui édite de nombreux sites Internet en France et à l'étranger (Le Journal du Net, CommentCaMarche, l'Internaute).

Il a publié récemment Maîtres ou esclaves du numérique ? (Eyrolles, 2011)

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Une étude récente menée par des psychologues américains de l’université de Columbia tend à démontrer que, lorsque nous avons des questions difficiles à résoudre, nous nous tournons de plus en plus vers Internet et notamment Google au lieu d’utiliser notre mémoire. Cette étude va même jusqu’à laisser entendre que cela aurait pour conséquence de modifier le fonctionnement de nos cerveaux, notamment en développant de nouveaux réflexes.

L’histoire se répète…

Dans Phèdre, le philosophe Socrate se lamente… de l’invention de l’écriture. Ses arguments ne sont pas sans rappeler certaines conclusions de cette étude.

« Elle [l’écriture] ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont de la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais savants. »

On pourrait citer de nombreuses analyses similaires qui furent publiées à l’occasion de l’invention de l’imprimerie, de la radio ou de la télévision.

Lors de chaque évolution technologique majeure l’homme s’adapte à la nouvelle donne… mais certains le font moins bien que d’autres. Concrètement  notre cerveau délaisse les activités devenues sans objet et dans le même temps crée de nouvelles fonctionnalités. C’est un processus darwinien classique mais qui s’accélère en raison des progrès fulgurants de ces dernières années.

Vers l’hybridation homme-machine

Au-delà de ce phénomène, amplifié par l’éternelle lutte entre les anciens et les modernes, cette étude soulève une autre question : celle de l’hybridation homme-machine. Sur ce point, l’histoire ne se répète pas. Nous assistons probablement à un changement de paradigme.

L’homme dispose maintenant d’un « second cerveau » grâce à Internet et certaines machines « intelligentes ». Des exemples de liens homme-machine, encore plus perturbants que ceux que nous avons avec Google, commencent à se multiplier sous nos yeux.

Dans le domaine biologique et médical, les interfaces cerveau-machine (ICM) progressent à grands pas. Elles sont d’abord destinées à des patients atteints par des maladies invalidantes : paralysie complète suite à un accident, un AVC ou un "locked-in syndrom", maladies neurodégénératives comme les scléroses envahissantes, lésion de la moelle épinière.

Une ICM comprend trois systèmes : acquisition des signaux cérébraux (casque à électrode ou puce), traduction de ces signaux dans un ordinateur, commande mécanique d’un élément de l’environnement (clavier, fauteuil roulant, prothèse, etc.). À cela s’ajoute une boucle finale d’apprentissage par rétroaction (biofeedback) par laquelle le patient et l’ICM progressent ensemble dans leur compréhension mutuelle.

Autre voie déjà avancée pour l’hybridation des intelligences naturelles et artificielles : les implants neuronaux. Sans que nous le sachions, les cyborgs sont déjà parmi nous ! C’est le cas des patients ayant des pacemakers pour compenser le mauvais contrôle du rythme cardiaque par le système nerveux périphérique, des implants cochléaires pour restaurer électroniquement la perception des sons, et surtout des implants cérébraux (Parkinson, infarctus cérébral, épilepsie) pour contrôler directement l’expression de réseaux de neurones. Les dernières générations de ces implants neuronaux intègrent déjà des capacités logicielles.

Homo sapiens 1.0 vs homo sapiens 2.0 : attention danger ?

Peut-on ou doit-on stopper le processus ? Faut-il lui donner des limites et comment ? Une accélération et une démocratisation des hybridations « technonaturelles » sont-elles au contraire souhaitables ? Ces questions seront au cœur des décennies à venir et les enjeux dépassent largement les anciennes interrogations de l’homme sur sa société ou sur lui même.

Des conflits éthiques et religieux se dessinent déjà : certaines visions du monde sont hostiles à la toute-puissance de l’homme, interprétée comme un sacrilège, une démesure, un danger, une folie… Des positions radicalement technophobes ou « luddites » (Ludd étant le nom du meneur des ouvriers anglais qui détruisirent des machines à tisser accusées de leur prendre leur travail) se développent aux marges de l’opinion, alors que de l’autre côté du spectre, nous avons des visions technophiles et « futuristes ».

Cette division des mentalités humaines peut aboutir concrètement à une division de l’espèce humaine, une partie des Homo sapiens souhaitant rester intacts, une autre devenant modifiée et augmentée. Homo sapiens v 1.0 et v 2.0 coexisteraient !

Autre problématique à venir : cette division de l’espèce humaine peut être subie et non voulue, pour des raisons économiques. Il existe d’ores et déjà des différences importantes de qualité, de complexité et de durée de vie entre les plus riches et les plus pauvres sur la planète. Avec l’accélération attendue du progrès NBIC/BANG (c'est-à-dire, pour simplifier, de l'ensemble des dernières avancées en matière de nanotechnologies, informatique, ou biotechnologies) le fossé peut se creuser. Le monde hybride deviendrait alors impénétrable à ceux qui n’y sont pas entrés à temps.

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