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Le retour de la télé
"foutage de gueule"
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Secret Story 5

A l'occasion du retour de "Secret Story" sur TF1, ce vendredi 8 juillet, François Jost, l'auteur de "L'Empire du Loft", revient sur le concept de télé-réalité qui ne cible que les jeunes. Le sémiologue se montre très critique vis-à-vis de la plupart des émissions de ce type... Souvent calquées sur les ficelles des séries, elle peuvent rapporter des sommes d'argent beaucoup plus importantes.

François Jost

François Jost

François Jost est professeur à l’université Paris III où il dirige le Centre d'Etudes sur l'Image et le Son Médiatiques (CEISME). Il enseigne l’analyse de la télévision et la sémiologie audiovisuelle.

Il est l’auteur, entre autres, de L’Empire du Loft, la suite  (La Dispute, 2007), De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? (CNRS éditions, 2011), Les Nouveaux méchants. Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal (Bayard 2015), Breaking Bad. Le diable est dans les détails (Atlande 2016).

Il dirige également la collection A suivre sur les séries aux éditions Atlande.
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Atlantico : L’émission « Secret Story », qui revient ce 8 juillet sur TF1, ne touche-t-elle qu’un public ciblé ?

François Jost : Ce type de programme veut, en effet, toucher des jeunes ou la mère qui fait des courses. Le premier objectif est de toucher le prescripteur des achats.

De façon générale, la télé-réalité cible les 15-34 ans. Pourquoi ? Car la psychologie des participants est assez infantile. Même s’ils ont une trentaine d’années, ils raisonnent un peu comme des enfants. On dit souvent dans la télé-réalité que telle expérience les fera grandir, leur donnera de la maturité. Et ils sont de toute façon infantilisés par le dispositif lui-même. On leur donne des ordres sur leur rythme, leur temps.

Et ce dispositif correspond bien à ce que recherchent les jeunes, les adolescents : ils s’amusent de voir des participants dans des situations difficiles ou ridicules, qui favorisent le « foutage de gueule ».

Les familles sont-elles divisées par la télévision ?

Attention, le fait qu’il y ait une majorité de femmes de moins de 50 ans et de jeunes ne veut pas dire que les hommes ne regardent pas. Dans les « jeunes », il y aussi des hommes… Et pour le reste, les hommes suivent, simplement, c’est en moins grand nombre. Dans des saisons précédentes, on avait par exemple, un soir, pour « Secret Story »,  43,7 % de part d’audience (PDA) sur les femmes de moins de 50 ans et 44 % de PDA sur les 15-24 ans,  mais cela n’exclut pas qu’il y ait aussi des hommes.

Cela dit, les chaînes savent que le football est plutôt regardé par des hommes et les séries par une majorité de femmes (par exemple, Le Destin de Lisa  était regardé par 19 % de femmes contre 2 % d’hommes).

On peut le regretter mais c’est ce que prouvent les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français.

Pourquoi cette volonté de surfer sur le côté secret, mystérieux, notamment avec « Secret Story » ?

Je traite de cette question dans mon dernier livre, De quoi les séries TV sont-elles le symptôme ? (CNRS éditions). Je montre en effet que les séries sont entrées dans l’ère du secret.

Auparavant, les personnages étaient définis par leur psychologie, leur caractère monolithique.  Aujourd’hui, la psychanalyse est la source d’inspiration : d’où l’idée que les personnages ont une vérité enfouie, un secret qui commande toute leur vie : de Desperate Housewives à Lie to me en passant par The Mentalist. Et découvrir ce quelque chose, ce serait comprendre les gens.

« Secret story » s’est calqué sur les séries qui fonctionnent autour du secret. L’émission a d’ailleurs repris quelques musiques de la série Desperate Housewives

Pourquoi y a-t-il tant d’émissions de télé-réalité ? 

Les chaînes privées font ce qu’elles veulent. Je suis navré, en revanche, de voir que la télé-réalité se répand comme une tâche d’huile. Dans mon premier livre sur la télé-réalité, L’Empire du Loft, je me demandais jusqu’à où cela pouvait aller. On doit bien dire que l’Empire se développe.

On voit aujourd’hui de la télé-réalité un peu partout, y compris sur le service public avec, par exemple, « Une semaine sans les femmes », une émission de France 2, diffusée en mars 2011. Ou encore des émissions de décoration piquées à M6, voire des émissions annoncées pour l’été où des vedettes prennent la place de gens ordinaires. La télé-réalité a gagné en terrain.  C’est navrant.

Cela a commencé sur M6 et TF1 disait à l’époque : « Jamais, nous » Ils ont finalement changé d’avis. Et même chose pour le service public : il refusait d’en faire mais il propose aussi maintenant des émissions de télé-réalité. C’est navrant pour les gens qui attendent un programme plus inventif.

Comment expliquer le succès de la télé-réalité ?

Les chaînes courent après le jeune public car on dit que les jeunes regardent moins la télé – ils regardent la TV plutôt sur Internet, maintenant. Ces chaînes proposent des émissions sur le papotage, le gossip, le ragot, avec des jeux sadiques, et ça plaît à un public assez jeune.

La rentabilité d’un programme de télé-réalité est incomparable avec, par exemple, une série télévisée achetée qui ne coûte pas très cher - je n’évoque pas, ici, les séries TV produites par la chaîne, celles-ci étant onéreuses.

Un épisode de télé-réalité rapporte beaucoup, ce sont des sommes colossales. Et la télé-réalité a des similitudes, des accointances avec le monde publicitaire. Les candidats passent leur temps à prendre soin de leur corps, à séduire. Par les gestes, la télé-réalité, c’est un peu de la publicité. Même si on cache les noms de marque.

C’est moins audacieux, moins cher que n’importe quelle fiction. On l’a vu avec la série de TF1, Hôpital : 6 épisodes produits, mais au bout du 2ème, ça a été une catastrophe…

Or, avec la télé-réalité, on peut changer certaines choses, on peut mettre l’émission en deuxième partie de soirée.

La télé-réalité peut-elle un jour s’essouffler ?

Cela peut s’essouffler, c’est certain.

Je ne pense pas aux débordements érotiques, par exemple. Le CSA est là pour ça… En revanche, je trouve qu’il n’y a pas de limite à la bêtise. Et là, on peut toujours se dépasser comme on l’a vu avec « Carré Viiip ».

La seule solution : il faut que les candidats soient un peu moins bêtes au départ, moins grossiers et qu’on les voit évoluer au fil des semaines. Qu’il y ait des trajets de personnages. Avec "Carré Viiip", ils avaient tous le même désir.

S’ils continuent à prendre les gens pour des imbéciles, qu’ils choisissent des candidats avec un accent lourd et stupide, je ne pense pas que la télé-réalité puisse avoir un avenir. Il faut qu’elle se renouvelle. Avec « L’amour est dans le pré », on voit que les participants viennent de différentes régions. Il y a aussi une variété des âges.

On a l’impression qu’on peut les rencontrer plus facilement dans la réalité que les « bimbos » et les candidats « borderline » qu’affectionne la télé-réalité.

Propos recueillis par Philippe Lesaffre

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