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Sénégal : Wade 
et le risque du mandat de trop
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Été africain

Le président sénégalais, élu en 2000 et réélu en 2005, vise un troisième mandat. Il est pourtant appelé à renoncer par l'opposition et les manifestants. Son entêtement pourrait faire de lui le fossoyeur de la transition démocratique du Sénégal.

Etienne Smith

Etienne Smith

Etienne Smith est chercheur en science politique à l'Université Columbia  et ancien enseignant à Sciences Po-Paris.

Il est l'auteur de L'Afrique: histoire et défis (Ellipses, 2009)

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Atlantico : L'opposition à Abdoulaye Wade lance un appel contre une nouvelle candidature de sa part à la prochaine élection présidentielle. Peut-il pour autant renoncer à être candidat à sa propre succession ?

Etienne Smith : Rien n'indique pour l'instant qu'il ait renoncé à se présenter pour un troisième mandat. Rien ne l'en empêche évidemment, mais ce n'est pas dans son tempérament. L'entêtement est le syndrome courant des chefs d'État anciens opposants historiques : une fois parvenus au pouvoir après tant d'années d'épreuves et d'attente, et malgré des signes objectifs d'usure du pouvoir (accrus dans son cas par son grand âge, 86 ans officiellement), ils ont le sentiment d'être dans leur bon droit permanent, comme si le peuple, en les élisant, leur avait signé un chèque en blanc. Son égo hypertrophié, qu'ont constaté ceux qui le fréquentent, ne plaide pas en ce sens non plus.

Et puis n'est-il pas au fond prisonnier - il s'est lui-même mis dans cette situation - des ambitions prêtées à son fils ? Celles-ci entrent de plus en plus en contradiction avec l'intérêt véritable de Wade au regard de la postérité, qui est de sortir par la grande porte en quittant pacifiquement le pouvoir au terme de son mandat, en organisant des élections transparentes et en n'intervenant pas dans le choix de son successeur. Son fils en revanche a besoin de rester aux affaires - y compris en passant des alliances - pour faire prospérer ses commerces, et seule la perspective de tout perdre s'il s'entête à vouloir jouer un rôle politique peut éventuellement le faire renoncer à ses projets.

Si Wade renonce à un troisième mandat,  il restera dans l'histoire comme le président de la transition démocratique au Sénégal, de concert avec son prédécesseur Abdou Diouf qui a reconnu dignement sa défaite en 2000. Deux exemple de pays voisins s'offrent à lui : l'option peu reluisante de Mamadou Tanja, ancien président du Niger qui s'est entêté à réformer la constitution et à se représenter et que l'armée a finalement chassé du pouvoir pour organiser des élections libres ; ou bien l'option Ahmadou Toumani Touré du Mali, qui a annoncé qu'il ne se représentait pas en 2012 au terme de son deuxième mandat. Si Wade , qui est devenu président grâce à des élections transparentes, ne parvient pas à organiser des élections consensuelles, il ne sera alors plus le président de la transition mais de la régression démocratique, et l'alternance de 2000 restera comme une gigantesque erreur de casting. Risquer le chaos dans le pays pour défendre les intérêts de son fils ou d'un successeur imposé laissera à la postérité l'image de celui qui avait toutes les cartes en main pour une consolidation démocratique du Sénégal mais qui portera la lourde responsabilité de l'avoir fait dérailler.

Le 23 juin a bel et bien marqué un tournant. Le rapport de force est désormais à l'avantage de l'opposition qui a repris confiance en elle et du peuple qui a montré qu'il refuse une élection au rabais. Pour sécuriser une élection, tout se joue en amont. Le jour du vote, il est trop tard pour dénoncer les conditions du scrutin. En attirant l'attention des médias du monde entier, qui ne s'intéressent en général qu'au jour de l'élection, l'opposition a donc marqué un point déterminant. Ironie de l'histoire, Wade, en excès de confiance, a compromis ses chances en voulant passer en force. Galvanisés par ce succès, les revendications montent d'un cran. Pour l'opposition et la société civile, le projet de réforme est définitivement enterré et les appels à renoncer à sa candidature qui ont déjà été lancés (le dernier en date est celui de Youssou Ndour) vont se multiplier. Fait nouveau, de nombreuses voix s'élèvent désormais pour réclamer le départ de Karim Wade du gouvernement.

Le prochain véritable test sera l'examen de la recevabilité ou non de la candidature de Wade devant le Conseil constitutionnel, annoncé pour septembre. Wade se montrait serein sur cette question, car le président du Conseil constitutionnel est un proche. Mais, suite à ces événements, la pression sur le Conseil constitutionnel s'est soudainement accrue. Ses membres mesurent désormais bien ce que leur décision aura comme portée historique et comme conséquences possibles sur la stabilité du pays. Personne n'a oublié qu'en 1993 le vice-président du Conseil constitutionnel d'alors avait payé de sa vie la validation d'élections contestées par un certain...  Abdoulaye Wade.

Il reste que les opposants du 23 juin préconisent des stratégies différentes : certains jeunes et hommes politiques ne cachent pas leur envie d'aller jusqu'au palais présidentiel déloger Abdoulaye Wade voire d'initier un « été africain » prenant le relais du « printemps arabe », alors que les présidentiables tenteront sans doute de récupérer le mouvement en vue de la présidentielle et se contenteront du retrait de la candidature de Wade qui finirait son mandat en déléguant l'organisation des élections à une structure neutre. Et l'opposition, parmi laquelle aucune figure consensuelle n'a encore émergée, devra faire les preuves de sa capacité à transformer cet essai dans les urnes.

(Épisode 3/3)
Épisode 1 : Sénégal : Wade et "les travers  d'une gouvernance improvisée"
Épisode 2 : "L'opposition sénégalaise a gagné la bataille de la rue

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