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Hébron : Abraham et Ibrahim sont dans un bateau...
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Zone franche

500 lecteurs littéraux de la Bible, retranchés sur six pâtés de maisons au milieu d'une ville de 200 000 habitants plutôt lecteurs du Coran. Bienvenue à Hébron, Cisjordanie.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Si votre idée des « colonies », ces implantations israéliennes illégales en territoire palestinien, c'est la plantation agricole modèle « France latifundiaire en Algérie », le compound juif d'Hébron est assez hors-norme.

Remarquez, il tend à être hors-norme pour tout le monde, droite israélienne comprise. C'est que ce complexe abritant, sur cinq ou six pâtés de maisons, quelque 500 personnes réparties en 90 familles, c'est un peu, toutes choses égales par ailleurs, un « Gaza juif » . Une enclave de fanatiques guidés par Dieu et totalement indifférents à toutes ces balivernes que sont le droit international et le nécessaire compromis menant à la paix.

De fait, discuter avec David Wilder, le porte-parole de cette communauté, c'est un peu comme essayer de débattre avec un gauchiste français : hors du dogme, point de salut. Pour autant, le gauchiste français est plus facile à localiser puisqu'il suffit de prendre le métro place de Ménilmontant le dimanche matin pour tomber sur sa pile de tracts. Le fanatique hébronite, en revanche, lorsque l'on débarque d'un petit bus venu de Ramallah dans la grande ville cisjordanienne (200 000 habitants), on met un peu plus de temps à le dénicher.

« Excusez moi, savez-vous où se trouve la colonie juive ? », je demande en anglais à quiconque veut bien prendre cinq minutes pour me renseigner, convaincu qu'elle est au centre des préoccupations de tous ces gens qui vaquent paisiblement à leurs affaires mais n'en pensent certainement pas moins.

Las, les gens en question se grattent la tête, prennent un air surpris et répondent généralement : « Des juifs ? Ici ? Ah non, je ne vois pas… Tiens, demandez donc à la banque, ils savent peut-être… » La banque ? Ah, cliché, quand tu nous tiens ! Mais bon, pourquoi pas, entrons donc dans cette agence de la Saudi Bank, vérifier si l'on peut nous pointer dans la bonne direction :

« Des juifs ici, à Hébron ? Hum, je suis de Naplouse alors je ne connais pas vraiment le coin… »

Zut alors ! Qu'est ce que c’est que ce cirque ? En France, n'importe quel lecteur du Monde Diplomatique est parfaitement au courant de l'existence de cette enclave quand tous ces Palestiniens sont totalement infoutus de m'en indiquer l'adresse ! On se moque du monde ou quoi ?

Bon, la vérité, c'est que la réputation internationale des colons de Hébron est un peu surfaite, même si leur héros Baruch Goldstein avait une manière assez sanglante d'imposer ses arguments. Et si je finis par tomber sur eux, trois poulbots rencontrés sur le marché de la vieille ville jouant les éclaireurs, je constate qu'ils semblent avoir autant d'importance locale qu'un groupe de moonistes qui se serait établi en banlieue de Rennes.

Protégés par un bataillon de conscrits israéliens aux allures de gamins de douze ans, FM trop grand en bandoulière, visage insuffisamment traité au Biactol, les colons de Hébron sont l'incongruité des incongruités. « Nous sommes pourtant là où nous devons être par obligation biblique, martèle David Wilder lorsqu'il accepte enfin de me recevoir après m'avoir fait poireauter deux heures près de la balançoire des enfants. Hébron, c'est là où se trouve le tombeau d'Abraham, c'est la cité des Patriarches. C'est le cœur de la Judée biblique… »

Dont acte. Pour cet homme de 56 ans, qui n'est pourtant pas un rabbin mais bien un politique, Israël, ce n'est pas un petit pays limité à la fameuse ligne verte des Nations-Unies et des plans de paix successifs, mais « le royaume davidien de l'Ancien Testament » ― avec des gros morceaux de Sinaï, de Jordanie et de Syrie dedans.

Un Hamas parlant hébreu, on vous dit.

N'être soutenu que par une frange d'extrémistes à la Knesset ou dans « la rue juive » ne lui fait pourtant ni chaud ni froid. Wilder n'a pas besoin de soutien populaire puisqu'il a celui du Créateur, ce qui n'est tout de même pas rien. Américain d'origine (la majorité des fanatiques juifs que l'on rencontre en Cisjordanie sont des Américains, renforcés par une minorité de Français), il n'a pas grand chose en commun avec ces jeunes israéliens de Tel Aviv de plus en plus nombreux à se faire réformer pour éviter d'aller lui servir de chiens de garde et prêts à se débarrasser de la Cisjordanie dès demain matin. (« Tout ce qu'ils veulent, se marre Khaled Abou Toameh, un « Arabe israélien » journaliste au Jerusalem Post et spécialiste de la question israélo-palestinienne, c'est qu'on leur laisse la plage, la fac et l'aéroport ! »).

« Je ne crois pas aux processus de paix, assure David Wilder lorsqu'il quitte le terrain biblique pour celui de la géostratégie. Israël est sorti de Gaza mais n'y a rien gagné à part des roquettes. Si les implantations de Cisjordanie étaient évacuées, ce serait la même chose. Donc, même si cette idée était acceptable, elle n'aurait aucun sens pratique ».

Miroir des musulmans radicaux qui affirment qu'il n' y avait même pas de juifs à Jérusalem dans l'Antiquité, il refuse jusqu'au concept d'un « peuple palestinien » : « Il y bien les descendants des Philistins qui habitaient encore dans cette partie de l'empire ottoman ou de la Palestine du mandat britannique mais il n'y pas de peuple palestinien ».

« Et d'ailleurs, précise-t-il histoire de me convaincre que les Philistins sont vraiment des Grecs de chez Grec débarqués par la mer 400 ans avant notre ère, 2500 ans de présence continue ne donnant pas de droits spécifiques, Philistins signifie « gens venus de la mer ». Des étrangers, quoi… ».

De ceux qui vivent dans l'enclave, il est difficile de dire grand chose : des types au look de juifs pratiquants, des mères de famille qui bavardent en surveillant les gosses qui s'amusent dans un mini-square, des ados qui jouent au foot devant la synagogue... Wilder vient d'ailleurs m'empêcher de discuter avec une jeune femme sympa qui pourrait me lâcher des conneries en contradiction avec le dogme (ce qu'elle fait, mais je ne veux pas lui causer d'ennuis avec le boss alors je garde ça pour moi). Un semblant de vie normale dans un mouchoir de poche dont on ne sort pas, sauf en empruntant la route sécurisée qui mène à Kiryat Arba, la « vraie colonie » qui jouxte Hébron ― elle-même reliée à la frontière israélo-palestinienne. Un semblant de vie normale, mais totalement absurde pour quiconque ne croit pas que Dieu exige que l'on s’installe dans une prison avant d'en exiger la souveraineté auprès de ses geôliers involontaires*[1].

« C'est assez claustrophobique, comme endroit. Vous n'avez même pas la place d'aller courir le matin », je lâche en sportif spécialiste de la remarque mal à propos.

― Euh… pas du tout, répond un Wilder au ventre rebondi qui n'a pas l'air d'aller jogger très souvent lui-même. Il y a des gens qui font de l'exercice parmi nous…

Pas facile, en fait, d'être dans les chaussures des colons de Hébron même si ce sont des chaussures de jogging. Les Palestiniens les détestent, les colons qui aimeraient bien bénéficier d'un éventuel échange de territoires pour être intégrés à Israël les détestent, les Israéliens de gauche qui veulent la paix les détestent, les Israéliens de droite qui veulent bien faire deux Etats en virant les Arabe-Israéliens de chez eux les détestent, les juifs ultrareligieux de Jérusalem qui pensent qu'Israël ne renaitra qu'avec l'arrivée du Messie les détestent… Le soutien divin c'est important mais, parfois, on doit se sentir un peu seul tout de même.

« Et que ferez-vous si les choses avancent vraiment dans le sens que vous craignez, entre cette Cisjordanie qui se développe sous l'Autorité palestinienne, l'évolution inexorable du Likoud vers l'acceptation du retrait, les évolutions démographiques distinctes entre juifs et arabes dans la région ? » demande-t-on.

― Ca n'arrivera pas. D'abord, les Arabes ne veulent pas de la paix même si les Israéliens la proposent. Et ensuite, la démographie ne joue pas dans le sens des Arabes. Dans quelques années, les Etats-Unis seront devenus un califat et l'Europe sera totalement musulmane. Tous les juifs américains ou européens viendront alors vivre ici…
― Ah bon ? C'est dans la Bible, cette prophétie ? Dans quel chapitre ?
― Je connais beaucoup de gens en Europe et je vois ce qui s'y passe. Je vois aussi ce qui se passe aux Etats-Unis et là, ce sont même les Arabes qui le prédisent…
― Bon, si vous le dites... Mais tout de même que ferez-vous si l'armée vient vous dégager un jour comme elle l'a fait avec les colons à Gaza parce que la paix est à ce prix, parce que tout le monde en Israël ne croit pas que vous prenez vos consignes chez le Tout-Puissant ?
― Ca n'arrivera pas !
― Mais tout de même, supposons que…
― Ca n'arrivera pas !
― …
― Ca n'arrivera pas !

Le pire, c'est que là-dessus, il est d'accord avec le Hamas bien sûr, mais aussi avec les pessimistes qui n'arrivent pas à saisir que, au final, même avec un Netanyahou Premier ministre, même avec Liebermann ― le Le Pen de Jérusalem ― au ministère des Affaires étrangères, le consensus implicite israélien en est déjà au coup d'après : terriblement centré sur ce qui se passe dans l'Iran d'Ahmadinejad ou dans le Liban du Hezbollah, mais beaucoup moins sur l'émergence ― largement entérinée ― d'un Etat palestinien souverain.

S'en fout, Wilder. Il a la Bible.                    

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Abraham, Ibrahim, grosse fatigue…

Le 25 février  1994, Baruch Goldstein, un médecin américain installé dix ans plus tôt en Israël et ayant par la suite intégré la colonie de Kiryat Arba près de Hébron, débarque avec un fusil mitrailleur à la mosquée du tombeau d'Abraham, tue 29 personnes et en blesse 150.

Militant du Kach, un parti ultra-religieux désigné comme « raciste » par la Haute Cour de justice et interdit d’élections, Goldstein reste une sorte d’icône pour les colons qui visitaient sa tombe jusqu’à ce que la Cour suprême ordonne qu’elle soit passée au bulldozer. Il reste populaire parmi les colons de Hébron, qui parlent de son « sacrifice » puisqu'il est mort lors de son attaque.

En août dernier, le Hamas a revendiqué l'assassinat de quatre Israéliens circulant entre Hébron et Kiryat Arba, dans le cadre d'une série d'actions de protestation contre la présence juive dans un lieu saint musulman, le tombeau d'Abraham étant également celui d'Ibrahim – comme de juste.

Les bouddhistes, de leur côté, ne semblent rien revendiquer dans la région mais c'est sans doute par manque d'information.



[1]* Si l'implantation proprement-dite est de taille très réduite, l'armée israélienne contrôle et patrouille la zone baptisée H2 pour Hébron 2, où résident 30 000 Palestiniens. Le s plus proches voisins des bâtiments de la colonie se plaignent fréquemment de l'agressivité des colons.

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