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Le coming out radical (de gauche) 
de Chirac
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Vieillesse indigne

Et on reparle de lui depuis la sortie du deuxième tome de ses Mémoires et son " humour corrézien " à propos de son envie de voter François Hollande en 2012. Jacques Chirac est de centre-gauche. L'ex-chef d'Etat témoigne de son respect pour des hommes politiques de gauche, tel Hubert Védrine.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Avec le deuxième tome de ses Mémoires, Jacques Chirac vient de faire son étonnant coming out  : non, il n’est pas l’homme de droite que l’on croyait, non il n’est pas le libéral impénitent qui menait l’opposition au socialiste Mitterrand. Il est en réalité un radical de gauche bon teint, un comme on ne les fait plus, un comme on les aime bien. Dommage que le livre soit rédigé en collaboration avec Jean-Luc Barré, dont on sent la patine discrète pour gommer les effusions trop personnelles et trop sincères dans un style parfois un peu trop administratif ou concis.

« L’erreur commise par les libéraux »[1]

En une expression laconique, Jacques Chirac a tout dit : il ne se sent pas libéral ! Il se range même parmi « tous ceux qui (…) croient au rôle fondamental de l’Etat dans l’organisation de l’économie.[2]» Le propos ne manque pas de piquant si l’on pense que le mouvement politique habituel consiste plutôt à glisser insensiblement de la gauche vers la droite. Le parcours de pas mal d’éléphants du PS en témoigne. Dans le cas de Jacques Chirac, c’est le mouvement inverse qui se produit.

Ce n’est pas qu’il soit un adepte de l’économie administrée. Il est plutôt à la recherche des grands équilibres. Un mélange très centre-gauche de volontarisme public et de bride lâchée à l’esprit d’entreprise. Et toujours pointe l’idée que l’Etat doit protéger les plus faibles, en contradiction surprenante avec les discours de la droite d’aujourd’hui.

Sur ces points, les passages du livre sur la construction européenne et le multilatéralisme des grandes puissances, mais aussi sur « la mise en place d’un système de solidarité mondiale, une sorte de sécurité sociale universelle»[3], ne manquent pas d’intérêt. Ils ont le mérite de montrer comment la véritable cohérence de la politique étrangère française depuis 30 ans se niche dans l’idée qu’il faut réguler la sphère financière et éviter les débordements spéculatifs, beaucoup plus que dans une vision géopolitique.

Amitiés bruyantes, haines silencieuses

Les amitiés et les haines du docteur Chirac, comme l’appelait Arafat, nous donnent un autre bel indice de son enracinement profond dans la vision radicale.

Le livre commence par une évocation de François Mitterrand, pour qui Chirac ne cache pas une vraie estime. Il révèle même lui avoir téléphoné pour lui donner des nouvelles des canards nichés dans le parc de l’Elysée! Et, au fil de la lecture, les amitiés de gauche s’accumulent. Le témoignage de respect envers Hubert Védrine est d’ailleurs assez touchant.

Côté haine, le livre vaut autant par ses silences que par ses mots. Personne ne sera surpris des passages concernant Nicolas Sarkozy. Le silence sur Balladur en dit plus long encore. Fillon apparaît dans les mêmes pointillés. Mais le lecteur ne doit pas manquer les discrets et très aiguisés passages sur Giscard, que Chirac ne manque jamais de mettre en boîte ou d’inférioriser.

Plus d’amis à gauche qu’à droite, au fond, et surtout cet inimitable rapport affectif aux gens, cette conception de la politique comme théâtre de notables qui s’affrontent, se toisent et topent comme des maquignons sur un marché corrézien. Le passage sur Arafat[4] vaut ici son pesant de cacahuètes.

La politique comme art de la table

Le plus radical socialiste en Chirac réside probablement dans la culture du banquet, dans le recours à la ripaille comme mode de règlement des conflits. Ainsi, après un sommet de Nice où ses rapports avec Schröder fraîchement élu se révèlent houleux, Chirac demande à Védrine comment faire pour retrouver la voie du dialogue, lequel suggère un « rendez-vous régulier (…) toujours dans un bon restaurant.»[5] Et Chirac propose alors à Schröder des rencontres fréquentes dans une auberge alsacienne « qui s’avéreront d’une grande utilité face aux enjeux les plus cruciaux de ce début de millénaire.»[6]

C’est par un dîner à Bity que Chirac explique sa bonne entente avec Jiang Zemin, en 1999. Ou encore par un déjeuner par hasard sur l’île Maurice avec Jacques Kerchache qu’il explique son désir de créer le musée des Arts Premiers.

Bien manger pour bien gouverner… Chirac, en 1995, appelle même les parents d’Alain Juppé pour leur dire « Alain ne mange pas assez, il est vraiment trop maigre ! » [7]. On retrouve ici la verve et la chaleur de celui qui se permettait tant de privautés avec des vaches sans défense au Salon de l’Agriculture.

Ses Mémoires peuvent bien chercher à nous donner le change sur une présidence active, déterminée et efficace, dont peu de Français ont gardé le souvenir, c’est ce Chirac-là qui nous restera. Un gars sympa, les pieds sur le terroir, fidèle à ses amitiés comme à ses inimitiés, qui fait une bonne bouffe pour rétablir la paix des ménages. On comprend mieux l’affaire de ses frais de bouche à la mairie de Paris… C’était simplement l’expression du radical-socialisme chiraquien.



[1] Page 145

[2] idem

[3] Page 498

[4] Pages 166-167

[5] Page 311

[6] Page 312

[7] Page 194

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