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Affaire des concombres : « l'Allemagne est l'arroseur arrosé »
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Désunion européenne

L'Espagne vient de réclamer à l'Allemagne un dédommagement suite à l'accusation à tort de ses producteurs de fruits et légumes. Un nouveau différend qui intervient dans un contexte de recrudescence des conflits entre Etats-membres de l'UE, symptômes d'un malaise profond de la solidarité européenne.

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : L'Espagne pourra-t-elle obtenir un « dédommagement à 100% » de la part de Berlin, comme elle le demande?

Guillaume Klossa : Il faut d'abord souligner qu'il y a un véritable préjudice : si l'Allemagne avait consulté préalablement l'Espagne et qu'il y avait eu une vraie discussion entre États, Madrid aurait été beaucoup moins fondée à formuler cette réclamation.

Mais cette réclamation reste une posture du gouvernement espagnol, car il y a peu de chances qu'elle aboutisse. Le gouvernement allemand n'a pas de fonds de dotation spécifique pour ce type de crise : il faudrait donc faire voter par le Parlement allemand une aide exceptionnelle à l'Espagne. Cela me paraît difficile, car cela créerait un précédent européen problématique, qui pourrait concerner d'autres sujets.

Au niveau de l'UE, il n'y a pas non plus de modalités de règlement simples. La solution, c'est plus de coopération, plus de solidarité et plus d'éthique de responsabilité de la part des dirigeants européens. Il serait utile de créer un fonds communautaire pour faire face à ce type de problème.

Ce qui est intéressant, c'est que l'Allemagne est aujourd'hui l'arroseur arrosé : elle a aujourd'hui besoin de la solidarité communautaire, alors qu'elle l'a remise en question sur d'autres sujets en parlant d'inconséquence de certains États-membres. Utiliser un État-membre comme bouc-émissaire sur un sujet aussi sensible peut vous revenir à la figure par une sorte d'effet domino. Cela doit donc amener à la plus grande prudence des opinions publiques et des dirigeants européens.

Le différend entre l'Espagne et l'Allemagne est-il le symptôme d'un malaise européen ?

Oui, car il y a de plus en plus de décisions nationales ayant un impact économique, politique, sanitaire ou social fort dans un autre État de l'Union sans que l'Etat à l'initiative de la décision ne consulte au préalable et de manière coopérative des différents États potentiellement impactés.Le principe de toute décision responsable, c'est d'évaluer l'impact des décisions qui sont prises. Or, autant dans l'affaire dite du concombre espagnol que dans la décision unilatérale de l'Allemagne de sortir du nucléaire ou qu'en matière de questions migratoires, cela n'a pas été le cas. Ce type d'affaire se multiplie ces derniers mois et pose plus généralement la question de l'éthique de responsabilité des leaders européens.

On voit un mouvement populiste qui se développe depuis une dizaine d'années, élection après élection, dans tous les États-membres. Avec un impact certain : les partis populistes pèsent sur les décisions des partis modérés et sur le comportement de leurs responsables, ce qui se traduit par une surréactivité par rapport à l'opinion et des prises de décisions souvent hâtives, sans vérifier l'exactitude des faits, ni mesurer l'impact des décisions dans le terrain économique et social des autres États-membres ou les déséquilibres qu'elles peuvent créer.

Il est possible que cela soit lié à une perte du sentiment européen des grands leaders, de la mémoire collective des raisons qui ont forgé la construction européenne. Je pense qu'il s'agit surtout d'une grande difficulté à concilier intérêts national et européen, à conjuguer le court, le moyen et le long terme et à s'adapter à la société des peurs dans laquelle nous sommes en train d'entrer.

Les institutions européennes ne peuvent-elles pas pallier ce déficit de volonté politique ?

La Commission ne peut jouer son rôle de vigie et de médiateur que si elle est informée à temps et qu'elle est en mesure de s'appuyer sur des experts compétents et qui lui soit propre. Or, elle dispose de moins en moins de ce type d'expertise en raison du lobbying fait par certains États-membres pour réduire à propos la capacité d'expertise propre sous prétexte de bonnes pratiques financières. Il faut rompre le cercle vicieux qui vise à réduire la capacité d'expertise de la commission et renforcer le devoir d'alerte des États-membres auprès des institutions.

Par ailleurs, pour toutes les questions politiques à dimension continentale (environnement, énergie, santé), il faut un vrai renforcement des compétences communautaires, en termes d'information, de gestion de crise et de définition de règles européennes communes.

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