Garde à vue : la Cour de cassation ne doit pas prendre la place du législateur<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance séance législative et de l'exécutrice" écrivait Montesquieu en 1747.
"Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance séance législative et de l'exécutrice" écrivait Montesquieu en 1747.
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Justice

Les décisions de la Cour de Cassation sur le régime de la garde à vue ont précipité la réforme adoptée en avril par les députés. Symptôme d'un retour en force du pouvoir du juge sur le législateur ?

P. P.

P. P.

Maître de conférences en droit à Sciences Po Paris et sympathisant de la majorité présidentielle, P.P écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

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On oublie trop souvent que lorsque Montesquieu théorise la séparation des pouvoirs d’après la Constitution d’Angleterre, il craint particulièrement "la puissance de juger, si terrible parmi les hommes". Il écrivait en 1747 qu’ "il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance séance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire, car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur".

Les arrêts de la Cour de cassation du 15 avril et du 31 mai 2011 relatifs au régime de la garde à vue peuvent nous rappeler ce dilemme.

Garde à vue : une réforme nécessaire

Que les éléments du débat soient clairs. Il ne s’agit point ici de critiquer la nécessaire réforme de la garde à vue. Alors que, par sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel avait donné jusqu’au 1er juillet 2011 au législateur pour mettre le régime de la garde à vue en conformité avec la Constitution, la loi a été promulguée le 15 avril dernier. Députés et sénateurs ont fait en sorte que la réforme soit adoptée plusieurs mois avant le délai prescrit. Afin de permettre à la police et à la gendarmerie d’organiser au mieux cette révolution le législateur avait souhaité que le texte n’entre en vigueur que le 1er juin.

Difficile donc d’invoquer ici la figure d’un Parlement liberticide. Pourtant, la Cour de cassation a jugé opportun de rendre un premier arrêt le 15 avril déclarant que les anciennes dispositions du Code pénal, qui ne devaient encore être appliquées que six semaines, étaient contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, et que dès lors, elles étaient inapplicables à partir de cette date. Chacun jugera de l’apport de cette décision pour les libertés fondamentales. Le Gouvernement a alors mis en œuvre des moyens juridiquement fragiles pour sécuriser ce délai de six semaines.

Pourtant, la Cour de cassation a jugé qu’il était nécessaire d’aller plus loin. Le 31 mai, elle a précisé que cette invalidité frappait de nombreuses gardes à vue impliquées dans les procédures encore en cours. Difficile de ne pas voir dans cette séquence la volonté de s’opposer frontalement à la loi votée par les élus, responsables devant les citoyens.

Séparation des pouvoir législatif et judiciaire

Comme Tocqueville nous le rappelle, ce n’est pas la première fois que la question des rapports entre justice et pouvoir politique se pose en ces termes. Instruits par le conservatisme des juges de l’Ancien Régime, les révolutionnaires se sont empressés de mettre en place plusieurs instruments pour encadrer le pouvoir des juges. On peut citer les jurys citoyens, le référé législatif qui faisait obligation au juge de saisir le législateur en cas d’incertitude sur l’interprétation d’une loi, et enfin et surtout l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 prévoyant que  « les tribunaux ne pourront prendre directement, ou indirectement, aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou retarder l’exécution des décrets du corps législatif […] à peine de forfaiture ».

Le rétablissement d’un tel dispositif pourrait être jugé excessif. Particulièrement si l’on tient compte que l’essentiel des difficultés tient au fait que les arrêts ici en cause sont fondés sur des traités internationaux dont les formulations très générales donnent un large pouvoir d’interprétation au juge sans que les États ne puissent réellement rectifier leurs décisions.

Dès lors, suivant l’exemple de Montesquieu, peut-être est-ce la peine de se tourner à nouveau vers le Royaume-Uni où est né l’Habeas Corpus.

Afin de respecter la Convention Européenne des Droits de l’Homme tout en préservant le respect du à la loi, le Parlement britannique a adopté le Human Right Act de 1998. Si un juge considère qu’une disposition législative est incompatible avec la Convention européenne, il ne peut qu’inviter le Gouvernement et le Parlement à tirer les conséquences de cette inconventionnalité. Le gouvernement peut soit saisir le Parlement d’un projet de loi ordinaire, soit recourir procéder par les équivalents de nos ordonnances.

Considérant que le Conseil constitutionnel joue désormais un rôle premier dans la protection des libertés individuelles et que la Cour européenne des droits de l’homme sera toujours susceptible de sanctionner les abstentions du législateur français, ce système pourrait permettre d’éviter que de telles situations se reproduisent et de préserver en somme l’équilibre des pouvoirs entre l’intérêt général porté par la loi et les droits fondamentaux protégés par les juges.


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