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Le "concombre tueur" 
est-il vraiment espagnol ?
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Crise sanitaire

Le « concombre tueur » fait les gros titres. La bactérie Eceh fait des ravages dans le nord de l’Allemagne. Le bacille mortel déclenche une vaste épidémie sanitaire, une crise alimentaire et une catastrophe économique pour la filière fruits et légumes espagnole pointée du doigt dès les premières heures de la crise. A tort ou à raison ? On le saura, mais trop tard : le mal est fait.

Nathalie Hutter-Lardeau

Nathalie Hutter-Lardeau

Nathalie Hutter-Lardeau est nutritionniste diplômée d'Etat, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. 

Parmi ses livres figurent notamment La True Food aux Editions du Moment,  dans lequel elle explique comment déguster ses produits préférés en toute lucidité, 101 restos, 0 kilo, coécrit avec Nathalie Helal et Catherine Roig (Hachette, mars 2013), Mince Alors ! (Odile Jacob, Juin 2011), Des mots sur les maux du cancer  (Mango, 2009) avec le Professeur David Khayat et Wendy Bouchard, et  Le vrai régime anti-cancer  (Odile Jacob, 2010) avec le Professeur David Khayat et France Carp.

Elle a fondé en 2000 l'agence conseil en nutrition Evidence Santé, qui travaille avec l'Agence nationale de sécurité alimentaire sur la sécurité alimentaire, et le plan national nutrition santé, ainsi qu'avec plusieurs entreprises du secteur agro-alimentaire.

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La crise est foudroyante et européenne. Le bacille Eceh tue chaque jour en Allemagne depuis une semaine. Chaque jour, on dénombre les victimes. Les hôpitaux allemands sont débordés de malades atteints de diarrhées hémorragiques, d’atteintes rénales sévères qui peuvent aller jusqu’à un syndrome hémolityque et urémique (SHU) potentiellement mortel.

Quelques voyageurs, de retour d’Allemagne, sont atteints : 4 en France, 25 en Suède, 7 au Danemark, 3 en Grande-Bretagne, 2 en Autriche et 1 aux Pays-Bas. Personne ne s’est étonné qu’aucun cas ne soit signalé en Espagne qui a très vite tenu dans ce scénario le rôle d’accusée, clouée au pilori, soudain rayée de la carte des producteurs européens de fruits et légumes frais.

L’expansion de la crise

Le bacille est formidablement contagieux, mortel, et la crise qu’il provoque aussi. La transparence des filières de l’industrie agro-alimentaire, la traçabilité des approvisionnements et des lots auraient permis d’identifier un coupable en un temps record : le concombre espagnol. Peut-être un peu trop vite. Aux dernières nouvelles, il n’est plus certain que le concombre soit le vecteur. Or, le monde contemporain est très bien armé pour relayer une alerte alimentaire et y parer. Même à tort et à travers. Dans le doute, le consommateur s’abstient. A juste titre.

Du producteur au distributeur en passant par le transporteur, chacun est conscient que le risque zéro n’existe pas et cherche à s’en prémunir. Car la crise alimentaire et sanitaire, même passagère, devient très vite une crise économique durable et délétère pour la filière.

La gestion de la crise

Une crise ne peut être bien gérée que lorsqu’elle a été bien anticipée. En France, des procédures de contrôle, d’analyse et de suivi sont mises en place en amont par des agences spécialisées comme celle que je dirige, pour prévoir, se prémunir et gérer la crise avant qu’elle ne se déclenche. Le plus souvent, le risque potentiel est identifié au cours des processus mis en place, et le lot retiré avant sa commercialisation. La crise n’a pas lieu.

Quand il passe au travers, le produit contaminé est tracé jusqu’au consommateur prévenu par les distributeurs et les médias des numéros de lots suspects à ne pas consommer et à rapporter au magasin contre remboursement. Des numéros verts d’information sont activés, avec des équipes médicales mobilisées au bout du fil pour répondre aux clients inquiets, ne pas les laisser seuls face au doute, les rassurer, les conseiller et les orienter le cas échéant vers le service hospitalier le plus proche. Mais la crise du « concombre tueur » a été galopante et dévastatrice, sans nul doute révélatrice à terme d’une faille importante dans les processus de contrôles de produits à laquelle il faudra remédier de toute urgence. Que le concombre soit définitivement incriminé ou non.

Le cru qui tue

L’E. coli est le cauchemar de ceux qui travaillent le cru. Il suffit de quelques bacilles pour contaminer un lot. Mains mal lavées, décontamination insuffisante de l’eau d’arrosage ou de lavage, contamination croisée pendant le conditionnement ou le transport... les scénarios sont innombrables. Il est très rare qu’ils concernent les légumes. Quant à l’épidémie liée à cette contamination, elle a pris des dimensions jamais vues.

Nul doute que le mystère des « concombres tueurs » sera élucidé. En réalité, la contamination peut avoir eu lieu à n’importe quel moment entre la cueillette de ces concombres en Espagne et leur arrivée sur les étals allemands. Le producteur espagnol peut très bien sortir blanchi de cette tragédie. On risque même de découvrir que la contamination vient d’ailleurs. Mais le mal est fait : il y a eu des morts, beaucoup de morts. Faute d’une gestion de crise offensive dès les premières heures et d’une communication efficace, la filière espagnole est morte, elle aussi, et pour un bon moment. Le reste ne sera que colmatage d’une brèche déjà fatale.

Le principe de précaution a parfaitement relayé l’alerte, interrompu la distribution des concombres et autres légumes espagnols d’un bout à l’autre de l’Europe et jusqu’en Russie, élargi la suspiscion aux tomates et aux laitues. A tout ce que nous mangeons cru. Désormais nous savons que même un produit étiqueté bio ne peut être sûr à 100 %.

Les leçons de la crise

Dans toute l’Europe, les consommateurs traumatisés par la nouvelle ont brusquement cessé de consommer non seulement des concombres, d’Espagne ou d’ailleurs, mais plus généralement diminué leur consommation de fruits et de légumes crus. Une méfiance dont ils auront du mal à se débarrasser, y compris quand l’information se fera plus rassurante ou innocentera le désastreusement fameux concombre espagnol.

Face au nombre incroyable de morts et de malades soi-disant dûs au « concombre tueur », espagnol ou non, on peut augurer qu’aucune filière de primeurs européenne ne sortira indemne de cette terrible crise. Les causes devront être identifiées, les conséquences tirées et d’autres procédures, encore plus exigeantes instaurées, elles aussi, à l’échelle européenne, y compris en termes de communication et de gestion de crise, afin que plus jamais une double catastrophe sanitaire et économique d’une telle ampleur ne se reproduise.

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