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Pirates des Caraibes, l'archétype de la machine hollywoodienne.
Pirates des Caraibes, l'archétype de la machine hollywoodienne.
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Cinéma et mondialisation

La sortie du 4e épisode de Pirates des caraïbes est davantage un succès à l'étranger qu'aux États-Unis. Hollywood doit donc s'adapter face à la mondialisation. Mais comment faire ?

Laurent de Sutter

Laurent de Sutter

Laurent de Sutter est écrivain et éditeur. 

Passionné de cinéma, il dirige la collection "Perspectives Critiques" aux Presses Universitaires de France. Il vient de publier Théorie du trou aux éditions Léo Scheer. 

 

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Atlantico : Comment Hollywood s'adapte à la mondialisation ?

Laurent de Sutter : J’ai un aveu à faire : je n’ai jamais rien compris au concept de mondialisation. Dans mon esprit, « mondialisation » signifie la découverte de l’existence d’un monde – la découverte du fait que nous existons dans un monde. A l’évidence, c’est une découverte qui ne date pas d’hier, raison pour laquelle je me demande quelle nouveauté on prétend aujourd’hui désigner par ce mot.

Même s’il s’agit de dire que nous partageons tous désormais le même monde, alors qu’auparavant nous existions dans des mondes divers et séparés, je crois qu’il n’y a là rien de neuf. Comme l’a expliqué Peter Sloterdijk dans Le palais de cristal, depuis que l’on s’est rendu compte – disons : aux alentours de 1500 – que la Terre est une sphère, il n’est plus personne pour douter que le monde est un. Du reste, Hollywood lui-même n’a jamais fait autre chose qu’acter cette unicité séculaire du monde : en s’adressant à l’Amérique, Hollywood s’est en fait toujours adressé au monde entier. Disons juste que ce que révèle le débat entourant le succès mondial de Pirates of the Carribean 4 n’est au fond qu’une mise en doute, par l’Amérique elle-même, de son propre pouvoir à faire rêver le monde. Plutôt que l’affirmation d’une nouvelle puissance mondiale, j’aurais donc tendance à considérer cette mise en doute comme la prise de conscience soudaine du provincialisme immémorial de l’industrie américaine du cinéma.

Mais, en vérité, cette prise de conscience ne change rien à la mondialisation du cinéma : elle ne fait qu’affirmer sur un mode mineur ce qui avait jusqu’alors été trompetté sur un mode majeur. Car, comme l’a récemment rappelé Slavoj Zizek, il n’y a d’universalité possible que pour autant qu’existe une singularité pour la soutenir. Autrement dit : le cinéma hollywoodien ne peut être mondial que pour autant qu’il ne cesse jamais d’affirmer son ancrage américain – c’est-à-dire qu’il ne cesse jamais de considérer tout spectateur potentiel comme un spectateur Américain. Ce serait le seul danger que je verrais dans l’affirmation excessive du provincialisme d’Hollywood : le renoncement à l’universalité du rêve que son cinéma a toujours porté – le renoncement à ce « monde qui s’accorde avec nos désirs » dont parlait, en grinçant un peu des dents, Jean-Luc Godard.

Est-ce seulement un business ou cette adaptation touche-t-elle directement au contenu des films ?

Dans le cinéma, business et contenu ne sont qu’une seule et même chose. Cela faisait enrager Theodor Adorno, qui trouvait bon de stigmatiser Hollywood au nom d’une idée hautement purifiée de la culture. Mais c’était oublier que, des premiers aèdes aux grands maîtres de la musique moderne, l’art n’a jamais cessé d’être production.

Par conséquent, la prétendue provincialisation de Hollywood concerne toutes les dimensions du cinéma qui y est produit – des idées aux images, des stars aux histoires, et de la réalisation à la promotion. Je veux dire par là que, s’il y a provincialisation, cette provincialisation est elle-même le résultat d’une production : c’est une provincialisation voulue. Il y a, à Hollywood, des executives qui ont trouvé bon de renforcer la connexion entre le cinéma qui y est produit et les spectateurs qui le consomment – dès lors que ces derniers, désormais, peuvent être autres qu’Américains. Voilà tout. Je dois toutefois dire que, dans le cas de Pirates of the Carribean 4, qui, bien que moins remarquable que le chef-d’œuvre qu’était le troisième épisode, est un excellent film, je ne vois cette renonciation à l’œuvre nulle part. J’en déduis qu’il n’est pas impossible (du moins, c’est ce que j’espère) que Hollywood ne fasse au fond que faire semblant de céder au provincialisme absolu.

La bonne nouvelle de Pirates of the Carribean 4 ressemble à celles qu’appelait de ses vœux Fernando Pessoa : surtout, que rien ne change – malgré toutes les simagrées publicitaires prétendant l’inverse. Johnny Depp reste Jack Sparrow, Geoffrey Rush reste Barbossa, et le Black Pearl, même coulé, reste le Black Pearl : le reste n’est que variation de détails sur un canevas que l’on peut faire remonter, par exemple, au fabuleux Black Pirate (1926) de Albert Parker avec Douglas Fairbanks. Et c’est très bien ainsi.

D'une façon plus générale, la mondialisation a-t-elle élargi le spectre du cinéma proposé ?

Je ne crois pas – parce que je crois que le spectre en question a toujours été infini. Dans nos pays, on aime à se plaindre sur le peu d’exposition internationale de nos cinémas. C’est absolument faux. La réalité est beaucoup plus prosaïque : ce que l’on regrette, c’est que notre cinéma ne marche pas aussi bien que celui de Hollywood.

C’est notre provincialisme à nous : nous aimerions que nos nombrils fassent figure d’axis mundi à l’ère du capitalisme tardif – et nous enrageons de voir qu’ils comptent si peu. C’est-à-dire que nous enrageons de voir que notre bon goût d’esthètes surcultivés n’est pas celui de tous – et donc que tout le monde ne rêve pas comme nous. En vérité, les geignements qui entourent la disparité de succès entre le cinéma hollywoodien et le nôtre tiennent surtout à un narcissisme blessé. Nous détestons Hollywood de réaliser ce que nous n’osons pas oser réaliser – mais que nous ne cessons pas, pour autant, de fantasmer. Cette foi négative en la toute-puissance de Hollywood n’a cependant pas d’autre fondement que notre incapacité à inventer de nouvelles formes de puissance.

La toute-puissance de Hollywood n’est telle que parce que nous continuons à nous mesurer d’après l’étalon que son cinéma a choisi de se donner. Le cinéma populaire de Hong-Kong, par exemple, avait choisi d’en passer par d’autres formes de puissance – de même, par exemples, que le cinéma de série italien, ou le romanpurruno japonais. Que notre cinéma populaire soit incapable d’affronter ce qui lui apparaît comme un ridicule (le ridicule du fauché, du sentimental ou du branlant) est ainsi une incapacité de pauvre – un de ces pauvres aigris que l’on trouve dans les pièces de Jean Anouilh. Ce n’est pas le cinéma hollywoodien qui élargit ou restreint le spectre des films disponibles dans les salles : c’est nous. C’est le consentement pleurnichard à notre propre impuissance – et rien d’autre.

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