Et maintenant le gouvernement veut sortir 650 000 contribuables de l'impôt... ces réformes qu'il aurait pu faire pour ne pas avoir à les augmenter de 30 milliards depuis 2012<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls et le président de la Cour des comptes Didier Migaud.
Manuel Valls  et le président de la Cour des comptes Didier Migaud.
©Reuters

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"Il y a à peu près 650 000 ménages qui sont rentrés dans l'impôt et qui doivent en sortir", a déclaré Manuel Valls ce dimanche 11 mai sur le plateau du 20h de TF1, estimant qu'il était temps d'arrêter les hausses d'impôts afin notamment d'éviter la débâcle annoncée des élections européennes. Pourtant d'autres réformes, préconisées notamment par la Cour des comptes, auraient pu lui éviter de les augmenter de 30 milliards depuis 2012.

Atlantico : "Trop d'impôt tue l'impôt" a déclaré Manuel Valls sur Tf1. Le gouvernement propose donc de procéder en partie à une baisse de la fiscalité, qui depuis 2012 a augmenté de 30 milliards, en rendant non-imposables 650 000 contribuables. Plus de 500 millions d'euros devraient être consacrés à cette mesure (voir ici). Est-ce à la hauteur de l'enjeu ? Qui sont ces contribuables, et de combien cela réduira-t-il les impôts ?

Philippe Crevel : En 2013, environ 840 000 foyers fiscaux supplémentaires ont été assujettis au titre de l’impôt à acquitter au titre des revenus de 2012 qui s'ajoutent aux 930 000 supplémentaires de 2012 pour l’impôt sur le revenu de 2011. Pour mémoire, la France compte près de 36 millions de foyers fiscaux, seulement 18,94 millions ont été imposés à l’impôt sur le revenu.

L’impôt sur le revenu a connu une forte croissance ces quatre dernières années. Cette année, il devait, avant les annonces de Manuel Valls rapporté 81 milliards d’euros contre 50 milliards d’euros en 2011. De 2013 à 2014, il doit enregistrer une hausse de 8 % au moment même où les revenus des ménages stagnent. Il faut souligner que sur les autres grands impôts comme la TVA et l’impôt sur les sociétés ont eu tendance à stagner ces trois dernières années. La progression s’explique par l’intégration au barème de l’impôt sur le revenu des produits de l’épargne (livrets bancaires, produits des titres financiers non logés dans un PEA et assurance-vie…). Elle s’explique aussi par la diminution du plafond du quotient familial, par le plafonnement des niches fiscales, par la création d’une tranche à 45 % et par le gel du barème.

Manuel Valls annonce au JT de TF1 que 650 000 redevables de l’impôt sur le revenu seront exonérés. Evidemment, cela n’effacera pas les hausses intervenues depuis 2011. La mesure concernera essentiellement les contribuables qui ont franchi le montant de la première tranche et qui en plus d’être imposables à l’IR ont été, de facto, contraints de payer des impôts locaux.

Pour parvenir à son objectif, le Premier ministre pourra jouer sur la décote qui permet de sortir du barème les contribuables les plus modestes ou créer un nouveau crédit d’impôt. Il pourrait, mais cela serait beaucoup plus coûteux car cela s’appliquerait à tous les contribuables, relever les seuils des premières tranches du barème de l’IR.

Gilles Saint-Paul : Le gouvernement a promis des baisses de charges supplémentaires aux entreprises dans le cadre du "pacte de compétitivité", et il s’est engagé auprès de la commission de Bruxelles à ramener le déficit au-dessous de 3 % du PIB. Compte tenu des 50 milliards d’économie prévus, dont je doute qu’ils soient effectivement réalisés, cela ne laisse pratiquement aucune marge de manœuvre pour réduire les autres impôts. L’enjeu quantitatif de cette soi-disant baisse d’impôts est faible, un milliard au maximum. La manœuvre est avant tout électorale. Ce n’est pas un hasard si environ 50 % des contribuables ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu. Ceux-là vivent dans l’illusion qu’ils sont bénéficiaires nets du système social, car ce seront toujours les autres qui financeront les avantages supplémentaires qu’on leur promet. Bien entendu il n’en est rien, car ces contribuables payent des impôts substantiels sous la forme de TVA, TIPP, CSG et autres cotisations salariales. Mais ces impôts sont prélevés automatiquement et donc moins douloureux. Les hausses d’impôts de ces deux dernières années ont été coûteuses électoralement pour le PS parce que de nombreux ménages qui s’imaginaient à l’abri de l’IR sont soudain devenus imposables. Le gouvernement essaye de restaurer son électorat en remettant ceux-ci dans la (fausse) catégorie des non-imposables. Bien entendu, compte tenu de l’absence de marge de manœuvre fiscale, il faudra augmenter les impôts des autres. Cette baisse d’impôt est donc dans l’ensemble mensongère ; il s’agit de restaurer une coalition politique qui s’était délitée et à laquelle on fait miroiter de pouvoir vivre plus ou moins confortablement avec l’argent des autres, c’est-à-dire des classes moyennes.

Eric Verhaeghe : La mesure proposée par Manuel Valls ne devrait pas porter sur plus de 1,5 milliard d'euros, et même probablement moins. Elle est donc extrêmement symbolique. On en comprend tous intuitivement le sens : les élections européennes approchent, le PS s'attend à une nouvelle débâcle, et la dissolution devient une menace forte. La cartouche du remaniement ministériel est tirée et il ne reste plus beaucoup d'options pour réagir à une déculottée. L'annonce d'une mesure pour les 650 000 foyers devenus imposables à cause des décisions du précédent gouvernement est donc une manœuvre au fond assez classique à l'approche d'un scrutin. Là où Manuel Valls trouve probablement ses limites, c'est qu'il n'a pas forcément mesuré que l'opinion ne se laisse plus berner par ce genre de techniques. Les Français savent qu'il faut passer une sorte de Cap Horn collectif dans le domaine des dépenses publiques, et ce n'est pas une distribution de rhum à la chiourme avant la tempête qui va rassurer. Rappelons d'ailleurs que les contribuables ont parfois un rapport plus compliqué qu'on ne croit à l'impôt. Le message qui est ici envoyé, et qui fut envoyé en son temps par Jean-Marc Ayrault, est celui d'une sorte de mépris pour l'impôt direct. Quand on se souvient des grandes leçons de morale données par le PS sur les vertus de l'imposition directe, et sur la perfidie de l'imposition indirecte, au moment où Nicolas Sarkozy voulait créer la TVA sociale, on reste perplexe. Comment stigmatiser ceux qui pratiquent l'évasion fiscale quand on proclame officiellement son intention de réglementer pour sortir de l'impôt certaines catégories de population ? Il me semble que les messages passés sont très flous.

Quelles autres propositions ont été faites par le gouvernement dans cette optique ? Celles-ci sont-elles suffisantes ?

Eric Verhaeghe : Soyons clairs, une partie de bonneteau est en train de se jouer en ce moment, pour des raisons que l'on peut comprendre d'ailleurs. Officiellement, le déficit des finances publiques est en baisse. En réalité, les choses sont beaucoup plus mesurées. Par rapport à 2013, l'Etat, sur les trois premiers mois de l'année, a moins dépensé (environ 1 milliard de réductions de dépenses). Par rapport à 2012, la situation s'est détériorée : les dépenses ont augmenté de 1,5 milliard. Autrement dit, l'Etat est très loin de pouvoir tenir ses engagements de baisse des dépenses ne serait-ce que sur 15 milliards, qui est l'objectif minimal, puisque la tendance reste haussière. L'Etat ne diminuera donc pas les impôts, même si des opérations de prestidigitation feront croire le contraire. Pour ne rien vous cacher, je ne vois pas le lien direct entre les annonces officielles et la réalité des chiffres. On peut même dire que Manuel Valls se trouve aujourd'hui dans une impasse. Faute d'une vision sur ce que doit être l'Etat, il est condamné à poser des cautères sur des jambes de bois, qui ne pourront durer très longtemps. Sa seule alternative est d'entrer dans le vif des dépenses de sécurité sociale. Là encore, pour un gouvernement de gauche, la solution est mal aisée. 

Gilles Saint-Paul : Le vrai enjeu concerne les réductions de dépenses publiques censées financer le pacte de compétitivité. Les décisions qui ont été prises concernent le gel du point d’indice des fonctionnaires ainsi que le gel des retraites. Sur le plan comptable, ces mesures peuvent être efficaces parce qu’elles concernent une base très large. Sur le plan économique, elles ne libèrent aucune ressource pour accroître l’activité marchande. Il aurait été beaucoup plus courageux, et beaucoup plus efficace dans le long-terme, de réduire le nombre de fonctionnaires et d’accroître l’âge de la retraite au-delà de ce qui a déjà été fait. On ne peut que déplorer le nihilisme cynique qui consiste à accroître le nombre de fonctionnaires dans un premier temps (en embauchant dans l’éducation nationale et en revenant sur les politiques de non-remplacement des départs en retraite du gouvernement précédent), pour ensuite tous les appauvrir, qui plus est en jouant sur l’inflation, c’est-à-dire en les prenant pour des imbéciles. Tôt ou tard le gouvernement devra lâcher prise et consentir à un rattrapage salarial dans le secteur public, que ce soit sous la pression de la rue ou par simple calcul électoral. Les dépenses publiques remonteront alors à leur niveau record et tous les efforts consentis s’avèreront inutiles. En revanche, une réduction du nombre de fonctionnaires est souhaitable et aurait eu des effets durables sur la pression fiscale et la soutenabilité des finances publiques.

Philippe Crevel : Après la débâcle municipale et avant la difficile épreuve européenne, le gouvernement fait preuve d’initiatives sur le plan du pouvoir d’achat. Au moment de son investiture, le Premier ministre a promis d’augmenter les revenus des salariés se situant au niveau du SMIC d’environ 500 euros par an. Cette mesure qui doit s’appliquer en 2015 prendrait la forme d’un allégement de charges salariales. Au regard du grand jeu de bonneteau qui s’organise, il est de plus en plus difficile d’évaluer le bilan des exonérations et des majorations. Il n’en demeure pas moins que la France doit tenter autant que possible de repasser au-dessous des 3 % de PIB de déficit ce qui signifie que tout allégement accordé doit trouver sa compensation d’une manière ou d’une autre…

Plutôt que de procéder à ces réductions, comment aurait-on pu dès le départ éviter ces 30 milliards de pression fiscale supplémentaires ? Quelles préconisations de la Cour des comptes, ou autres organismes, l'auraient permis ?

Eric Verhaeghe : La Cour des comptes a régulièrement proposé des mesures structurelles qui suppose un véritable management des services et une rupture avec la logique courtisane. Par exemple, à l'Education nationale, la Cour a proposé de réviser de fond en comble la gestion des ressources humaines pour dégager des gains de productivité. Ce rapport est resté lettre morte, et on continue à afficher des recrutements pléthoriques sans se soucier de la qualité de la pédagogie. Incontestablement, l'Education est un gisement mal exploité aujourd'hui. On peut en dire autant de la santé. Marisol Touraine ne connaît que la réduction des remboursements comme solution pour baisser les dépenses. Mais la Commission Européenne vient de lancer une consultation sur le big data dans le domaine médical : elle considère que, dans les 5 ans, les ruptures technologiques permettraient de dégager 100 milliards d'économies dans les systèmes de santé européens tout en améliorant la qualité des soins. La France a, pour sa part, étouffé le sujet : les hauts fonctionnaires ne veulent pas de big data et le combattent férocement. C'est le principal sujet français : l'Etat est dirigé par des réactionnaires qui bloquent autant qu'ils le peuvent les ruptures technologiques qui menacent leur pouvoir.

Gilles Saint-Paul : Tout d’abord je me permets de rappeler que les Français ont voté en faveur de cette pression fiscale supplémentaire, puisqu’elle sert en grande partie à financer le programme électoral de François Hollande : embauches dans le secteur public, emplois d’avenir, non-réforme des retraites, etc. A cela s’ajoutent les déficits accumulés par le gouvernement précédent pendant la crise, qui résultaient à la fois d’un consensus "keynésien" sur les bienfaits du stimulus, et du fait que les gouvernements successifs n’ont jamais constitué une réserve pour mettre en œuvre ces politiques de stimulus, car ils étaient incapables de dégager un excédent budgétaire pendant les phases de croissance. Enfin la montée du vieillissement de la population implique une hausse tendancielle des dépenses liées à la maladie, aux retraites et à la dépendance. La pression fiscale exceptionnellement élevée est donc le prix à payer pour le "modèle social français", qui fait l’objet d’un consensus considérable.

Pour éviter ces impôts supplémentaires, il aurait donc fallu tout d’abord éviter de mettre les socialistes au pouvoir ; mais, plus fondamentalement, il faut remettre en cause le poids de l’Etat dans l’économie en passant au crible la totalité des dépenses et en effectuant des choix. Cela implique trois choses.

1. Résister aux lobbies. Si l’on réduit les dépenses de santé, on se heurte au lobby médical, si l’on réduit le budget du ministère de la Culture, on encourt les foudres du milieu du spectacle ; et quant aux subventions à la presse, on imagine bien la campagne de propagande massive à laquelle se heurterait l’homme politique qui tenterait d’y toucher. On voit par ces exemples combien il est plus facile de mettre en place des politiques « diffuses » comme baisser le salaire des fonctionnaires : le fait que le nombre de perdants soit bien plus élevé, permet de réduire les pertes encourues par chacun d’entre eux, en diluant les économies sur une population plus grande. Et il est plus compliqué pour un groupe social vaste et hétérogène de s’organiser collectivement que pour un groupe restreint et aux intérêts bien identifiables, comme les éleveurs, les intermittents, ou les chauffeurs de taxis.

2. S’inscrire dans la durée. Cela signifie énoncer des principes clairs sur le champ d’intervention de l’Etat et éliminer ce qui sort de ce champ. Et pour le reste, évaluer les coûts et les bénéfices de l’intervention publique et mettre en œuvre des mesures visant à réaliser des gains de productivité.

3. Construire une réforme légitime en évitant de donner l’impression que ce sont "toujours les mêmes qui trinquent". Par exemple, il est plus facile de privatiser la poste, ou de réduire le nombre d’enseignants ou de fonctionnaires grâce aux technologies de l’information ou en supprimant des doublons, si par ailleurs on divise par deux le nombre de députés ou si on réduit le nombre d’ambassades, ou encore le train de vie de l’Elysée.

Je ne crois pas qu’on puisse interpréter les récents retournements de politique économique comme un prélude à une telle remise à plat. Le gouvernement réagit aux signaux alarmistes que lui envoie le MEDEF et aux sondages, tout en essayant de ménager la commission de Bruxelles. Il s’attaque à la fiscalité sous la pression des circonstances, et nul ne doute que son fardeau s’aggravera à nouveau lorsque les circonstances le permettront.

Philippe Crevel : Bizarrement l’Etat n’est pas le responsable réel de l’augmentation des prélèvements. En effet, le poids fiscal de l’Etat a tendance à diminuer depuis 10 ans. Il est passé de 20 à 14 % du PIB d’où l’augmentation de son déficit. Si l’Etat a connu une telle contraction de ses recettes directes, c’est qu’il est le garant en dernier ressort des finances sociales et des finances locales. L’Etat est amené à compenser les exonérations de charges sociales qui se sont multipliées ces dernières années. Il a été amené à supporter une part croissante des budgets locaux en compensant les exonérations dont bénéficient de nombreux contribuables locaux, en transférant des impôts au profit des collectivités locales et en maintenant un haut niveau de dotations.

Les exonérations de charges sociales qui ont commencé à prendre de l’ampleur avec les 35 heures représentent plus de 30 milliards d’euros compensées à 90 % par l’Etat. Or, François Hollande a décidé d’accroître les exonérations ce qui posera encore une fois la question des compensations. Il a été réclamé à maintes reprises de revoir l’ensemble du système des cotisations qui aujourd’hui est illisible et comporte d’importants effets de seuil. Il faudrait sans nul doute instituer un système avec abattement à la base en supprimant toutes les exonérations ciblées. Il faudrait, à la clef, évidemment aborder l’épineux dossier des 35 heures… Les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales représentent près de 100,3 milliards d’euros en 2013. Ces transferts comprennent les concours de l’État aux collectivités territoriales (61,38 Md€), les dégrèvements d’impôts locaux et les subventions spécifiques versées par les ministères (11,41 Md€), et la fiscalité transférée (27,46 Md€).

Dans le plan Valls, il est prévu de réduire de 11 milliards d’euros les dépenses locales. Il faudrait rendre plus responsable les collectivités locales et appliquer le principe de l’autonomie fiscale. Pour éviter une montée des inégalités entre collectivités, un système de péréquation interrégionale pourrait être imaginé. Le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite rapporte peu dans les premières années, entre 200 et 300 millions d’euros, mais a un effet cumulatif sur plusieurs années. Pour réduire le champ des dépenses publiques, une reprise des privatisations pourrait être envisagée. Le secteur audiovisuel pourrait être réduit. De même, il conviendrait de revoir la politique du logement qui cumule le double défaut d’être inefficace et très coûteuse.

Parmi les dépenses sacralisées et intouchables, il y celles de l’Education nationale. La France consacre beaucoup d’argent pour l’enseignement secondaire mais peu pour l’enseignement supérieur. Le système est antisocial car il favoriser les enfants des catégories supérieures. Le niveau de formation des élèves a tendance à baisser à en croire le rapport Pisa de l’OCDE. Il faudrait aider plus les familles, les enfants avec des chèques scolaires laissant le libre choix tout en récompensant ceux qui suivent les meilleures formations. Mais, ce sujet est plus que miné et toute interrogation est déjà une déclaration de guerre.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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