Européennes : les étranges (non) sujets de campagne électorale du PS<!-- --> | Atlantico.fr
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Europe
François Hollande affirme que l’Europe évite aux Français la "guerre commerciale" et la "guerre monétaire".
François Hollande affirme que l’Europe évite aux Français la "guerre commerciale" et la "guerre monétaire".
©Reuters

Cache-misère

Le jeudi 8 mai, François Hollande est entré dans la campagne des Européennes à travers les colonnes du journal Le Monde. Il y décrit sa vision de l'Europe et met en garde contre ses détracteurs eurosceptiques, appellant les Français à voter pour une "Europe de la volonté". Très peu d'annonces, seulement un rappel à tout un chacun de son devoir de citoyen. Pendant ce temps-là, Manuel Valls fait miroiter des baisses d'impôts.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : François Hollande, dans sa tribune publiée dans les colonnes du Monde (voir ici), dessine les contours d'une "Europe de la volonté" mais présente l'Union essentiellement par la négative, expliquant ce qu'elle évite à ses citoyens – la guerre territoriale, commerciale, monétaire, le repli national - davantage que ce qu'elle pourrait leur apporter. Quel projet européen François Hollande propose-t-il réellement ?

Christophe Bouillaud : Il me semble qu’il reste sur le projet classique des socialistes européens depuis les années 1980 : l’approfondissement de l’intégration européenne devrait permettre de retrouver des marges de manœuvre pour mener une politique de progrès social désormais considérée comme impossible dans un seul pays comme la France. C’est le classique "pacte faustien", pour reprendre le terme de deux jeunes collègues, des socialistes avec l’Europe : ils lui vendent leur âme dans l’espoir d’un salut terrestre à venir. Or, pour l’instant, difficile de ne pas remarquer qu’au mieux, le progrès social annoncé avance très, très lentement du côté européen, et continue à s’avérer impossible au niveau national. Ainsi, c’est assez fascinant de voir François Hollande affirmer que l’Europe évite aux Français la "guerre commerciale" et la "guerre monétaire" : en effet, l’Union européenne actuelle organise en son sein une permanente concurrence entre les entreprises pour l’accès aux marchés. Les Français échappent à la "guerre commerciale", mais ils n’échappent pas à la recherche de la "compétitivité" destinée à faire pièce à nos concurrents européens. Idem pour la "guerre monétaire" : elle n’existe certes plus au sein de la zone Euro, elle y a été remplacée par la "dévaluation interne" (baisse des salaires et des prix pour regagner de la compétitivité face aux concurrents de la zone Euro), mais qui nierait qu’il n’existe pas toujours un rapport de force international autour du niveau des grandes monnaies qui circulent dans le monde ? L’existence de l’Euro n’a pas empêché que les Etats-Unis, ou depuis peu le Japon, aient utilisé la dévaluation de leur monnaie pour relancer leurs exportations et leur économie.

Manuel Valls, invité du 20h de TF1 dimanche 11 mai s'est exprimé sur l'importance du scrutin européen sans pour autant dessiner l'Europe de demain. Au contraire, il en a profité pour annoncer la baisse des prix du gaz et vouloir sortir 650 000 Français de l'impôt. Dans quelle mesure les enjeux nationaux font-ils office de cache misère ? Comment sont-ils utilisés pour masquer l'incapacité de l'exécutif à dessiner l'Europe de demain ?

Est-il si étonnant que Manuel Valls, qui est (encore ?) populaire selon les sondages, aille parler dans un journal télévisé de grande écoute, destiné à un public populaire, et aille promettre des choses concrètes liées à la vie quotidienne, plutôt que d’aller y faire des digressions techniques sur l’avenir institutionnel de l’Union européenne et sur les grands enjeux politiques européens pour les cinq prochaines années ? A en juger par tous les sondages disponibles, l’Union européenne n’est guère appréciée dans les milieux populaires, inutile donc d’aller trop loin dans les détails du fonctionnement de cette dernière, pour ramener à soi l’électorat. La baisse du prix du gaz et celle de l’impôt sur le revenu pour les contribuables modestes, ce sont deux mesures simples et compréhensibles, qui sont censées montrer que le Parti socialiste se préoccupe malgré tout toujours de la part la plus fragile de la population. C’est là un typique cadeau préélectoral. Cela n’aura sans doute guère d’effet sur les électeurs, qui ne se décident pas sur de telles considérations ponctuelles. Cette entrée en scène de Manuel Valls et ces petits avantages qu’il annonce montre surtout que les dirigeants de la majorité présidentielle commencent à avoir peur d’une lourde défaite aux Européennes pour le PS. Il est vrai que tout ce qu’on peut savoir depuis 1979 sur la logique d’une élection européenne indique qu’un parti au pouvoir dans un tel contexte ne peut avoir qu’un mauvais score. A ceci, s’ajoute le poids des nouvelles dissidences du PS : quel sera l’impact de "Nouvelle Donne" dans l’électorat naturel du PS ? De la liste des "Féministes pour l’Europe" ?

François Hollande et Manuel Valls ont tous deux estimé que "sortir de l'Europe, c'est sortir de l'Histoire".  N'y a-t-il pas d'autres leviers que l'argument d'une sortie de l'Histoire pour convaincre des citoyens sceptiques ?  Quels sont-ils ? 

L’argument de la "sortie de l’Histoire" me parait un peu bizarre : en fait, aucun pays ne sortira jamais de l’histoire universelle ! Plus sérieusement, la crainte d’une perte de puissance de la part de la France et de l’Europe que nos gouvernants agitent ainsi revient à adopter les thèses déclinistes bien connues. Le "crépuscule de l’Occident" est annoncé depuis au moins la fin de la Grande Guerre. Au lieu de reprendre ce thème plutôt éculé, il vaudrait peut-être mieux souligner les apports concrets que l’intégration européenne peut dans l’avenir apporter aux citoyens. Il est vrai que l’Union européenne vient de faire depuis 2010, avec la crise des dettes souveraines, la démonstration exactement inverse ! Il est tout de même difficile avec des taux de chômage aussi élevés dans certains pays, dont la France, de promettre monts et merveilles pour l’avenir.

A l’issue de la rencontre entre François Hollande et Angela Merkel les 9 et 10 mai derniers en Allemagne, aucune déclaration n'a été faite. Autrefois considéré comme le moteur de l'Europe, que peut-on aujourd'hui encore attendre du couple franco-allemand en matière d'avancées européennes ?

Il me semble que la rencontre en elle-même était la déclaration ! En effet, à la veille d’une élection européenne, un dirigeant français socialiste et une dirigeante allemande conservatrice affichent leur bonne entente – au moment même où, en principe, la campagne pour la tête de la Commission européenne entre leurs partis européens respectifs (PPE et PSE) devrait battre son plein. C’est en quelque sorte officialiser par avance la poursuite après le 25 mai 2014 de la "grande coalition" qui gouverne l’Union européenne depuis toujours. Cela indique qu’on va continuer à petits pas ce qui a été entrepris depuis 2010 (renforcement de la zone Euro, convergence économique accrue), qu’il n’y aura pas de changement notable contrairement à ce que s’efforce de faire croire la communication électorale du PS au même moment, et qu’en tout état de cause, il est hors de question que François Hollande s’oppose frontalement à Angela Merkel. En ce sens, l’UE continuera de fonctionner au "franco-allemand" sans que l’on sache ce qui peut sortir d’un tel couple aussi déséquilibré : l’opinion publique allemande est plutôt satisfaite aujourd’hui, on ne peut pas en dire autant de l’opinion publique française.

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