La grande farce de la modération salariale ou l'aveu du patronat français de son renoncement à la croissance <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pierre Gattaz estime que les hausses de salaires ne devraient pas être plus rapides que l'inflation.
Pierre Gattaz estime que les hausses de salaires ne devraient pas être plus rapides que l'inflation.
©Reuters

Abandon de postes

Dans une interview accordée au Journal du dimanche ce 11 mai, Pierre Gattaz a réitéré sa volonté de mettre en place sa vision de la modération salariale. Cette fois, le président du Medef a déclaré que les augmentations de salaires devraient se limiter à l'inflation, donc autour de 1%. Une déclaration qui a le goût d'un aveu de faiblesse et de résignation face au manque de croissance.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Dans le JDD de ce dimanche 11 mai, Pierre Gattaz estime que les hausses de salaires ne devraient pas être plus rapides que l'inflation, ou "juste un peu au-dessus. (...) Actuellement, les prix progressent de moins de 1 % sur douze mois. Il ne faudrait donc pas trop s’éloigner de 1 %", précise-t-il. Pourquoi Pierre Gattaz propose-t-il une telle mesure ? Quel est l'objectif recherché ? La logique de l'austérité contraint-elle Pierre Gattaz à tenir ces propos ?

Nicolas Goetzmann : La logique de Pierre Gattaz découle d’un constat  simple : depuis l’entrée en crise, les marges des entreprises se sont affaissées alors que les salaires ont continué de progresser. Les taux de marges sont passées de 31.7% en 2007 à 28% aujourd’hui, alors que les salaires ont augmenté par exemple de 2.1% et 2.2% en nominal en 2011 et 2012. Le raisonnement repose donc sur l’idée qu’une modération des salaires permettrait aux entreprises de retrouver des niveaux de marge satisfaisants.

La logique de l’austérité est en effet parfaitement assumée, car il s’agit de maîtriser la progression des salaires, c’est-à-dire une logique de désinflation compétitive. Ce qui est destructeur ici est qu’il s’agit d’accepter la logique de croissance faible et d’adapter le pays à cette situation. Il me semble que cette proposition est l’emblème de la défaite de la pensée économique en France, et je n’accuse même pas Pierre Gattaz. Aux Etats Unis, la progression des salaires nominaux est devenue un objectif majeur. Le pays s’effraye de constater que le rythme de progression est trop faible car proche de 2%, et souhaite le voir progresser à un niveau proche de 4%.  Là où la France baisse la tête et accepte le déclin, les Etats Unis se redressent et se fixent des objectifs ambitieux. Il ne s’agit pas que de mentalité.

Ne s'agit-il pas finalement d'augmenter les marges des entreprises, au détriment des salariés ? Alors que le Medef vient d'obtenir le pacte de responsabilité, une telle requête est-elle politiquement opportune ?

On ne peut pas vraiment dire "au détriment des salariés". Mais on peut parler d’absurdité. Il y a un principe assez simple en économique qui est appelé "la rigidité des salaires", qui est plutôt un constat : les salaires ne s’adaptent pas très bien, et notamment à la baisse. Parce qu’un salarié n’est pas comme un pot de yaourt, lorsqu’on baisse son "prix", il y a une résistance. On ne peut pas toucher aux salaires si facilement que cela. On peut le regretter mais c’est simplement un fait, alors c’est le rôle des économistes de comprendre et de s’ajuster à cette réalité. Le problème n’est pas que les salaires progressent trop vite, mais justement que les entreprises ne vendent plus assez. Il reste à se poser la question de savoir si la croissance des ventes des entreprises va être soutenue avec des salaires "modérés". Avec une économie française dépendante à 70% de sa demande intérieure, cela me semble mal parti.

La requête peut être considérée comme opportune dans un principe de réalité. Si Pierre Gattaz estime que le débat économique européen est foutu, qu’il n’y a plus rien à faire pour que les dirigeants retrouvent la raison et qu’ils agissent sur la demande par la voie monétaire, alors en effet, il doit demander la modération salariale. C’est tout ce qui reste à faire dans un monde où on accepte la défaite de l’économie européenne, sur le long terme.

Le président du Medef parle en moyenne. Même s'il raisonne en global, son raisonnement n'entre-t-il pas en contradiction avec la liberté de choix des politiques salariales des entreprises ?

Pierre Gattaz ne me semble pas remettre en cause ce principe. Dans son interview, il fait bien référence à l’échelon de négociation : l’entreprise. Il souhaite simplement que les syndicats de salariés "ne poussent pas à la roue". Il ne s’agit pas d’interventionnisme, il s’agit réellement de tenter d’adapter la composante humaine de l’économie à la réalité de la croissance. Une belle mentalité de déclin. Il serait peut-être plus "porteur" de proposer des réformes de croissance plutôt que de tenter d’adapter la France au déclin. Parce que ce n’est pas une fatalité.

Dans un contexte mondialisé, n'est-ce pas une incitation à la fuite vers d'autres pays pour les salariés français ?

Pour ceux qui "profitent" de la mondialisation, une bonne partie d’entre eux n’a sans doute pas attendu Pierre Gattaz pour tenter l’expérience de l’étranger. La fiscalité française a déjà fait le travail. Ce qui est plus inquiétant, c’est de voir que le principal syndicat de "patrons" français s’engage dans une telle voie. Une telle mesure n’aura en réalité que peu d’effets sur les salariés qui peuvent être embauchés à l’étranger, et qui sont donc sur un marché porteur, et l’ensemble des salariés moyennement ou faiblement qualifiées qui prendront une telle "modération" de plein fouet.

Quels sont les pays qui ont adoptés ce modèle de modération salariale ? Quel bilan peut-on en faire ? 

L’Allemagne. Dans les années 2000, le pays s’est engagé dans cette voie, celle du passager clandestin de l’Europe. Chaque pays augmente ses salaires afin de distribuer la productivité aux salariés, sauf l’Allemagne. Le bilan est que l’Allemagne est plus compétitive "au détriment" de ses partenaires. Lorsque l’Espagne, la Grèce, l’Italie ou la France font la même chose, il s’enclenche une spirale généralisée de baisse. Ce qui se traduit par les pressions déflationnistes que l’on connait aujourd’hui en Europe. Alors, dans un monde de monnaie unique, soit on regarde l’Allemagne en se disant que c’est formidable, soit on regarde l’échelon européen et on voit une image différente.

Au Royaume Uni, les prévisions font état d’une croissance nominale de 3% pour cette année 2014, aux Etats Unis on vise 4%, et en France et en Europe on vise la stabilité. Pour des pays qui ont traversé une même crise, on peut apprécier les différentes réponses qui ont été apportés à cette crise. Le Royaume Uni et les Etats Unis auront une croissance proche voir supérieure de 3%, et nous aurons un bon 1% en Europe. Tout va bien.

Qu'est-ce qu'une telle proposition dénote comme vision de notre avenir économique ?

Le Déclin. Pierre Gattaz devrait être le premier sur le pont pour demander une révision de la politique monétaire européenne. Demander un plan de relance monétaire pour soutenir la demande, et même demander à ce que les salaires soient un objectif prioritaire de la BCE. Si les doctrines anglo-saxonnes étaient appliquées, les carnets de commande se rempliraient, et Pierre Gattaz pourrait se féliciter de voir les marges des entreprises progresser en même temps que les salaires. Il s’agit d’un cercle vertueux. Soit on se partage les miettes soit un tente de faire grandir le gâteau.


Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !