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Ukraine : quand la science-fiction décrit curieusement bien ce qui anime Vladimir Poutine
©REUTERS/Yannis Behrakis

La guerre du futur

Une réunion tripartite, comprenant l’Union européenne, la Russie et l'Ukraine se tiendra à Berlin ce lundi 19 mai. La Russie a fait savoir la semaine précédente qu’elle était prête à discuter du prix de son gaz avec l’Ukraine, si celle-ci paie une partie de ses dettes.

Valls Macron

Quentin Michaud

Quentin Michaud est journaliste spécialisé dans les questions de défense et de stratégie. Il a été formé à l'Ecole de guerre économique.

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Celui que certains appellent "l'éminence grise de Poutine", Vladislav Surkov, a publié un roman intitulé "Near Zero”, peu de temps avant le rattachement de la Crimée à la Russie, dans lequel il imagine les rapports de forces au sein des sociétés et entre les différentes puissances, après la "Cinquième guerre mondiale".

"Il s'agissait de la première guerre non-linéaire. Au cours des conflits  primitifs du 19e et du 20e siècle, il était assez courant de voir seulement deux camps s'affronter. Deux pays, deux blocs d'alliés. Maintenant, ce sont quatre coalitions qui se heurtent. Pas deux contre deux, ou trois contre un, non, tous contre tous." (voir ici)

Atlantico : Peut-on entendre dans ce texte tiré du roman Near Zero de Vladislav Surkov un écho à la perte d'influence de l'OTAN, et donc indirectement, de l'Union européenne ? La multipolarisation est-elle en marche, et Poutine l'a-t-il mieux compris que les autres ? Pourquoi ?

Quentin Michaud : Le multilatéralisme, tout le monde l'a compris depuis la fin de Guerre froide. La guerre des Balkans est passée par là et le déclenchement de la guerre globale contre le terrorisme, depuis le 11 septembre 2001, a achevé de convaincre les plus sceptiques. Sortant de ce traumatisme hérité de l'époque soviétique, la prise de conscience russe a été certainement plus longue qu'ailleurs. Mais ne perdons pas de vue les guerres que Vladimir Poutine a menées en Tchétchénie, en Ossétie et dans toutes les provinces indépendantistes du Caucase. Cette multipolarisation des conflits, le président russe n'est donc vraisemblablement pas le seul à l'avoir compris tant les tensions régionales ont de conséquences sur le plan international. La crise ukrainienne est un cas d'école à ce sujet. Je ne pense pas que ce document puisse représenter quelconque force ou faiblesse de l'OTAN et de l'Union Européenne. A mon sens, il ne faut pas y voir un plan de bataille pour étendre les frontières russes mais davantage une réflexion doctrinale sur ce que pourrait être le futur de la puissance militaire russe dans les décennies à venir. Etant donné la place de son auteur dans l'appareil étatique à Moscou, elle est bien sûr le reflet d'une volonté politique d'asseoir cette assise russe dans sa sphère d'influence régionale (Europe de l'Est, Caucase).

"Quelques provinces rejoignaient un camp, tandis que certaines se tournaient vers un autre. Une ville, une génération ou une catégorie de population pouvaient faire le choix de rejoindre encore un autre camp. Il n'était pas exclu que par la suite elles changent de camp, parfois au beau milieu de la bataille. Leurs objectifs n'étaient pas les mêmes, la plupart entendaient bien que la guerre n'était qu'une partie d'un plus grand processus, et non l'essentiel."

Ce futur imaginé dans un livre n'est-il pas déjà à l'œuvre dans l'est de l'Ukraine, avec le recours par la Russie à des groupes locaux qui prennent le contrôle de villes, puis organisent des référendums ? Cette stratégie a-t-elle été déjà observée  avant ?

Le parallèle est effectivement alléchant. Mais, encore une fois, y-a-t-il eu "bataille" en Ukraine ? J'entends par là une guerre ouverte entre deux groupes armés strictement identifiés. Jusqu'à présent, nous assistons surtout à des opérations de sabotage, de contre-influence et de désinformation. Mais nous retrouvons dans la logique énoncée un principe "diviser pour mieux régner" qui est évidemment la stratégie la plus efficace pour porter à ébullition les rivalités entre ukrainiens et russophones.

En Géorgie, le contexte était totalement différent. La Russie a fait œuvre de son hard power. En dix jours, les forces armées russes ont anéanti les forces géorgiennes avec des moyens de cyberguerre mis en œuvre pour la première fois de cette façon sur un champ de bataille. A la fin du mois d'août 2008, l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie étaient déclarées, la Russie prête à maintenir une présence militaire agressive pour protéger ses intérêts dans la région. On a donc assisté à une guerre ouverte entre deux armées qui a aboutie à une victoire russe sans conteste. Ce n'est absolument pas le schéma ukrainien observé jusqu'à aujourd'hui.

La stratégie "non linéaire" à la manière russe se retrouve-t-elle également dans la communication du Kremlin, qui ne repose plus comme avant sur les simples sympathisants de l'URSS ? Quels sont les leviers actionnés, et leur efficacité ?

Les russes ont toujours été de redoutables communicants mais avec leurs propres manières de faire. Il n'y a qu'à voir comment Vladimir Poutine soigne son image de Chef d'Etat à mi-chemin entre l'ancien espion et l'homme de réflexion. Vladimir Poutine a rangé derrière lui tout un panel de centres de réflexion et de grands groupes industriels dont les rangs sont encore nourris de personnages formés pendant l'ère soviétique. Ce soft power russe utilisé en Ukraine permet au président Vladimir Poutine de capitaliser sur le bilan positif tiré des JO de Sotchi, malgré une annexion en Crimée qui a mis juste après les évènements olympiques le feu au poudre. Depuis quelques semaines, plus personne ne parle de la Crimée, c'est une victoire en terme de communication pour la Russie.

On aurait pu penser que les interconnexions économiques et financières seraient d'une ampleur telle qu'elles rendraient impossible les mouvements de frontières comme on les voit en Ukraine. Comment se fait-il que Vladimir Poutine parvienne à passer outre cette réalité, et ainsi parvenir à son projet de grande Russie ?

Les interconnexions économiques et financières en Europe de l'Est démontrent surtout pourquoi la Russie n'a aucun intérêt à mener une guerre en Ukraine. Fermer durablement le robinet du gaz, pour quoi faire ? Pour le vendre à qui ? Gazprom doit poursuivre l'alimentation des gazoducs à destination de l'Europe occidentale et de la Turquie pour que Moscou continue à utiliser ce moyen de pression. Tout comme les Etats-Unis et l'Union Européenne édictent des sanctions économiques et financières ciblant des personnalités russes, même si ces sanctions ne peuvent remettre en cause des ventes d'armes comme la France qui s'apprête à livrer deux porte-hélicoptères à la marine russe. L'Ukraine n'est certainement qu'une étape, pas une finalité pour concrétiser la grande Russie, pour un président russe encore en fonction pour au moins deux ans.

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