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Si l'Union était vraiment une “Europe de la volonté” comme le souhaite François Hollande, quels en seraient ses chantiers prioritaires ?
©Reuters

Debout, vieille Europe...

François Hollande a indiqué dans une tribune publiée dans le journal Le Monde qu'il prônait une "Europe de la volonté". Au-delà des déclarations d'intention, il en ressort surtout l'impression que le président Hollande n'est ni porteur d'une grande ambition, ni motivé par des projets réalistes.

Atlantico : Dans sa tribune accordée au Monde, "L'Europe que je veux" (voir ici), François Hollande évoque sans la définir une "Europe de la volonté". À quoi ressemblerait cette Europe ?

Béatrice Mathieu : À la lecture de sa tribune, j’ai été très déçue par le manque de consistance et de fond. Je suis tout à fait d’accord avec lui lorsqu’il base le projet européen sur un projet de paix, mais il devient beaucoup trop vague par la suite. Il exprime le souhait d'une Europe de la croissance, d'une Europe qui protège, d'une Europe de la concurrence fiscale… En d’autres termes, d'une Europe fantasmée et qui ne reflète en rien la réalité. Notre croissance est des plus chétives et nous positionne parmi les zones économiques ayant les plus bas taux de croissance dans le monde. Concernant la protection, je me demande bien de quelle protection il parle, car nous ne bénéficions aujourd’hui d'aucune politique commerciale, à part celle qui consiste à respecter le sacro-saint libre échange. Non, je suis globalement assez déçue de sa tribune, et j'ai du mal à aborder la notion d'  « Europe de la volonté » qu'il évoque au regard de son action.

Une Europe de la volonté serait avant tout une Europe plus fédérale, une Europe mobilisée.

Le fédéralisme nous permettrait, par exemple, de restaurer efficacement la compétitivité des pays de la zone euro. Elle permettrait également de s’occuper davantage des problématiques actuelles et à venir comme la déflation, le chômage, la croissance, la redistribution des richesses par le biais de mesures sociales, ainsi que de nous faire avancer dans le secteur énergétique par exemple.

Guillaume Klossa, on a l’impression que, par les mots employés, François Hollande s’inspire directement de votre récent ouvrage, "Une jeunesse européenne". Quelle est cette "volonté européenne" ?

Guillaume Klossa : Dans "Une jeunesse européenne", je rappelle que la construction européenne de l’après-guerre est d’abord liée à la volonté de personnalités connues (Schuman, Monet, Adenauer…), mais aussi d’autres très nombreuses qui voulaient remettre l'Europe au coeur de l'Histoire alors même que les horreurs de la guerre avaient anéanti moralement et économiquement notre continent. Ces individus ont réussi à mobiliser leur pays pour mettre la paix et la prospérité mais aussi l'esprit de coopération et la dignité de la personne humaine au cœur de l’unité européenne. Puis un certain nombre de personnalités fortes, dont Giscard d’Estaing et le chancelier Schmidt, et leurs successeurs Mitterrand et Kohl, ont fait du volontarisme européen une des particularités de l’Europe des années 70 et 80, tant sur la plan économique, politique que démocratique : création d’un système monétaire européen, élection au suffrage universel du Parlement européen (1979), création il y a bientôt quarante ans du Conseil européen visant à donner aux chefs d’Etat et de gouvernement un rôle de leadership, et à partir de la fin fin 1980 la volonté d’unifier monétairement et géopolitiquement le continent, avec d’un côté la monnaie unique, et de l’autre l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale.

Finalement, l’histoire des 50 premières années de la communauté européenne, c’est avant tout un immense projet volontariste d’unification au niveau des valeurs, de l’économie et de la géographie.

Aujourd’hui nous sommes entrés dans une deuxième étape de la construction européenne, dans un monde qui a radicalement changé. La paix reste un élément central, bien entendu, mais ne peut plus être le seul moteur. Le statut de l’UE pose question aujourd’hui, car il vacille entre celui d' une « grande Suisse » qui se limiterait à un grand marché ( et qui ne bénéficierait même pas de ce qui fait la spécificité et la force de la Suisse, une démocratie très vivante et une vraie solidarité fédérale) et la possibilité d’une démocratie plurinationale qui soit véritablement une puissance économique, industrielle, géopolitique et culturelle à l’échelle du globe. La « volonté », c’est déterminer et mettre en oeuvre l'Europe que nous désirons pour le XXIe siècle, dans un monde animé par des dynamiques contientales et qui n’a plus rien à voir avec celui de l’après-guerre, encore dominé par l’Occident et le conflit est-ouest. L’objectif économique consistait à rattraper les Etats-Unis, atteint d'ailleurs, et l’objectif politique était guidé par le fait que les dirigeants européens avaient directement vécu la guerre. Les générations d’aujourd’hui n’ont pas vécu la guerre, et ont un rapport différent à l’histoire. Le monde est aujourd’hui multipolaire, la croissance européenne est à la traîne pour des raisons structurelles, qui sont le vieillissement et le déclin démographique d’un côté, et le déficit d’innovation qui était annoncé depuis la fin des années 90.

À quel niveau les mesures pour une Europe volontaire devraient-elles se situer ?

Guillaume Klossa :  Afin de rompre avec la dynamique de déclin lié à la faiblesse de notre potentiel de croissance, il faudrait avoir une approche plus ambitieuse et courageuse de ce que pourrait être une Europe de l’innovation, qui soit centrée sur quelques grands pôles d’excellence européens en matière de recherche fondamentale et d'innovation dans ce qu'on appelle les technologies clés d'avenir et qui soient en mesure d'attirer les meilleurs talents du monde. Alors qu'ils bénéficient d'une recherche fondamentale de premier plan, les Européens ont des difficultés à passer de la recherche fondamentale au développement appliqué, faute notamment de masse critique en matière d'investissements mais aussi de taille critique et d'une trop grande dispersion géographique de nos centres de recherche et enfin d'un manque de priorité. Il faut créer des conditions d’investissements européens pour que l’UE reprenne la main de l’innovation, ce qui passe à mon sens par une capacité d'endettement directe de l'Union européenne dès lors qu'il s'agit de financer des dépenses d'avenir. C’est en soi un projet économique et politique majeur, qui suppose également par la constitution d’un nombre limité - peut-être quatre ou cinq à l'échelle de l'Union - de pôles de recherche et d'innovation intégrés que l’on pourrait qualifier de Silicon Valleys à l’européenne. La contrepartie de cette limitation devant être une solidarité de nature fédérale dans le domaine budgétaire permettant de compenser les disparités de développement entre les régions bénéficiant de l'implantation de ces pôles de recherche et d'innovation et les autres.

Un autre chantier à forte dimension démocratique et sociale qui mériterait d’être ouvert est celui des droits et libertés. Une démocratie vivante, c'est une démocratie qui invente sans cesse de nouveaux droits et de nouvelles libertés. Les Européens n’ont eu de cesse d’en inventer de nouveaux depuis des siècles et aujourd'hui ils sont en panne de créativité; il faudrait savoir quels sont ces nouveaux droits et ces nouvelles libertés politiques, économiques et sociaux, dans une société en mutation. On pourrait par exemple créer un vrai droit à la mobilité de tous les jeunes européens, qui a en partie été amorcé par une décision du Conseil des ministres de l’Education et de la culture de novembre 2008 ; un droit à la transition professionnelle pour tous les Européens, financé par une réallocation des fonds structurels ; de nouveaux droits politiques comme par exemple un droit à la formation politique tout au long de la vie…

Si le président de la République française veut se faire le porteur de l'Europe « de la volonté et du progrès », que j'appelle de mes vœux dans une jeunesse européenne, il faut qu’il insuffle un nouveau souffle et n'hésite pas à être beaucoup plus créatif et audacieux dans ses propositions. Il faut aussi qu'il soit en mesure d'inspirer et de convaincre ses partenaires européens ainsi que nos concitoyens qui ont des doutes majeures concernant la capacité d'action et de progrès de l'Union européenne d'aujourd'hui.

Béatrice Mathieu : La compétitivité dans la zone euro pourrait être restaurée en repensant notre monnaie unique en ce sens, en lui laissant une plus grande marge de manœuvre. Il ne s’agit évidemment pas de revenir aux monnaies nationales comme nous le suggèrent certains partis politiques, mais seulement de la rendre apte à affronter le monde économique dans lequel nous sommes.

Cette mesure s’accompagnerait d’une révision du mandat de la BCE qui aujourd’hui s’occupe principalement de l’inflation tandis qu’aujourd’hui, nous devons plutôt affronter la menace de la déflation. Et nous voyons bien par les exemples dans le reste du monde qu’il s’agit là d’un problème beaucoup plus difficile et long à résoudre.

Il faut à mon avis également plaider pour un budget économique commun, qui inclurait une assurance chômage commune, et comme François Hollande le dit en parlant de "générosité entre les pays", un véritable système de redistribution qui serait également commun à tous les pays.

Sur les questions énergiques, problématique majeure des années à venir, il reste encore beaucoup de choses à faire, tant au niveau de la recherche que des infrastructures de réseaux de distribution. Toutes ces questions sont aujourd'hui laissées en friche par le président.

Qu'a proposé François Hollande, depuis son entrée à l’Élysée, qui irait dans le sens de cette vision? Ses projets ont-ils abouti ?

Guillaume Klossa : François Hollande a jusqu’à présent été dans le sens de la consolidation de ce qui existait et notamment des outils permettant de faire face à la crise financière et de prévenir de nouvelles crises. Il est d'ailleurs préférable qu’en cette période, où la tentation populiste est forte chez de nombreux dirigeants, qu'il se soit gardé de jeter de l’huile sur le feu. Il a agi avec responsabilité pour stabiliser les institutions monétaires et financières de l’UE, notamment en se mobilisant pour que l’Union bancaire devienne une réalité, et que la gouvernance économique de la zone euro s'approfondisse. C’est une étape importante car le processus de mise en place de l’euro était resté inachevé. L’Union monétaire avait été mise en place sans que ce soit le cas pour l’Union économique et politique de la zone euro. Depuis l’arrivée de François Hollande, la France a pesé de manière positive dans cette dynamique.

Les perspectives tracées par François Hollande sont en revanche compliquées, selon moi, notamment sur la question énergétique, avec la création d’un « airbus de l’énergie. » On le voit dans le cas Alstom, avec l’absence évidente de complémentarité entre deux entreprises, l’une française, l’autre allemande (Siemens).

Béatrice Mathieu : Il y a  un grand décalage entre ce qu'il a promis pendant sa campagne présidentielle et le constat de son action à ce jour. François Hollande plaidait pour une Europe de la croissance, il exprimait son désir de renégocier avec Bruxelles et l'Allemagne pour épargner l’Europe des politiques d’austérité, mais rien n’a été fait.

Même constat d’inaction du côté des chantiers stratégiques comme celui de la transition énergétique évoqué plus haut. L’Europe s’est construite autour de cet enjeu avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier, il s’agit d’un thème à la symbolique pourtant forte, mais non, aucun projet commun, ni présent, ni en perspective !

En réalité sa seule action se situe au niveau de la régulation financière, lorsqu’il s’est dépêché de faire voter une loi a minima plus souple que celle prévue par Bruxelles, ce qui a dû ravir le secteur bancaire. 

Non, je ne vois pas d’action palpable qui prouverait son engagement sincère pour une "Europe de la volonté", ni pour une quelconque autre volonté européenne.

Son principal défaut n'est-t-il pas de se reposer sur le passé en invoquant l'argument systématique des européistes sur le rôle de l'Europe pour la paix, sans proposer aucun projet pour l'avenir ?

Béatrice Mathieu : Il a raison de relancer l'idée de l'Europe en tant que garant de la paix. On voit bien avec les évènements en Ukraine que l'Europe a besoin d'un pôle de stabilité. Sauf qu'évidemment, ce n'est pas du tout suffisant.

Guillaume Klossa :Aujourd’hui tout le monde a conscience que l’Europe est nécessaire. Malgré les doutes des citoyens sur l’Europe telle qu’elle existe actuellement, il y a très clairement dans les sondages une volonté citoyenne d’avancer, d’avoir une vraie politique étrangère et de défense commune, et de garder l’euro; les Européens veulent une Europe qui marche et qui leur permette de garder la main sur leur destin. Ils veulent également choisir leurs dirigeants politiques européens. Cette volonté dont je parle est très majoritaire, mais pas suffisamment chez nos dirigeants, car elle requiert qu’ils acceptent de partager une souveraineté sur des domaines auxquels ils restent viscéralement attachés : la politique étrangère, la défense, ...alors que paradoxalement ils n’ont plus les moyens de les exercer au niveau national. Le défi de François Hollande est de résoudre ce dilemme.

La vertu pacificatrice de l’Europe reste d’actualité, on s’en rend compte avec ce qui se passe en Ukraine, mais elle n’est pas suffisante. Le président de la République doit être plus créatif, et imaginer l’Europe dans le monde de demain. Au niveau européen, François Hollande mériterait d’être plus audacieux et plus précis dans sa vision et dans son projet.

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