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Assad soupçonné par les services secrets occidentaux de disposer d'un arsenal secret d'armes chimiques : crédible ou effet de com' à l'irakienne ?
©REUTERS/Khaled al-Hariri

Casus belli

Cette rumeur n'est pas sans rappeler le fameux discours de Colin Powell à l'ONU, le 5 février 2003 : celui qui était alors secrétaire d'Etat américain avait exhibé une fiole en évoquant les soi-disant armes bactériologiques détenues par Bagdad. Le 20 mars 2003, l'armée américaine envahissait l'Irak.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : Les services secrets américains, français et britanniques soupçonnent le régime syrien de détenir un arsenal secret d'armes chimiques. Cette information pourrait-elle être avérée ?

François Géré : Au terme de l’accord de septembre 2013, les Etats-Unis ont obtenu des informations très fiables sur la nature, la quantité et la localisation des armes chimiques syriennes. La Russie a donné de nombreuses informations. Par ailleurs, des voisins comme Israël étaient très documentés. On ne peut jamais avoir de certitude à 100%. De faibles quantités ont pu être dissimulées mais rien qui permette des actions d’envergure et l’utilisation de missiles.

Les soupçons portent sur l’utilisation de chlorine. C’est un dérivé du chlore, donc un gaz suffocant qui attaque les poumons. Or, la chlorine est infiniment plus facile à produire et à disperser que le sarin. Le chlore et ses dérivés sont utilisés très ordinairement comme assainissant de l’eau, par exemple dans les piscines ou dans l’agriculture. On trouve du chlore en quantité dans les laboratoires, même les lycées et les universités ont leurs petits stocks. On ne peut pas interdire ou surveiller l’utilisation du chlore pour ces usages civils.

Ceci nous ramène à une question qui date d’un an et plus : d’autres que l’armée de Bachar al-Assad ont-ils pu utiliser de la chlorine ? Certainement, et cela ne demande pas de hautes compétences en chimie. Dans de telles conditions, cela peut faire des dégâts mais sans parvenir à produire un effet de niveau stratégique qui inverserait la situation à l’échelle d’une ville entière ou d’une région.

Etant donné que l'intégralité des équipements destinés à la production d'armes chimiques et biologiques ont été a priori détruits, quel type d'armement pourrait-on trouver sur place ? 

Les armes biologiques relèvent d’une toute autre capacité de fabrication. Leur emploi demeure encore plus difficile que celui des armes chimiques, à commencer par celui qui voudrait les utiliser sur une grande échelle.

Pourquoi les services secrets livrent-ils de telles informations dans la presse ?

Il faut tenir compte d’une échéance politique cruciale, à savoir les élections présidentielles dans une Syrie en pleine guerre civile. La seule tenue de ces élections constitue un succès pour Assad. Il montre qu’il tient le pays. De fait, on voit depuis quelques temps se multiplier les candidatures. La réélection d’Assad ne fait aucun doute mais il aura soin de se poser en rassembleur de tous ceux - ils sont nombreux : alaouites, chiites, chrétiens, kurdes - qui ne veulent à aucun prix d’une prise de pouvoir par les djihadistes soutenus par l’Arabie saoudite, le Qatar, sans parler d’al-Qaïda et de ses ramifications.

De ce fait, ces "révélations" ont peu de chances d’aboutir à quoi que ce soit. On ne reconstitue pas un casus belli quand on a laissé passer l’occasion comme ce fut le cas en août 2013.

Dans un rapport publié en octobre 2002, la CIA avait dévoilé que l'Irak, en dépit des résolutions et des restrictions des Nations unies, avait continué la production d'armes chimiques, et ce dès la fin des inspections de 1998. Ce rapport avait notamment servi de prétexte pour envahir l'Irak. Les deux situations peuvent-elles s'apparenter ?

Les deux situations sont totalement incomparables. Le rapport de la CIA de 2002 avait été forgé de toutes pièces incluant des "preuves"  d’une grossière contrefaçon. En fait, c’est la Maison blanche qui en avait imposé le contenu aux analystes de la CIA, forcés d’obéir. Sur le terrain, l’Irak était un pays vaincu par la guerre de 1990 qui s’était vu imposer un régime de surveillance et de contrôle comportant le démantèlement de ses équipements nucléaires clandestins, la destruction de tous ses stocks d’armes chimiques et biologiques ainsi que ses missiles balistiques.

L’Irak avait subi durant onze ans des contrôles particulièrement intrusifs et forcément efficaces des inspecteurs des Nations unies. Rien de tel en Syrie. Assad reste maître du jeu. Même s’il lui a fallu faire des concessions, il reste souverain sur le territoire que tiennent ses armées. Il n’a été vaincu par personne, nul ne lui dicte de loi.

Mais il n’en demeure pas moins qu’en 2002, à la tribune des Nations unies, l’administration américaine par la bouche du prestigieux et très respecté Colin Powell a publiquement menti. Cela ne s’oublie pas. Les Etats-Unis n’ont pas retrouvé la confiance du monde. Ajoutez les activités de la NSA, l’ensemble constitue un facteur considérable d’affaiblissement dont, aujourd’hui, les Russes, en Ukraine, tirent parti. A menteur, menteur et demi !

Pourrait-on envisager une attaque de la part des Etats-Unis en Syrie ?

Le Congrès américain est dominé par une volonté de repli sur les intérêts nationaux. Finies les aventures militaires couteuses, sans résultats garantis et sans aucun bénéfice économique. 2014 doit être l’année du retrait convenable des troupes américaines d’Afghanistan. Obama doit en tenir compte en permanence. Alors que les Etats-Unis peinent à se mobiliser sur l’Ukraine, alors que l’OTAN, rentrant d’Afghanistan, essaie de retrouver son rôle en Europe, sur fonds de budgets militaires écroulés, il est, en l’état, hors de question pour les Américains d'intervenir en Syrie.

Quelles conséquences la découverte de cet arsenal supposé pourrait-elle avoir ? 

Je suis fort sceptique quant à l’existence de cet arsenal. Toutefois, compte tenu de la détérioration de la situation en Ukraine, de simples allégations suffiraient à envenimer un peu plus les relations américano-russes. Or, Washington persiste encore aujourd’hui à ménager Moscou en dosant les sanctions, afin de préserver la coopération sur la mise en place d’une solution en Syrie. Toutefois l’escalade de la violence en Ukraine, sans résultat prévisible, met de facto en suspens la gestion du dossier syrien.De surcroît, il serait dommageable que l’aggravation de ces divergences ne se répercutent sur la négociation avec l’Iran.

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