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Les municipales, 2e effet Kiss Cool : comment la gauche recycle ses candidats et collaborateurs évincés
©Reuters

Mercato

Après la claque des municipales, le PS va, selon toute vraisemblance, subir une deuxième vague de défaites lors des élections des présidents de communautés d'agglomération. Mais les candidats éconduits n'ont pas trop de souci à se faire : le troc de positions leur permet bien souvent de patienter jusqu'à la prochaine échéance électorale.

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : Les municipales ont représenté une lourde défaite pour la gauche. Tant et si bien que certains candidats estampillés PS se sont retrouvés sans fief. Comment la gauche parvient-elle à les sortir de ce genre de situation ?

Olivier Rouquan : Le PS, après cette défaite, doit se réorganiser substantiellement : telle est la mission de Jean-Christophe Cambadélis. A moyen-long terme, ce parti est confronté à un impératif de clarification de son projet : comment reconquérir les classes défavorisées, comment tenir à nouveau un discours de classes, abandonnées d'ailleurs, alors que notre société compte 14% de pauvres - dont un certain nombre croissant d'étudiants. Le bricolage programmatique et les petites phrases de campagne (sur les ennemis de la finance par exemple), ne suffiront plus.

A court-moyen terme, il faut envisager la suite en ayant en tête la fin du cumul des mandats dès 2017, et dans une phase plus courte, qui sera sans doute celle des sacrifices, les échéances de 2015 (peut-être reportées, mais pas pour l'instant), sans parler des européennes. Ces contraintes pèsent sur le management du PS et par exemple sur la sélection des éligibles, puisque la constitution des listes est toujours problématique.

Il y a le respect de la parité, que ce parti met relativement bien en oeuvre, et le souci de renouveler les dirigeants, qui reste une attente des électeurs. 

Dans le contexte mentionné sinon de crise, de réorganisation drastique, la conduite du changement est délicate : car les militants et élus locaux sortants ne doivent pas être trop découragés au risque d'affaiblir la "machine" électorale, plus encore qu'elle ne l'est au sortir des municipales. L'exercice d'équilibriste est périlleux.

Avec cette habitude de repêcher les vaincus, où commence le clientélisme ? Dans quelle mesure est-ce véritablement compatible avec les principes de démocratie et de méritocratie ?

La mobilité interne entre dirigeants (battus) et éligibles est ancienne et vaut dans tous les partis. Il faut d'ailleurs inclure dans l'analyse de ces trocs de positions, les postes de collaborateurs d'élus et les métiers politiques, qui permettent parfois aux sortants éconduits par les électeurs, de patienter avant une nouvelle échéance. Ces allers-retours seront d'autant plus fréquents, que la fin du cumul va limiter le repli sur un autre mandat en cas de défaite. 

Cela risque notamment de politiser encore davantage les décideurs de la territoriale. Mais cela pourra aussi rendre plus souple la séparation entre caste politique et société civile : un élu battu ne cumulant pas, retrouvera un poste public ou privé ; il y aura peut-être des probabilités plus fréquentes de circulation entre les sphères.

Vous évoquez la notion de clientélisme ; mais de quoi parle-t-on ? Il s'agit d'un mode traditionnel de recrutement, de promotion, moins tranché et objectif que ne le postule la méritocratie. Dans le clientélisme, il y a la notion de fidélité personnelle à un "patron". Il y a aussi la notion de service rendu, toute idée de mérite n'étant pas exclue. Notre société et son personnel politique suivent encore ces "coutumes".

Notre démocratie recèle une part traditionnelle et donc clientéliste qu'elle n'assume pas, ce qui l'empêche d'ailleurs de bien combattre ce qui en la matière, est illégal. Quant à savoir s'il est plus méritocratique et démocratique de reconduire un sortant sur une liste, ou de le remplacer par un ancien élu ou ministre, il est bien difficile de réponde.

Prenons un exemple bien entendu fictif. Pour le PS, est-il pertinent de se passer de l'expertise d'un parlementaire européen sénior, sortant peu connu mais s'investissant sur des dossiers stratégiques (directive service, notion de service public), au bénéfice d'un éligible plus jeune, médiatique et ancien maire de grande ville ou ministre ? Est-ce méritocratique ; est-ce démocratique ?

Ce genre de pratique présente-t-elle des risques politiques, tant aux yeux de l'opinion publique que pour la carrière du repris ?

Les électeurs sont souvent, en dépit de leurs souhaits relatifs à plus "d'honnêteté" et d'objectivité dans l'attribution des mandats, les premiers intéressés par les bénéfices à tirer ici ou là, des relations de clientèles. Ils veulent la régénération, mais n'hésitent pas à reconduire des sortants dont les pratiques clientélistes défraient la chronique. Si bien qu'en la matière, il y a paradoxe. Quoiqu'il en soit, le clientélisme ne se manifeste pas seulement dans la constitution des listes électorales. Mais oui, les élus et éligibles se "recasent" ; il y a un mercato interne aux partis et à leurs "dépendances", mais qui concerne tous les secteurs de la société ! 

En la matière, chaque courant négocie dur les places d'éligibles et au sein des courants, les notoriétés, les technos, les locaux et les promus des militantismes (notamment étudiants), négocient jusqu'au dépôt des listes. Disons que la notion de compétence politique inclut cette faculté à la transaction interne tout en visant juste et loin, lorsque les règles du jeu changent, ce qui est le cas. Le détour par le Parlement européen peut constituer dans une trajectoire un apprentissage utile pour mener ensuite une vie de parlementaire national.

Le risque majeur est de ne pas assumer ces pratiques et de ne pas les rendre plus lisibles - pour les électeurs et les élus aussi, certains apprenant leur non reconduite, pour d'obscures raisons, au dernier moment. Le risque est encore de ne pas ce faisant parvenir à régénérer le personnel politique. Pour les européennes, les grands partis innovent peu pour sélectionner leurs futurs parlementaires. Certaines icônes "techno-intello" qui ont du mal à conquérir les suffrages locaux y trouvent un siège de villégiature ; les anciens ministres trouvent là le moyen de conserver une parole d'envergure nationale. Souvent, il s'agit d'attendre un retour à l'Assemblée nationale. Y a-t'il ce faisant un véritable engagement européen, sauf pour les partis dont c'est la carte-mère (centristes, radicaux de gauche, EELV) ?

Finalement, parmi ces candidats déchus, combien finissent par être "recyclés" ? Qui sont les laissés pour compte, et pourquoi le sont-ils ?

Je n'ai pas de chiffre précis à donner. Mais dans le contexte actuel, le risque pour les deux grands partis de gouvernement est de rater le sens européen que devrait avoir les listes : récompenser l'audace de l'innovation politique et l'expertise démocratique de haut niveau.

Il y a ainsi des parlementaires européens qui deviennent de véritables connaisseurs des rouages complexes de l'Union ; ils ne sont pas forcément récompensés, car ils demeurent invisibles et peu présents dans les tractations de couloirs. Il y a des figures de la société civile qui correspondent aux valeurs européennes et aux priorités à venir, qui ne trouvent pas de place auprès de l'UMP et du PS.

Leur survie ou leur émergence est d'autant plus dure, que l'engouement européen est en mauvais état. Pour les relations institutionnelles et politiques entre la France et l'Union, cela constituera un problème ; pour la régénération de la vie politique, aussi.

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