L’incroyable déni de réalité des anti-européens : ce que l’Europe serait vraiment devenue sans l’Union<!-- --> | Atlantico.fr
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L'europe a permis d'assurer la paix.
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Piqûre de rappel

Les pro-européens ne sont pas les seuls à commettre des erreurs. Construite sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, la communauté européenne, devenue Union, a instauré une zone et une période de paix comme l'histoire n'en avait jamais connu auparavant. Une réalité que ne veulent pas voir les anti-européens, malgré ce qui se passe actuellement en Ukraine.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Après le déni de réalité des anti-européens, lire également : L’incroyable déni de réalité des pro-européens : le pire danger pour l’Europe est-il ceux qui la défendent ?

Quelles sont les réussites de l’Union européenne ? Pourquoi s’ingénie-t-on parfois dans les médias à récuser une réalité extraordinaire, l’Europe c’est la paix ? Si les minorités turbulentes dans certains pays d’Europe centrale ou des Balkans sont des facteurs d’instabilité, les rappels à la démocratie par le système communautaire de gouvernements habités par un nationalisme extrême, une politique judicieuse de crédits affectés à satisfaire les problèmes posés par des minorités limitent les risques de dérapages nationalistes.  L’Union européenne est-elle capable de contenir les dérives ultra-nationalistes ?   Dans le cas du nationaliste extrême, Jorg Orban, président de Hongrie, il s’agit d’une violation de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union, car la nouvelle constitution  hongroise de 2011 permet l’établissement d’institutions autoritaires, voire non démocratiques. Mais surtout Orban exaspère les tensions régionales en donnant la citoyenneté hongroise à des citoyens d’un pays limitrophe. Il exaspère ou ressuscite les tensions ethniques. Devant une telle menace qui a quelques ressemblances avec le grignotage de l’Ukraine par Vladimir Poutine, l’Union prendrait des sanctions vigoureuses et serait amené à réagir peut-être militairement en cas de menace sur la stabilité des Etats de la zone. Les institutions européennes actuelles, le soutien financier que la Hongrie reçoit de différents bailleurs, la faible importance économique du pays et la force symbolique d’une atteinte à la sécurité régionale sont des facteurs qui devraient amener le président Orban à calmer ses ambitions ultranationalistes. En cas de déstabilisation régionale, les autres pays de l’Union réagiraient certainement.

La politique russe inquiète l’Europe. La tension entre la Russie et l’Union est réelle. La Russie regrette certainement l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne en 2004. Si elle l’avait pu, elle aurait saboté le processus d’adhésion. Toutefois pourrait-elle passer sur la volonté de peuples qui voulaient l’adhésion à l’Union et à l’OTAN ? Le grignotage poutinien risque de poser, en revanche, quelques problèmes à l’Union si une déstabilisation de la Moldavie était entreprise par la Russie car elle mettrait en danger la Roumanie et par voie de conséquence toute l’Union.
En dépit de slogans tels que "non à Bruxelles, oui à la France" portés par les démagogues populistes, on ne peut opposer Bruxelles à Paris car c’est Paris, Berlin, Londres, Madrid, Rome qui font la politique de l’Union européenne, pas la Commission de M. Barroso. La demande des eurosceptiques est d’obtenir davantage d’Europe,  pas moins d’Europe, pour faire des politiques de relance économique, pour amplifier les investissements d’éducation et de recherche, pour assurer la sécurité des territoires de l’Union contre un danger militaire extérieur ou le terrorisme international, pour lutter contre le chômage, amplifié par une mondialisation sans repère. Mais l’opinion publique n’a pas encore compris que l’Union européenne fait une politique définie par le Parlement européen et par les chefs d’Etat et de gouvernement européens. Il faut donc choisir une  politique européenne au moment des élections européennes et cesser de démolir des institutions qui appliquent les choix des Etats. On ne peut pas être contre Bruxelles et pour la France (pour l’Allemagne en Allemagne etc…) car ce serait être contre les autres pays européens, s’isoler ou se mondialiser totalement. L’Union européenne paraît faible et pourtant elle est forte. Le système communautaire européen a créé des liens nombreux entre Etats membres. Il a organisé la négociation des intérêts nationaux ; il a forcé les Etats européens à exposer les risques de conflits et à trancher collectivement. Il a tissé des interdépendances économiques très puissantes, des relations humaines propres. Il faut espérer que les deux expériences yougoslave et ukrainienne servent de lignes rouges aux Etats de l’Union. L’Union européenne doit être renforcée, démocratisée davantage, investie par les citoyens et singulièrement par les Français dont le riche héritage historique, politique et intellectuel, partagé avec les autres partenaires, servira les valeurs inscrites dans les traités. Retour sur cet héritage. 

Un développement de l'appareil économique

  • CECA en 1951
  • Traité de Rome en 1954
  • CEE et Euratom en 1957
  • Début de  la PAC en 1962)
L’unité européenne a pris deux formes : l’intégration fédérale européenne et la coopération interétatique. On peut comprendre qu’il existe des systèmes mixtes. Dans les années 1950 un premier courant d’opinion au sein des élites, plus que dans les peuples, voulait une union politique européenne fédérale. Des hommes d’influence ont porté cette demande dès 1946. Elle s’est exprimée lors du Congrès de La Haye de mai 1948 puis au sein d’une organisation créée par 5 Etats d’Europe de l’Ouest (France, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg), le Conseil de l’Europe. Malheureusement pour les fédéralistes les Etats membres ont empêché tout développement fédéral, si bien que cette organisation n’a pas uni les Etats d’Europe occidentale. Pendant ce temps les États-Unis qui voulaient bien offrir une aide très importante de 14 milliards de dollars sur 4 ans exigeaient l’unité de l’Europe occidentale, estimant que les Etats européens devaient créer une union douanière et même restructurer leur tissu industriel de façon à éviter des investissements redondants. Ils obtinrent la création de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) qui devint un espace de discussions et parfois même de décisions économique pour les pays du plan Marshall. L’OECE facilita le retour à la liberté des échanges intereuropéens et la transférabilité des monnaies européennes entre elles, grâce à l’Union européenne des paiements (UEP) dans les années 50-60. Incontestablement cette forme d’unité, sinon d’union, a produit des effets positifs pour la reconstruction et le développement de l’Europe occidentale.
Mais peu satisfaites, des élites politiques européennes étaient convaincues de la nécessité d’aller plus loin dans l’union et l’intégration politique : Adenauer en Allemagne de l’Ouest, Schuman, Monnet, Mollet en France, de Gasperi, Martino en Italie, Spaak en Belgique ; Bech au Luxembourg,  Van Zeeland et Beyen aux Pays-Bas. Pour ce faire ils répondirent positivement à la déclaration Schuman du 9 mai 1950 proposant deux mesures clefs : l’égalité des droits pour l’Allemagne, Etat vaincu, dans l’organisation économique européenne, (et donc la réconciliation franco-allemande), la création d’une Haute Autorité supranationale, donc fédérale, contrôlant la production de charbon et d’acier en Europe, hors les Etats. Pour Monnet, auteur du projet soumis à Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, et accepté par lui, cette nouvelle organisation, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) devait être l’instrument de la création d’une fédération européenne par élargissements successifs des unions sectorielles à d’autres secteurs de l’activité économique. Après l’échec d’une de ces unions sectorielles, la Communauté européenne de défense (CED), en août 1954 , en raison de son rejet par l’Assemblée nationale française, Jean Monnet, Paul-Henri Spaak, et Willem Beyen proposèrent à la réunion de Messine des Etats de la CECA en juin 1955 une relance européenne à travers la création d’une nouvelle organisation sectorielle, une Communauté européenne de l’énergie atomique, et une union douanière entre les Six. Signés à Rome le 25 mars 1957, les traités de Communauté économique européenne et d’Euratom ouvrirent la voie à des pratiques nouvelles d’organisation industrielle et commerciale.
Sans ces traités la réconciliation franco-allemande aurait été reportée car les Français n’étaient pas favorables à ce rapprochement, à peine 5 ans après la fin du Reich. Ils ont évité des guerres industrielles entre sidérurgistes européens sans les faire disparaître tout à fait. La Sarre, destinée par les Français à être rattachée à la France,  revint à l’Allemagne en 1955 mais la France obtint des compensations en charbon et le financement par l’Allemagne de la canalisation de la Moselle, à la suite d’un accord Mollet-Adenauer. Ils créaient donc les conditions d’une paix stable en Europe. Les institutions inventées par ces traités ont structuré le système communautaire, complexe certes, et objet des critiques acerbes des anti-communautaires, qui a forcé les Etats membres à se rencontrer et à prendre des décisions contraignantes pour chacun dans les domaines de partage de la souveraineté prévus par les traités : union douanière et marché intérieur, libre circulation des marchandises et des hommes, commerce international, tarif douanier extérieur commun (TEC), négociations au GATT (gentleman agreement on tarifs and trade), politique sociale commune à minimum, développement et protection de l’agriculture communautaire par la politique agricole commune (PAC), le développement des Territoires d’Outre-mer (anciennes colonies françaises d’Afrique) associés à la CEE. Ils évitèrent le libéralisme de la zone européenne de libre-échanges telle qu’envisagée par la Grande-Bretagne. Ils encadrèrent et favorisèrent le développement économique des Six.  Les limites de ces traités étaient évidentes. Il n’y avait pas de politique industrielle commune, Euratom fut un échec, la monnaie n’était pas encore prise en considération. Les intérêts nationaux restaient  encore au cœur des négociations. Les Français voulaient développer leurs programmes nucléaires, les Allemands récupérer la Sarre ou payer le moins cher possible dans la déconcentration sidérurgique. La CEE restait une organisation économique  sectorisée. Les traités cependant n’excluaient pas de nouveaux développements, y compris politiques. Le préambule du traité de CEE le laissait entendre puisque les Six étaient "déterminés à établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens".  Ces traités de 1950 et 1957 étaient donc autre chose que des traités de commerce. Les Etats membres sauront s’en servir pour justifier des approfondissements ou des achèvements, voire des innovations politiques dans les années 1970 et 1980. Sans ces traités, on imagine très bien le développement sans contrainte des forces du marché essentiellement américaines à l’époque, au détriment de l’Europe. Comment les Etats européens des années 1950 auraient –ils pu représenter individuellement une force de propositions dans les instances économiques mondiales telles que le GATT ? Peut-on imaginer une PAC sans ces traités ? La fin des empires conduisait les grands États européens à envisager l’unité européenne. La Grande-Bretagne demanda son adhésion en 1961 parce qu’elle voyait le Commonwealth sollicité par d’autres aires géo-économiques que l’Europe.
Les traités ont été et sont encore des éléments de stabilisation des relations économiques internationales et des forces de croissance pour les Européens. Ses normes et ses valeurs s’imposent du fait de la force de la Communauté. A ce titre ils sont protecteurs des Européens. À une condition toutefois : que les gouvernements veuillent bien se servir de cet outil. Delors disait, à propos du gouvernement économique européen réclamé par de nombreuses voix, que les traités en offraient la possibilité sans modifications.

La création d'une zone commerciale et politique

  • Union douanière en 1968
  • Europe des 9 en 73
  • Accords de Schengen en 1985
Le premier élargissement des Communautés, de 6 à 9, réalisé en 1972 avec l’adhésion de la Grande-Bretagne, Danemark et Irlande, transforma la Communauté continentale en une plus grande entité. L’Association européenne de libre-échange, créée par la Grande-Bretagne en 1960, s’étiola. 
De Gaulle a marqué la période 1958-1969. Il avait une grande vision de l’Europe unie qu’il a exprimée dans le projet d’Union des Etats. La veine confédéraliste remontait en surface, tout autant que, aux yeux de ses partenaires, le risque d’une domination franco-allemande sur l’Europe des Neuf. Le mérite de sa politique fut de parler d’union politique, de politique étrangère commune, de défense commune, y compris nucléaire, d’Europe indépendante face aux blocs continentaux. On sortait alors de la dimension économique des traités de Rome. De Gaulle a perdu la bataille européenne tout en s’auréolant d’un deuxième rapprochement franco-allemand. Mais le dialogue inter-européen a été affaibli par de Gaulle qui a fait miroiter des illusions de grandeur aux Français, en insistant sur le nationalisme français. De Gaulle a stérilisé les institutions communautaires européennes en les rabaissant alors que ses partenaires y tenaient. De Gaulle a raté son destin européen, car son objectif de faire une Europe responsable d’elle-même, forte et indépendante, dans le respect des alliances, reste encore aujourd’hui indispensable.
L’importance de la période est liée aux questions monétaires. En effet en dépit des prudences du traité de Rome sur ce point, Monnet avait relancé la question d’un système monétaire commun dans le cadre du Système monétaire international (SMI). On se rendait compte que le système de Bretton- Woods, de 1944, établissant le roi dollar en monnaie de réserve internationale et convertible en or, avait des faiblesses. En effet de plus en plus de détenteurs de dollars s’en débarrassaient au profit du DM, accumulant des stocks de dollars dans les banques centrales européennes qui, comme en France, les convertissaient en or. Dans les années 67-69, il devint clair que le dollar ne pourrait plus être converti en or par manque de métal précieux dans les réserves de Fort Knox. En août 1971 Nixon déclara l’inconvertibilité du dollar en or pour protéger les maigres ressources encore disponibles. Le SMI s’effondra. Les monnaies européennes fonctionnaient vaille que vaille dans le cadre du SMI. Leur valeur dépendait des dépréciations ou des réévaluations négociées dans le cadre du FMI. Les Européens s’aperçurent qu’il était de leur intérêt de définir les parités de leur monnaies et si possible de geler ces valeurs de façon à interdire toute spéculation sur l’une d’entre elle. Il fallait pour cela un organe régulateur qui fut en fait les banques centrales et le Conseil des ministres européens. Un Fonds européen de coopération monétaire (FECOM) détint une partie de réserves monétaires des pays membres, au sein d’un système monétaire européen créé à l’initiative de Giscard et Schmidt qui prit en compte l’intérêt général des monnaies européennes et pas seulement celui du DM ou du Franc français. Le SME gela les parités et une intervention concertée des banques centrales était prévue en cas de pression sur l’une des monnaies européennes. Ainsi dans le domaine monétaire, les Etats de la Communauté réussirent à se concerter à la faveur de la chute du SMI. Cette capacité des banques centrales européennes à agir ensemble et à faire ratifier le système par les Etats de la Communauté était le signe d’une grande maturité technique et politique des banquiers centraux qui déjà parlaient de rigueur budgétaire. Il n’était donc pas étonnant que le traité de Maastricht crée une monnaie commune. Ce n’est pas Bruxelles qui a imposé une monnaie commune. Elle est venue des habitudes de coopération des banquiers centraux depuis l’entre-deux-guerres. La différence d’avec l’actuelle monnaie commune est que le Conseil des ministres des Finances dirigeait cette politique, et non pas une Banque centrale superpuissante et autonome. 
La Communauté des années 70-80 est une entité originale, protectrice des intérêts généraux européens, tant au niveau de la monnaie que du commerce international. La grande vague des reaganomics et du thatchérisme conduisit la Communauté à dissoudre son originalité protectrice des intérêts européens (commerce international, PAC, marchandisation de la culture) sous l’influence d’une idéologie libérale qui voulait balayer tous les particularismes  et toutes les constructions régionales. 
La Communauté européenne est devenue une organisation aux mains des Etats membres avec la naissance du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement en 1974. Une partie des institutions fonctionna sur le mode fédéral, une autre sur le mode intergouvernemental. Les actes communautaires résultèrent pour une grande part de l’action des gouvernements et de leur choix, pas de celui de la Commission européenne assimilée à "Bruxelles" par les anti-européens. 

La concrétisation d'un "projet  européen"

  • 1986 : signature de l’Acte unique européen
  • Maastricht  en 1992
  • Signature du traité d’Amsterdam en 1997
Le "projet européen", terme vague mais populaire qui désigne l’aspiration à une Union européenne générale, pas seulement économique mais sociale, politique, culturelle, bref à la naissance d’une super nation, dotée d’un gouvernement commun, d’un Parlement commun et de valeurs partagées ne s’est pas réalisé. Pourtant, l’Union européenne de 2014 est très différente des Communautés de 1957. 
Le terme de citoyenneté européenne est utilisé et trouve un contenu dans les traités de Maastricht et de Lisbonne. N’est-ce pas un progrès qui permet aux citoyens des Etats membres de se sentir partie prenante dans la vie démocratique d’un autre pays ? Les Etats membres sont parvenus, depuis l’Acte unique, à coopérer en politique étrangère d’une façon régulière et routinière. Une politique étrangère de sécurité commune est née avec le traité de Maastricht. La protection des œuvres culturelles européennes est assurée contre leur marchandisation mondialisée avec la directive "télévision sans frontières". La défense européenne a été insuffisante pour empêcher le drame yougoslave et l’appel à l’OTAN s’est avéré indispensable. L’accord de Saint Malo (4 décembre 1998) entre la France et la Grande-Bretagne paraissait pouvoir fonder cette défense européenne commune mais le projet s’embourba politiquement sinon techniquement.

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