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Antibiotiques, la menace qui se précise : même des infections mineures y résistent désormais
©Reuters

Les envahisseurs

Selon l'OMS la situation est grave : les bactéries deviennent de plus en plus résistantes aux antibiotiques, au point que même les infections dites mineures parviennent à résister. La mauvaise utilisation, qualitativement comme quantitativement, des antibiotiques serait en cause. Retour sur les origines d'un phénomène dont les conséquences pourraient être dramatiques.

François Bricaire

François Bricaire

François Bricaire est un médecin. Il est chef du service Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris. Il est professeur à l'Université Paris VI-Pierre et Marie Curie.

 

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Atlantico : L'OMS a récemment fait des déclarations très alarmistes concernant l'efficacité des antibiotiques. Quelles sont les bactéries qui sont, aujourd'hui les plus résistantes aux antibiotiques ?

François Bricaire : Les déclarations de l'OMS sont justifiées, dans la mesure où depuis déjà quelques temps – bien que cela s'accentue actuellement – on assiste à l'avènement de bactéries multi-résistantes. Concrètement, cela signifie que ces bactéries sont capables de résister à plusieurs familles d'antibiotiques, et sont donc susceptibles de poser des problèmes de santé publique pour les malades qui en sont porteurs – qui en ont donc dans leur colon – comme pour ceux chez qui ces bactéries auront tendance à déclencher des pathologies infectieuses.

Aujourd'hui, beaucoup de bactéries sont capables de résister. C'est une capacité qu'on connait déjà chez les staphylocoques, les bacilles tuberculeux, mais finalement ce sont essentiellement les plus fréquentes des bactéries qui disposent de ces caractéristiques, particulièrement celles qu'on trouve dans le colon. Il s'agit d'entérobactéries qui deviennent de plus en plus résistantes à force d'accumuler les mécanismes de résistances et sécrètent des enzymes qui inhibent les antibiotiques.

On constate d'ailleurs que certaines familles d'antibiotiques sont plus vulnérables que d'autres. C'est le cas, notamment, des quinolones et des fluoroquinolones, qui, s'ils sont de très bons antibiotiques au départ, ont vu leur efficacité drastiquement diminuer en raison d'une mauvaise utilisation. Ils deviennent aujourd'hui inactifs sur les bactéries qu'ils sont pourtant supposés traiter.

Comment expliquer le développement de cette résistance ?

Il y a plusieurs facteurs. A mon sens, il est inéluctable que l'efficacité des antibiotiques baisse au fil de leur utilisation, c'est un processus naturel. Les bactéries sont des êtres vivants, qui cherchent en toute logique à survivre. Quand l'homme utilise des antibiotiques pour les combattre, il est donc naturel que celles-ci mettent en place des systèmes de défense.

Cependant, ce processus a été considérablement accéléré, et donc aggravé par la mauvaise utilisation des antibiotiques. Ils sont, d'une part, beaucoup trop utilisés, mais également employés avec un certain manque de pertinence. On les utilise de façon inappropriée dans des circonstances et des situations qui n'exigent pas leur emploi. De plus, il n'est pas rare que dans les situations où un antibiotique est nécessaire, le choix qui est fait ne soit pas le bon. Concrètement, cela reviendrait à utiliser une quinolone pour soigner une infection respiratoire, ce qui ne serait évidemment pas adapté. Dans la majorité des cas, il convient d'utiliser autre chose, comme des bêtalactamines, des pénicillines, ou des macrolides, qui seraient autrement plus appropriés. Bien entendu, une quinolone pourrait fonctionner, voire bien fonctionner, mais elle ne serait pas adaptée au germe qui déclenche l'infection. En employant une quinolone plutôt que des antibiotiques spécifiques, on favorise la constitution d'une résistance de la bactérie. Celle-ci survit, et en profite donc pour mettre en place des mécanismes qui lui permettront de faire face à de nouveaux assauts. Elle connait désormais son ennemi.

Il y a, aujourd'hui, une très forte tendance chez les médecins à l'utilisation des antibiotiques. En dépit de leur formation, ils ont cette tendance, et parallèlement on assiste à une forte demande de la part des patients qui apprécient de sortir avec une ordonnance d'antibiotiques pour la moindre fièvre, quand bien même cela ne sert à rien. Beaucoup d'infections sont dues à des virus, et utiliser des antibiotiques n'aura aucune efficacité, sinon celle de sélectionner des bactéries qui gagnent en résistance.

Un autre problème persiste. Nous venons d'évoquer un souci qui relève de l'ordre de la médecine et de l'utilisation des antibiotiques faite par les médecins, mais malheureusement, il y a également une utilisation – considérable et massive – d'antibiotiques faite par les vétérinaires et les éleveurs. Dans les élevages, essentiellement, on assiste à l'utilisation massive d'antibiotiques pour tenter d'améliorer la rentabilité de la production. Ce qui, bien entendu, sélectionne énormément de germes résistants situés dans le colon de la bête, et qui seront transmis à l'homme quand celui-ci consommera l'animal.

Si la situation perdure, doit-on s'attendre à un monde qui connaîtrait un accroissement des maladies incurables ? Quelles en seraient les conséquences ?

D'un point de vue purement théorique, oui. Effectivement, on peut voir la chose ainsi. Pour autant, il y a quelques remarques à faire et quelques nuances à poser. Ces bactéries résistantes ne gagnent pas sur tous les plans : elles sont le plus souvent moins agressives, et provoquent donc moins de pathologies.

D'un point de vue théorique, on peut tout à fait imaginer une catastrophe similaire à une peste noire. Une bactérie devenue résistante à tous les antibiotiques dont nous disposons, qu'il nous est donc impossible de combattre. Au-delà de ça, on risque évidemment de rencontrer des problèmes de santé publique, pour prendre en charge les malades porteurs, qui viennent le plus souvent de pays où on utilise davantage encore les antibiotiques.

Ça n'est donc pas une excuse suffisante. Il faut évidemment trouver d'autres moyens de combattre ces bactéries, et des recherches sont réalisées dans ce sens. De nouvelles molécules antibiotiques ou techniques un peu différentes, comme l'utilisation de virus tueurs de bactéries pourraient être des pistes. Il ne s'agit évidemment pas de rendre les gens malades pour mieux les soigner : il s'agit de virus inoffensifs, qui se contentent de dévorer les bactéries. On les appelle virus bactériophage.

Les laboratoires jouent-ils un rôle dans cette situation ?

Il est particulièrement compliqué et particulièrement cher de développer une molécule antibiotique. Souvent, quand une telle molécule est développée par un laboratoire, elle est réservée à un usage relativement limité. Il y a donc nécessairement un certain problème de rentabilité. L'industrie pharmaceutique se mettra cependant en situation de retrouver une molécule antibiotique si la situation l'exige.

Diaboliser l'industrie pharmaceutique, c'est la mode aujourd'hui. Evidemment que l'industrie pharmaceutique cherche à faire de l'argent, puisque c'est une industrie ! Il faut, en outre, financer la recherche, qui est extrêmement coûteuse.

Finalement, cette situation est-elle réversible ?

Oui, possiblement. On constate que des bactéries qui n'ont plus été exposées aux antibiotiques pendant un certain laps de temps redeviennent sensibles à ceux-ci. Une bonne gestion politique, au niveau mondial (puisqu'il n'y a qu'au niveau mondial que peuvent se faire ces choses-là) pourrait donc entraîner une réversion, en théorie. Est-ce crédible ? Oui, je crois. Il faudra faire attention, et énormément travailler à une bonne gestion de l'antibiothérapie, aussi bien du corps médicale qu'à une réduction (si ce n'est une interdiction) de l'utilisation de molécules antibiotiques, simplement pour améliorer la rentabilité de l'élevage.

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