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Demain tous vieux, pauvres et malades ? Comment éviter le crash sanitaire et social qui menace
©Reuters

Bonnes feuilles

Devant l'immobilisme des politiques publiques face à la triple peine - vieillissement, maladie, pauvreté -, nous nous dirigeons tout droit vers un crash sanitaire et social sans précédent. De quoi faire frémir, mais surtout de quoi s'interroger et réagir. Extrait de "Demain, vieux, pauvres et malades ! - Comment échapper au crash sanitaire et social", du Dr Sauveur Boukris, aux éditions du Moment (2/2).

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Pour répondre à l’augmentation des besoins de prise en charge, induits par la consommation de soins de longue durée pouvant atteindre jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros, la majorité des personnes ne dispose pas de couverture assurance-dépendance. Dans ce domaine, il y a encore beaucoup à faire. Ce risque est estimé à 25 milliards d’euros par an aujourd’hui, il sera de 30 milliards d’euros en 2030. Nous avons vu que seulement 1,5 million de Français seront concernés par ce contrat spécifique dépendance.

Pourquoi cette faible mobilisation des assurés à se couvrir face à ce risque pourtant bien réel ?

Le cabinet d’expertise Exton Consulting a interrogé 1 500 souscripteurs d’assurances-dépendances et les groupes d’assurance comme AG2R La Mondiale, Groupama, La Banque postale, Malakoff Médéric, Natixis Assurances et Prévoir pour analyser et comprendre pourquoi les personnes couvertes contre ce risque ont opté pour cette démarche. Ce type d’assurances est essentiellement souscrit par les classes moyennes ou les classes moyennes inférieures avec une surreprésentation des employés. « Les catégories socioprofessionnelles supérieures font quant à elles de l’auto- assurance en puisant dans leur patrimoine 1 », explique Bertrand Lauzeral de chez Exton consulting. Leurs motivations pour s’équiper sont principalement le maintien à domicile le plus longtemps possible, le fait de ne pas constituer une charge financière pour [leurs] proches ou l’inquiétude sur [leur] capacité financière à faire face à une perte d’autonomie. […] Les critères de choix des assurés se font sur la possibilité d’être couverts en cas de dépendance partielle […] ou sur la possibilité de recourir à des services après l’entrée en dépendance. […] Un des freins à la souscription consiste dans le fait qu’il est très difficile de comparer les produits et que les gens ont aussi conscience que ce qu’ils vont acheter ne couvrira pas la totalité de leurs besoins 1 », conclut Bertrand Lauzeral.

La revue Que choisir argent a publié en octobre 2010 une étude comparative d’une douzaine d’offres d’assurances- dépendances (AG2R La Mondiale, CNP assurances, Groupama, etc.) et a montré clairement les disparités, dues à la complexité du produit, que certaines formules de prévoyance classique sont à fonds perdus, que d’autres consistent en options associées à une assurance-vie classique, que la définition et l’étendue des garanties peuvent être différentes (dépendance totale et/ou partielle) ; enfin les conditions de déclenchement de l’indemnisation varient selon les contrats avec pour certains des délais de carence ou des franchises. Bref, on est encore loin de l’harmonisation en matière d’assurance-dépendance et l’assuré peine à avoir une vue d’ensemble et donc à choisir en bonne connaissance de cause.

Ainsi le débat à venir devra poser les questions essentielles : la dépendance est-elle assurable ? L’assurance- dépendance doit-elle être obligatoire ou facultative ? Faut-il choisir les assurances privées ? Est-ce à l’État de collecter les fonds pour son financement ? Devant l’ampleur et la complexité de ce financement, est-il seulement possible ? Peut-on trouver un équilibre entre action publique et participation privée ?

En France, on en est encore au stade de la réflexion alors qu’en Allemagne, depuis 1995, le modèle d’assurance- dépendance, appelée assurance de soins longue durée, est universel, obligatoire et unique. Les Allemands ont créé le cinquième risque, la cinquième branche de l’assurance maladie. Ce sont les citoyens qui cotisent contre la dépendance et le système est basé sur la répartition.

On le sait, la dépendance va coûter de plus en plus cher et nous devons savoir si nous voulons un système d’assu- rance de type Sécurité sociale avec cotisations sociales ou si nous préférons conserver notre système de solidarité fis- cale. Dans la première hypothèse, cela pourrait affecter la compétitivité des entreprises dans la seconde, cela alourdi- rait la charge fiscale

L’autre solution est d’encourager l’assurance-dépendance privée, basée sur une logique de capitalisation. Quel rôle peuvent jouer les compagnies d’assurance privées ?

Les assureurs veulent situer leur intervention indépen- damment des aides publiques. Ils agissent aux stades avancés du processus de dépendance ; actuellement, la plu- part des plans d’assurances proposés aux clients optent pour des seuils d’accès à la rente très rigoureux. En général, après avoir cotisé un certain nombre d’années, la personne âgée doit être considérée en incapacité complète pour 3 actes sur 4 de la vie quotidienne (faire sa toilette,s’habiller, et se déplacer du lit au fauteuil) afin de bénéficier d’une rente. À ce stade, la durée de survie estimée est de 2 années si ce n’est moins lorsqu’une détonation intellec- tuelle est à déplorer. Le plus souvent aussi, il y a une franchise de 3 à 6 mois avant le premier versement.

Les critères des assurances privées sont beaucoup plus stricts que les critères publics. L’assurance privée intervient en pratique, 2 années après les institutions publiques. En définitive, l’usager d’une assurance privée perçoit souvent à un stade tardif une rente d’un montant négligeable par rap- port à son investissement. Selon la Fédération française des sociétés d’assurances, les cotisations actuelles d’assurances- dépendances sont estimées annuellement entre 500 et 600 millions d’euros et le montant total des rentes versées se situe, lui, entre 100 et 150 millions d’euros. L’assurance- dépendance s’assure une profitabilité non négligeable 1.

Dès lors, on est en droit de se demander si les assurances- dépendances sont fiables et si le citoyen qui conclut un tel contrat est suffisamment éclairé. Prenons un exemple : un homme de 60 ans, soucieux de ses vieux jours, se voit pro- poser une assurance-dépendance pour lui éviter d’être à la charge de ses enfants et petits-enfants. Cette assurance cou- vrira le coût d’une aide pour sa toilette, son habillement, son passage du lit au fauteuil et son alimentation. Vingt-cinq années plus tard, cet homme de 85 ans n’est plus en mesure de faire ses courses, ni de prendre sa douche ou son bain seul, mais peut encore se déplacer avec un déambula- teur dans son appartement et manger seul. Il pense être en droit de toucher désormais la rente mensuelle prévue. Mais le versement de cette dernière lui est refusé, après l’exper- tise d’un médecin de l’assurance, parce qu’il ne souffre pas d’une incapacité totale (c’est-à-dire pour 3 sur 4 des actes de la vie quotidienne considérés) et que son état s’étant détérioré récemment ne peut être considéré comme stabi- lisé. Il se rend compte alors que le contrat qu’il a souscrit ne correspond pas à ce qu’il espérait ; la déception est grande.

Le rapport du groupe technique « Assurance », attaché au groupe de travail ministériel animé par Bertrand Frago- nard, intitulé « Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées » et présenté en juin 2011, analyse la place de l’assurance privée en France. Ses conclusions ne sont pas flatteuses : « des contrats qui man- quent de transparence et présentent une protection insuffisante des intérêts du souscripteur, des cotisations très variables et des rentes qui ne le sont pas moins, des méthodes de revalori- sation peu explicites 1 ». Pour la future réforme de la dépendance, l’enquête révèle que les sondés souhaiteraient en priorité d’abord la création d’une incitation fiscale à la souscription, puis la simplification des contrats (pour une meilleure lisibilité et transparence des choix) et enfin l’inclusion de la couverture dépendance à la complémen- taire santé ou à l’assurance-vie. En revanche, l’instauration d’une obligation de s’assurer contre le risque de dépendance dès l’âge de 40 ans n’est pas plébiscitée par les sondés. 57 % des Français sont contre selon un sondage CSA réalisé pour la FFSA en avril 2011.

Une autre solution consisterait à adopter un système hybride qui assurerait la sécurité des contractants et la pérennité des financements. La mise en place d’un marché privé devrait être encadrée avec un cahier des charges précis assurant la qualité des contrats.

Deux conceptions s’affrontent. Pour les uns (dont je suis) la santé est un bien collectif. Aussi, chacun a droit à une protection sociale selon ses besoins et le risque de dépendance doit être garanti. Pour les autres, la santé est un marché de services, ce qui laisse libre cours à la concurrence. Dans le premier cas, il faut créer un cinquième risque basé sur la protection sociale universelle avec une complémentaire privée. Dans le second, il est indispensable de fixer un seuil de pauvreté au-delà duquel on installe un filet de sécurité afin d’éviter les situations inhumaines, dues au manque de moyens financiers.

Pour l’heure, les choix politiques ne sont pas clairs. Le président François Hollande annonce un plan d’assurance-dépendance pour 2015. D’ici là, il faut mener un véritable débat pour définir les places respectives des secteurs public et privé. Ce débat doit être national et ouvert. Nous serons tous touchés, de près ou de loin, aujourd’hui ou demain, par ces questions de dépendance.

Extrait de "Demain, vieux, pauvres et malades ! - Comment échapper au crash sanitaire et social", du Dr Sauveur Boukris, aux éditions du Moment, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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