Ces raisons qui font des champions industriels français des colosses aux pieds d’argile <!-- --> | Atlantico.fr
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Arcelor est fragil vis-à-vis de ses concurrents étrangers.
Arcelor est fragil  vis-à-vis de ses concurrents étrangers.
©Reuters

Pas si solides

Alstom n'est qu'un grand groupe de plus sur la longue liste des laissés pour compte des choix stratégiques de la France. Revue des erreurs commises par ces "champions" de l'industrie française.

Atlantico : Tiraillé entre l'américain General Electric et l'allemand Siemens, le conseil d'administration du français Alstom s'est donné jusqu'à "mercredi 30 avril matin" pour déterminer auquel des deux il cédera sa filière énergie. Comment expliquer que des entreprises aussi importantes que Pechiney, Arcelor, Alcatel et maintenant Alstom soient si fragiles vis-à-vis de leurs concurrents étrangers ? Existe-t-il une faiblesse spécifiquement française ? Quelles sont les failles spécifiques au modèle de la grande entreprise stratégique française ?

Olivier Marteau : Etre la cible de rachat de ses concurrents témoigne plus d’un rapport de force entre deux sociétés que de présupposées faiblesses intrinsèques à l’entreprise. Si Alstom ne disposait pas d’atouts industriels certains il ne susciterait pas l’intérêt d’un géant comme GE. Cependant là où Alstom devient un cas d’école c’est quand on corrèle l’échec dans la mondialisation des entreprises françaises paraétatiques au succès des entreprises françaises intervenant sur des marchés concurrentiels. D’un côté Edf, GDF-Suez, Areva, Vinci, Bouygues, Veolia, très largement dépendantes des rentes étatiques intérieures et peu intégrées dans la mondialisation. De l’autre L’Oréal, Michelin, Danone, LVMH, Schneider qui tirent leur puissance de leur capacité à confronter la concurrence mondialisée.

Jean-Pierre Corniou :Dans une économie ouverte, les groupes industriels comme les grandes entreprises de service et les banques ne sont pas vouées à l’immobilisme et doivent s’adapter en permanence aux conditions réelles d’un marché mondial concurrentiel. Cette respiration du tissu économique est logique, naturelle et nécessaire, même si elle continue à surprendre les Français. Elle ne se limite pas, bien évidemment, au cadre hexagonal ! La Suède a ainsi perdu ses deux symboles industriels dans l’automobile, Saab qui a disparu et Volvo devenu chinois... Cette évolution qui entraîne fusions et acquisitions, mais aussi des disparitions d’entreprises connues, s’inscrit dans un mouvement de renouvellement des entreprises qui accompagnent l’évolution technique, le positionnement stratégique par produits et marchés, mais aussi la volonté et la capacité de leurs propriétaires à s’adapter. Rien n’est jamais acquis dans le monde de l’entreprise privée. 

La grande entreprise française a toutefois des caractéristiques propres. Elle a toujours été proche de l’Etat soit par ses dirigeants, issus de grands corps publics et formés pour beaucoup dans des écoles de fonctionnaires, soit par ses marchés où la commande publique a joué un rôle majeur. Selon une étude sociologique datant de 2010, 84% des dirigeants français du CAC 40 sont issu d’une grande école et 67 % d’une "très grande école" d’ingénieurs ou de management. Polytechnique, HEC et l’ENA fournissent 46% des dirigeants français et la plupart sont des managers sans lien patrimonial. Seul 12% des dirigeants doivent leur responsabilité à la détention d’ une part du capital de leur entreprise. En revanche, 42 % des patrons sont passés par la fonction publique. Si le rôle de l’Etat dans le capital des entreprises est désormais très limité, l’influence de la culture publique reste forte. 

Pour mieux comprendre la faiblesse des grandes entreprises françaises, lisez l'A-book d'Olivier Marteau paru en quatre parties sur Atlantico éditions : 

L'étrange défait de la France dans la mondialisation

Partie 1 : Nos faux champions du CAC 40

Partie 2 : Une élite incapable de relever le défi

Partie 3 : Un échec singulier parmi les pays développés

Partie 4 : La société civile minée par la bulle étatique 

Le savoir-faire technologique de ces groupes n'est pas remis en cause, et c'est d'ailleurs ce qui intéresse leurs concurrents. Pourquoi les financements au niveau national ne suivent-ils pas pour accompagner leur développement ?

Olivier Marteau : Les aides nationales n’ont pas fait défaut à Alstom qui tout au long de son histoire a été le jeu d’un mécano financier des pouvoirs publics oscillant entre nationalisation et privatisation via l’état actionnaire. Le groupe a été dernièrement sauvé en 2004 par une recapitalisation de l’état qui a ensuite cédé ses parts au groupe parapublic Bouygues. Sans ces arrangements entre amis Alstom aurait été démantelé. Enfin si l’on prend en compte le monopole de vente à la SNCF dont bénéficie Alstom dans le ferroviaire, on peut donner pour une fois raison à Arnaud Montebourg, quand il déclare qu’Alstom "vit de la commande publique et du soutien de l’état à l’exportation".  

Jean-Pierre Corniou :La compétence technique française est reconnue dans le monde dans tous les domaines clefs de l’industrie. La qualité des ingénieurs et des managers n’est pas en cause et la France peut encore compter des champions mondiaux solides dans leur secteur, comme Airbus, Safran, Essilor, Michelin, Technip, Total. Leur résilience n’est pas non plus à négliger même si les marques ne sont plus portées par le grand public. Technicolor est un leader technologique dans le domaine de l’image et vit encore des brevets de Thomson en continuant de déposer 2000 brevets par an. Alcatel dispose d’un important portefeuille de 29000 brevets au coeur de la téléphonie mobile, dont la 4G.

La faiblesse de la structure industrielle française ne vient pas des grands groupes qui se battent activement, mais de la modestie des entreprises intermédiaires, insuffisamment nombreuses à croître sur le plan mondial même si les exemples de SEB, Somfy, Legrand, notamment, démontrent que la culture internationale s’est aussi développée dans les groupes de taille moyenne. La croissance internationale est aussi pour ces groupes le seul moyen de trouver les ressources nécessaires à leur développement car la profitabilité en France ne cesse de se dégrader : 27% fin 2013 contre 40ù en Allemagne. Les entreprises françaises sont les moins rentables de la zone euro et le profit des entreprises ne contribue au PIB qu’à hauteur de 6% contre 9% en Allemagne et en Italie et 12% aux Etats-Unis. Cette faiblesse des marges s’explique à la fois par le positionnement prix des produits français, mais aussi par la poursuite de la hausse des salaires et par le manque d’investissement productif, dont le retard en matière de robotisation est un indicateur flagrant. Le taux d’autofinancement des entreprises est en baisse à 66% alors que les banques peinent à s’engager. Aussi la vitesse de croissance est insuffisante. Par ailleurs, les jeunes pousses, nombreuses en France, peinent à trouver une taille mondiale et souvent renoncent et se vendent comme Meetic, PriceMinister...

Les champions industriels français ont-ils raté le tournant de l'internationalisation ?

 Olivier Marteau : Parmi les groupes para-étatiques du CAC40, Alstom est le plus internationalisé et tient la comparaison avec Siemens puisque les marchés nationaux des deux entreprises ne représentent plus que 10 à 15% de leurs chiffres d’affaires. Cependant si Alstom est très européanisé, il n’a pas su se mondialiser et conquérir les marchés porteurs situés en Asie. La faute sûrement à une aire d’influence commerciale cantonnée par facilité à celle de la diplomatie française datant du gaullisme et donc très éloignée des réalités économiques contemporaines. Conséquence, à l’instar de PSA, Alstom subit aujourd’hui de plein fouet la conjoncture européenne.  Plus inquiétant, Alstom révèle surtout  l’échec  de la filière industrielle française para-étatique dans son ensemble. Electricité, ferroviaire, nucléaire, défense, construction, les groupes industriels français même quand ils chassent en meute,  ne sont plus compétitifs dans la mondialisation et essuient de lourds échecs face aux groupements coréens, américains, chinois, japonais mais aussi espagnols, suédois et allemands.

Jean-Pierre Corniou : Les grandes entreprises françaises ont toutes aujourd’hui une présence mondiale, et ce parfois depuis très longtemps comme Lafarge, qui a ouvert sa première cimenterie aux Etats-Unis en 1956 et s’est implanté au Brésil en 1959, Renault, fournisseur de la cour du tsar Nicolas II en 1916, ou l’Air Liquide implanté au Japon depuis 1907. Cette culture internationale est bien ancrée dans les entreprises françaises. Avec 31 entreprises classées en 2013, la France occupe le 5e rang mondial du Fortune 500 devant l’Allemagne. Total est la 10e plus grande entreprise mondiale. Dans l’édition 2013 des World’s most innovative companies de Forbes, 4 des 10 entreprises européennes jugées comme les plus innovantes sont françaises. . Les pays émergents représentent aujourd'hui 21% du chiffre d’affaires d’Essilor. Les entreprises du luxe comme Kering  ou LVMH, comme l’Oreal sont très implantées à l’extérieur. Michelin, Pernod Ricard, Airbus, Safran sont toutes très performantes sur les marchés étrangers. Schneider Electric est N°1 mondial des équipements électriques. Ces entreprises réalisent plus de 90% de leur chiffre d’affaires à l’étranger.

Le rapport de ces groupes à l'innovation est-il adapté au contexte mondialisé ?

Olivier Marteau : Le problème vient d’abord des équipes dirigeantes qui sont toutes entièrement issues des grands corps d’état, X-Mines-Ponts et de la caste administrative, ENA-inspection des finances. Ces élites qui dirigent l’industrie française tirent leur légitimité sociale et leurs fabuleux avantages financiers non pas de leur réussite dans la mondialisation mais de leur capacité à maintenir leurs avantages acquis retirés d’une économie intérieure dirigée. La mobilisation politique pour sauver Alstom des griffes américaines est surtout motivée par la crainte pour l’élite installée de perdre un réservoir de postes disponibles au profit d’équipes enfin compétitives choisies par un actionnaire réellement privé.

Jean-Pierre Corniou : Les entreprises françaises sont positionnées majoritairement en B2B. Leur présence sur les grands marchés de consommation de masse est faible alors que l’image de modernité et de dynamisme est aujourd’hui portée par ces marchés mondiaux, notamment dans l’électronique grand public. Personne ne cite spontanément comme firmes leaders dans ces technologies de pointe Gemalto,  SMTMicrolectronics ou encore Cap Gemini ou Dassault Systems, ces entreprises étant parmi les leaders mondiaux de leur spécialité technologique. Il se trouve que cette image pourrait évoluer positivement car les start-up françaises font une percée remarquée dans la nouvelle génération d’objets connectées comme Withings pour la santé ou Netatmo, ces deux firmes ayant été primées en 2014 ou Consumer Electronic Show de Las Vegas.

Les grands groupes ont-ils trop tendance à se reposer sur un effet de rente limité au niveau national ?

Olivier Marteau : La rente de situation est la caractéristique du capitalisme étatique français. Il s’observe notamment dans les télécoms, la banque, l’énergie et le BTP. L’effet d’aubaine d’un marché intérieur protégé et alimenté par la dette publique a détourné les grands groupes français de la compétition mondiale mais aussi par voie d’entraînement tout le tissu des PMI-PME. Cela explique le déficit commercial abyssal du commerce extérieur français. Les problèmes français sont structurels et non conjoncturels. Ils relèvent du poids démesuré de l’état dans la conduite de l’économie et de la société française.

Jean-Pierre Corniou : Le marché national n’est plus l’enjeu majeur des grandes entreprises françaises. Leur horizon est mondial. Depuis 2008 la croissance des entreprises du CAC 40 s’est faite pour 85% à l’étranger. En 2011 72% de leur chiffre d’affaires a été réalisé hors de France. Il n’y a plus de réticence des firmes françaises à travailler hors de France.

Quelle responsabilité l'Etat et les élites économiques et politiques portent-il dans cette situation ?

Jean-Pierre Corniou : Je pense qu’il s’agit là probablement du problème le plus sérieux pour nos entreprises. L’Etat et les dirigeants  ne sont pas seuls en cause. Il y a une culture française qui n’a pas apprivoisé les enjeux techniques et industriels et reste très attachée à ce qui touche les prérogatives régaliennes. Alors que l’aristocratie britannique, bien qu’avant tout propriétaire des terres, a toujours été éprise de science, de technique et d’investissement dans l’industrie et le commerce, l’aristocratie française a beaucoup plus privilégié les rentes qu’elles aient été foncières ou monétaires. Travailler pour créer de la richesse soi même n’a pas été un modèle dominant ! Quant à la classe ouvrière elle a toujours vécu la relation avec les entreprises comme une fatalité justifiant le combat et non pas la coopération... De fait, l’entreprise n’est pas spontanément aimée dans notre culture et encore moins l’argent qu’en retirent les investisseurs et les chefs d’entreprise. L’épargne des particuliers après l’atypique engouement des années 2000 s’est retirée de la bourse et préfère les placements sûrs que la participation à l’aventure économique.

Or entreprendre et investir dans l’industrie est un gage fondamental de création de valeur et donc de création d’emplois. On croit encore que l’emploi viendra par hasard, ou par nécessité, alors que c’est le produit de l’entreprise, et seulement de l’entreprise et des entrepreneurs, alors que 57% du PIB transite par la puissance publique. Pour cela il faut un cap ferme autour de la stabilisation de la fiscalité et la simplification du contexte administratif et social.

Les 4 parties de l'A-book d'Olivier Marteau, L'étrange défaite de la France dans la mondialisation, sont toujours disponibles sur Atlantico éditions

Partie 1 : Nos faux champions du CAC 40

Partie 2 : Une élite incapable de relever le défi

Partie 3 : Un échec singulier parmi les pays développés 

Partie 4 : La société civile minée par la bulle étatique

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