L’héritage précieux de Jean-François Revel sur la démocratie libérale à l’épreuve du XXe siècle<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
L’héritage précieux de Jean-François Revel sur la démocratie libérale à l’épreuve du XXe siècle
©

Visionnaire

Le philosophe Jean-François Revel, au cours de sa brillante carrière d'essayiste, a su décortiquer patiemment, livre après livre, l'impasse idéologique que constitue un socialisme rejetant compulsivement toute idée de pragmatisme ou de libéralisme, qui garantirait pourtant le bonheur d'une société.

Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

Voir la bio »

Dans le fond, il y a deux sortes de livres. Les premiers sont comme un monolithe tombé du ciel. Ils existent par eux mêmes et pour eux mêmes et le monde après leur apparition est différent de ce qu’il était avant. Dans cette catégorie, je mettrai par exemple "L’Archipel du Goulag" de Soljenitsyne…

Et puis il y a des livres qui sont comme les cailloux du Petit poucet. L’auteur les laisse tomber les uns après les autres, ce qui nous permet de suivre sa pensée au fur et à  mesure qu’elle évolue dans le temps, en fonction des événements. Tout se passe comme si l’auteur menait une conversation avec ses lecteurs, qu’il interpelle, qu’il prend   à témoin, qu’il bouscule, qu’il fait réfléchir. Pour moi, les livres de Revel font partie de la seconde catégorie. On ne peut pas disséquer UN livre de Revel, il faut les étudier tous ensemble pour comprendre la pensée de celui qui les a écrit et pour réaliser à quel point cette pensée a évolué tout en restant attachée depuis l’origine  aux mêmes principes de base.

Comme dans les bandes dessinées de mon enfance, à la fin de chacun des ouvrages, il faudrait inscrire "à suivre".

C’est ce qu’a fort bien compris Philippe Boulanger qui vient de publier son ouvrage sur Jean-François Revel.

Mais ici, je dois prévenir le lecteur : ce livre trouve son origine dans une thèse universitaire. C’est donc dire qu’il est très complet, fort bien fait, mais que les bonheurs d’écriture y sont …rares. En fait, on s’ennuie un peu. Mais ce léger inconvénient est compensé par la « couverture » historique quasi parfaite des idées de Revel et des combats qu’il a mené lors des débats qui ont émaillée toute sa vie, et qui d’une certaine façon restent les nôtres…   Philippe Boulanger  commence par nous expliquer les fondements philosophiques de la pensée de Revel. Mieux que quiconque, Revel sait que ce qu’il appelle la Démocratie libérale est un système imparfait, mais comme Churchill , il croit que  "c’est le pire des régimes, à l’exclusion de tous les autres."

Pour lui, séparation des pouvoirs dans le domaine politique et capitalisme contrôlé par le Droit et la Loi (et non par l’Etat) dans le domaine économique sont les deux fondements de toute société « heureuse » puisqu’ils permettent la critique au travers d’une information qui circule librement. Et l’on retrouve chez Revel, nous dit l’auteur, des idées exprimées sous une forme tout à fait semblable par Karl Popper ou Raymond Boudon par exemple, ce qui est juste.

Les fondements de sa pensée ayant été déterminés, on passe aux idées contre lesquelles Revel s’est battu toute sa vie et qu’il résume en une formule merveilleuse « l’Attrait pour le totalitarisme tempéré par l’Utopie », c’est à dire croyance qu’il existe un système parfait auquel on arrive par la Révolution et par la « table rase ».

Le débat est donc entre ceux qui pensent avec Marx que la Démocratie libérale est condamnée à périr dans une crise ultime créée par ses contradictions et qui veulent la remplacer par un système ou des  "rois philosophes" prendraient des décisions intelligentes pour le bonheur de l’Humanité et ceux qui constatent que toutes les tentatives de création de société parfaite se sont toujours terminées par un désastre sans nom ou misère et crime coexistaient avec l’émergence d’une Classe malfaisante et  nuisible. D’un coté des millénaristes, de l’autre des pragmatiques …

Ayant défini ce qu’il aimait (une société imparfaite mais perfectible) et ce qu’il haïssait (la croyance en un monde parfait géré par des rois philosophes), restait à Revel à se servir de son immense culture pour analyser la réalité. Et cette mise en confrontation des idées de Revel avec la réalité de son temps nous donna tous ses grands livres, chacun de ses livres s’attachant à comparer les RESULTATS qu’avaient eu les idées totalitaires dans des réalités particulières, telles que la Liberté Individuelle, le niveau de vie, la corruption de la classe politique, le système juridique, la séparation des Pouvoir, les relations internationales …

Et c’est la que réside la grandeur de Revel.

Inlassablement, il nous dit que les intentions n’ont aucun intérêt et que seuls comptent les résultats. Et  donc chacun de ses livres analyse la contradiction entre les résultats qu’attendait la pensée totalitaire et la réalité…Un sujet à la fois.

D’ou le coté cailloux du petit poucet…

Par exemple.

  • Dans ni « Marx ni Jésus » , il nous dit que la prochaine « Révolution », qu’il définit comme un changement inédit et total dans les domaines politiques, économiques, moraux  et sociétaux se passera non pas en URSS ou à Cuba mais aux USA, et qu’elle sera fondée sur une plus grande disponibilité de l’information, ce qui est prodigieux quand on sait que ce livre a été écrit à la fin des années 60. On imagine la fureur de ceux qui s’échinent à rejouer 1793 ou 1917 quand Revel leur explique que rejouer quelque chose qui a déjà été un four ne parait pas bien intéressant.  Mais cette fureur se transforme en rage incontrôlable quand il leur explique que la Révolution a d’ores et déjà commencé, en 1966, et aux USA,  l’ennemi emblématique de tous ces grands esprits….

  • Dans "La Tentation totalitaire", il explique comment une grande partie des intellectuels haïssent la critique que chacun peut faire de leurs œuvres (dans une société libre) et donc sont naturellement amenés à favoriser des régimes où ils ne seront pas critiquées pour peu qu’ils encensent le Pouvoir qui a l’heureuse double capacité de les aider à faire taire leurs critiques et de les entretenir grassement. Comme le disait plaisamment Boudon, "les intellectuels français n’aiment pas le libéralisme  parce que dans un monde libéral, ils seraient payés à leur vrai prix."

  • Dans "L’Absolutisme Inefficace", il démontre que le « Présidentialisme » français créé par la Constitution de la Ve, va amener le pays à une déconfiture morale, politique et économique sans précédent, ce qui est fort visible aujourd’hui puisqu’il n’ y a pas de séparation des pouvoirs.

  • Certains de ses essais s’attacheront au contraire à voler au secours de ceux qui, imparfaitement bien sûr, essaient de maintenir en ordre de marche dans la réalité de tous les jours les principes de la Démocratie libérale (voir l’obsession anti-américaine par exemple).


Mais ce qu’il y a de plus étonnant et qui ressort fort bien du livre de Philippe Boulanger,  c’est que Revel a toujours trouvé en face de lui les mêmes adversaires.

Qu’il dise du mal de l’URSS ou du bien des Etats-Unis, qu’il compare le communisme et le nazisme pour dire qu’ils sortaient de la même matrice, qu’il condamne la corruption éhontée qui sévissait dans l’Espagne socialiste ou dans la France mitterrandienne, il a toujours trouvé en face de lui les mêmes esprits faux et malhonnêtes intellectuellement, asservis aux oukases des marxistes qui dominent les médias, l’université et la gauche française.

Et ces gens ont toujours utilisé la même vieille technique stalinienne lors des débats avec Revel ou avec leurs adversaires tels Raymond Aron ou Raymond  Boudon qui souffrirent du même ostracisme.

  1. 1 - On commence par mentir en accusant la partie adverse de mensonge. Ce que vous dites n’est pas vrai (voir l’affaire du travail en Allemagne de Georges Marchais par exemple), alors qu’ils savent très bien que c’est eux mêmes qui mentent.
  2. 2 - On continue en prétendant que refuser la discussion est démocratique si celui qui n’est pas d’accord avec vous n’est pas « convenable ». La discussion ne peut donc avoir lieu que si les deux parties sont d’accord au départ.  Vous n’avez pas le droit de dire une vérité parce que le FN ou le gouvernement américain disent la même chose. On suggère donc une culpabilité par amalgame.
  3. 3 - On termine par la menace : ceux qui vous suivront dans vos idées peuvent s’attendre à avoir des ennuis et à être virés (de l’université, par exemple… ).

Déni mensonger de la vérité, culpabilité par amalgame ("reductio ad Hitlerium"), menaces déguisées, furent utilisés avec beaucoup d’entrain par toute cette classe  comme par exemple au moment de la sortie du fameux Livre noir du communisme que Revel soutint du mieux qu’il pût. Et bien entendu, ces trois techniques continuent à constituer le fonds de commerce de la gauche française d’aujourd’hui, comme on l’a vu dans de nombreuses « affaires »

Et donc, dans son dernier livre  » La grande parade »  Revel  prit directement à partie ces faussaires intellectuels, les désignant pour ce qu’ils sont, la source de tous nos maux,  en montrant  à quel point  ils « chassent en meute » et ne font pas de quartier, la seule chose qui les intéresse étant le maintien de leurs positions de pouvoir.

Leur foi est morte et bien morte, mais l’Eglise marxiste est restée puissante et l’Inquisition qu’elle contrôle ne pardonne rien.

En conclusion donc un très bel ouvrage de référence, non seulement sur Revel mais sur toute la période qui va de 1960 à 2004, tant il est vrai que cette époque a été traversée de nombreuses crises, entraînant de tout aussi nombreux débats et que chaque fois Revel a participé, brillamment,  à  toutes ces joutes.

Et l’Histoire lui a donné raison beaucoup plus souvent qu’à ses adversaires…

Excellent outil de travail donc pour ceux qui ont quarante ou moins aujourd’hui, dans la mesure où ils pourront comprendre pourquoi notre pays est là où il en est: parce que ses élites n’aiment ni la Liberté, ni la Démocratie et donc vivent dans le mensonge et le déni.

Terminons par une note d’actualité. Ce qui est intéressant aujourd’hui est que ce sont les adversaires de toujours de Revel qui sont arrivés au pouvoir il y a deux ans en France, avec monsieur Hollande et les partis socialiste, communiste et écologique. Que je regrette qu’il ne soit plus là pour nous éclairer et commenter leur faramineux échec comme il l’avait fait pour Brejnev ou pour Gorbatchev ! Car après tout ,entre la France de Hollande et l’URSS de Brejnev, il n y a guère  de différence si ce n’est que les troupes de Brejnev savaient que ce qu’elles disaient était idiot. Mais toute l’œuvre de Revel montre qu’arracher le pouvoir à  ces gens qui toujours et partout ont échoué ne s’est jamais fait sans convulsions énormes.

Les années qui viennent vont donc être passionnantes car nous sommes en France dans une situation comparable à celle de l’URSSS aux alentours de 1986…

Cet article a été initialement publié sur le blog de Charles Gave

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !