Rythmes scolaires : à qui est censée profiter la réforme de la réforme ? (visiblement pas aux enfants)<!-- --> | Atlantico.fr
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La réforme des rythmes scolaires est toujours contestée par les élus, les parents et les enseignants.
La réforme des rythmes scolaires est toujours contestée par les élus, les parents et les enseignants.
©Reuters

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A peine arrivé, le nouveau ministre de l'Education nationale, Benoît Hamon, s'empare de la question des rythmes scolaires chère à son prédécesseur. Une réforme toujours aussi contestée par les élus, les parents et les enseignants. Et pour cause : les principaux concernés, c'est-à-dire les élèves, semblent être les moins considérés.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Le ministre de l’Éducation nationale, Benoît Hamon, a annoncé une réforme de la réforme des rythmes scolaires. Pas question cependant de revenir à la semaine de 4 jours. L'aménagement prévu consiste à concentrer les activités périscolaires sur une seule demi-journée, plutôt que de les disséminer sur toute la semaine comme actuellement. Les enseignants seraient ainsi déchargés d'une après-midi de cours. Quels avantages ce changement aura-t-il en revanche pour les enfants ? Leur intérêt a-t-il vraiment été pris en compte ? En quoi cette modification de l'organisation du temps scolaire serait-elle moins fatigante pour eux ?

Pierre Duriot : Le nouveau ministre s'occupe surtout de décrisper la situation et on ne peut pas l'en blâmer tant son prédécesseur a contribué à gripper les rouages. Pour mémoire, Vincent Peillon, professeur de philosophie, cadre du Parti socialiste, formateur de professeurs, entre autres, était arrivé en bénéficiant d'un abord plutôt favorable. Mais sa réforme des rythmes scolaires avait suscité bien peu d'enthousiasme, à tel point que l'unique choix donné, celui d'adopter la réforme à la dernière rentrée ou lors de la prochaine, avait abouti à ce qu'à peine un quart des élèves se retrouve en quatre jours et demi. Ceci alors même que le paysage municipal était majoritairement ancré à gauche. Le mécontentement était allé croissant, envenimé encore un peu plus par les considérations de genre, pour conduire au fait que Vincent Peillon crispe enseignants, parents, chrétiens, musulmans, avec au final une question scolaire à mettre au chapitre des choses qui ont pesé du mauvais côté de la balance lors des dernières élections municipales, avec les résultats que l'on sait pour la gauche...

"Les élèves sont fatigués par la densité des programmes et la mauvaise répartition des heures de cours sur la semaine" a-t-on postulé en préalable. C'est ainsi que toute cette histoire repose sur une escroquerie. La vérité est que les élèves sont fatigués, parce qu'une majorité d'entre-eux se couche tard, il suffit de faire un rapide sondage dans une classe de cours préparatoire prise au hasard pour s'en convaincre. Ils se couchent tard, avec la télévision, les consoles de jeux, ou après des comédies pendables pour justement ne pas aller au lit et beaucoup de parents se cachent à peine pour dire toute leur difficulté à gérer le coucher ou l'heure choisie délibérément tardive pour voir un peu leurs enfants car ils rentrent tard du travail, est-ce blâmable ? La conséquence a été que les élèves sont plus fatigués qu'avant car ils n'ont plus ce mercredi matin, quand ils l'avaient, pour prolonger un peu les courtes nuits : ils se lèvent tôt un matin de plus mais ne se couchent pas moins tard. Bien sûr, pour certains élèves, ce fut tout de même positif, mais ceux qui ont une heure de coucher régulière adaptée à leur âge n'avaient pas besoin de cela.

"Apporter la pratique d'une activité ludique ou sportive aux enfants déshérités" a-t-on encore entendu... fallait-il mettre sans dessus dessous, les horaires des cars de ramassage scolaire, les pratiques des cantines, les horaires des enseignants et les emplois du temps des classes, pour une heure trente de pratique culturelle ou sportive par semaine ? Certes, point n'était besoin d'en faire tant puisque dans toutes les communes, à partir de 6-7000 habitants, des pratiques sportives ou culturelles sont accessibles presque gratuitement. Il faut rester très clair, soit ces pratiques extrascolaires relèvent des familles et on les considère suffisamment responsables pour les assurer. Soit on postule que les parents sont des incapables et on organise les loisirs culturels et sportifs de leurs enfants malgré eux, même si c'est avec leur consentement, dans le cadre scolaire et municipal, mais il faut avoir le courage de le dire. On pourrait arguer des emplois créés par les municipalité pour encadrer ces temps périscolaires : peu valorisants, peu rémunérés et avec peu de perspectives de carrière...

Bien entendu, ces considérations ne seraient pas politiquement correctes dans la bouche d'un ministre et il est plus facile de reporter tâches et devoirs développementaux et de socialisation sur l'institution. L'école a ainsi l'habitude de terminer, à la fin, plus ou moins responsable de tous les maux de la société. Il n'empêche, à vouloir la mêler de tâches qui ne la regardent que de loin, elle y perd grandement en efficacité à instruire, comme le montrent désespérément toutes les enquêtes, mais là n'est pas la seule cause à ces mauvais résultats.

Benoît Hamon démine donc le terrain avant sans doute d'entamer de nouvelles discussions sur un mode plus apaisé et il va y gagner tant le sujet est délicat.

Un autre assouplissement permettra de réduire la semaine de classe d’une heure (des 24 heures actuelles à 23 heures) avec rattrapage sur les vacances scolaires (sous réserve que la commune et le rectorat s’accordent sur ce modèle). Une heure sur la semaine, cela a-t-il du sens ?

Tout dépend de ce que l'on cherche. Donner l'impression que l'on prend le dossier à bras le corps tout en ne se fâchant avec personne, en préservant les considérations des stations de ski, des campings et des locations, lesquelles dominent plus ou moins la question, passe peut-être par un débat sur l'heure de plus ou de moins. A la vérité, cela ne changera pas grand chose. L'une des pistes est d'aligner nos jours de vacances, très nombreux en France, sur ceux des autres pays européens, mais l'on se heurte à des considérations touristiques habituelles et de salaires des enseignants du premier degré, lesquels sont peu payés par rapport à leurs collègues européens plus au nord et dont le salaire est historiquement celui de 10 mois répartis sur 12. Cette heure par semaine est sans aucun doute un os à ronger qui permettra de calmer le jeu et de donner l'impression aux élus d'une marge de manœuvre : l'intérêt de l'enfant est très loin.

Quelle impression le gouvernement donne-t-il en s'y prenant de la sorte ?

A la fois une impression de gesticulation et la ferme intention de ne pas avoir à désavouer le ministre précédent, ce qui est une habitude bien française. On a l'exemple récent des panneaux signalant les radars routiers, promis à l'enlèvement, puis remplacés, devant le tollé, par des radars "pédagogiques" avant d'en revenir finalement aux bons vieux panneaux. Que de gesticulations et d'argent pour ne pas avoir à dire qu'un Ministre a eu une mauvaise idée !

Quelles sont les solutions qui pourrait être envisagées de votre point de vue d'enseignant pour davantage prendre en compte l'intérêt des élèves ?

Elle sont de plusieurs ordres et en premier lieu arriver à se dire que l'école a des responsabilités mais qu'elle ne les a pas toutes. On connaît les solutions : mieux former les enseignants, réduire le nombre d'enfants par classe, dépister et traiter préventivement la difficulté scolaire, travailler sur des enseignements plus concrets, remettre le travail au centre de l'école et de la vie scolaire, en finir avec la "pédagogie de la réussite" qui amène à tirer en permanence vers le bas pour que tout le monde ait l'impression d'être "bon", remettre au goût du jour les situations problème, les tâches complexes, l'effort encadré, redorer l'orthographe et l'écrit, remettre de la distance, de l'autorité, du respect mutuel, éventuellement porter une blouse ou un uniforme, se cautionner parents et enseignants, instituer à l'école et en famille des cadres tangibles et sécurisants pour l'enfant... mais tout cela est long et cher, pas compatible avec nos budgets, ni avec nos échéances électorales. La question se pose avec acuité aujourd'hui : sommes nous condamnés au bricolage ?

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